Parlez-nous de Jésus ?

 

Il n’est pas simple de parler de Jésus à des gens qui ont derrière eux une tradition de la connaissance de cet « individu ». Tout a déjà été dit sur lui, tout est connu d’avance. Selon les spécialistes de l’histoire du christianisme, 1994 a été le deux millième anniversaire de la naissance de Jésus de Nazareth, auquel se réfèrent 1,8 milliard de chrétiens dans le monde.

Qu’est-ce qu’être chrétien ?

Le terme chrétien n’est pas d’origine chrétienne. Les premiers disciples se désignaient sous le nom de « frères », de « ceux qui suivent la Voie », de « saints ». C’est dans des milieux non-chrétiens que ce concept a été formé. Est chrétien le partisan, l’adepte du Christ. C’est à Antioche, vers l’an 40, que « pour la première fois, le nom de chrétiens fut donné aux disciples » (Ac. 11, 26). L’apparition de ce terme manifeste que l’Église n’est plus considérée comme une sorte de secte juive, mais comme un groupe religieux nouveau qui se réclame explicitement du Christ. Il faut aussi se rappeler que ce terme n’est pas, à l’origine, un terme honorifique. C’est plutôt un sobriquet insultant à l’égard de ceux qui considèrent que Jésus est le Christ. Accepter d’être reconnu comme chrétien, c’était accepter le mépris, l’insulte, la persécution et donc parfois la mort. Aujourd’hui, le terme de chrétien n’est plus aussi méprisé, du moins dans la civilisation occidentale.

On peut appeler chrétien tout homme qui, dans sa pensée et son action, se réfère à Jésus-Christ, non comme à une personne du passé, mais comme à une personne toujours agissante, comme à une personne susceptible d’apporter une lumière définitive sur le sens de la vie, sur le sens de la mort. Ne peut être chrétien que celui qui accepte de parcourir totalement le même chemin que Jésus, en allant donc aussi jusqu’à accepter la mort.

Qui est-il ?

Il nous arrive de faire des erreurs sur la personne des autres. On s’est également trompé sur la personne de Jésus. Qui est-il ? Qu’a-t-il voulu dire ? Chaque génération chrétienne se pose les mêmes questions. Et encore cette autre question qui se pose avec acuité chez ceux qui s’opposent violemment à la foi chrétienne : y a-t-il eu à l’origine du christianisme une personnalité réelle, Jésus, ou bien l’histoire évangélique n’est-elle que la traduction d’un mythe et Jésus n’a-t-il eu de réalité que dans l’imagination et le coeur de ses adorateurs ? Ce n’est pas une question nouvelle, puisqu’elle s’est posée à partir du dix-huitième siècle... tout comme peu de temps après on s’interrogeait sur l’existence de Napoléon, en se demandant s’il n’était pas qu’un mythe, qu’une histoire légendaire. C’est au début du vingtième siècle que la discussion sur l’historicité de Jésus s’est amplifiée, parce que les matériaux évangéliques ne permettaient pas d’écrire une vie de Jésus et que les témoignages non-chrétiens concernant Jésus de Nazareth sont peu nombreux.

A vrai dire, il n’existe pas de personnage historique qui ait exercé une influence comparable à celle de ce prophète galiléen, Jésus de Nazareth, puisque son influence se fait sentir encore aujourd’hui, même chez ceux qui se disent non-chrétiens. Ceux-ci, même s’ils sont adversaires de la religion sous toutes ses formes, reconnaissent que Jésus a été un personnage hors du commun et que son message a marqué l’ensemble de l’humanité, bien que sa prédication n’ait duré que quelques années et que sa mort fut ignominieuse.

Les écrits sur l’existence de Jésus.

L’histoire de Jésus n’est consignée ni dans les actes officiels ni dans les annales de l’empire romain, ni dans les ouvrages d’histoire juive, et il n’a guère été pris en considération par l’histoire mondiale.

Gaius Plinius Secundus, généralement appelé Pline le Jeune, légat en Bythinie, écrit à l’empereur, vers 112, pour lui faire part de ses problèmes. Il a comme soucis importants des grèves, des scandales municipaux et une morosité politique. Il constate également un grand malaise religieux : les temples sont désertés, dans quelques-uns même, le culte a cessé. Cela a conduit à une crise agricole, puisqu’il n’y a plus d’acheteurs pour les animaux destinés aux sacrifices. Tout cela est imputable, selon les informateurs de Pline, aux chrétiens qui forment une société secrète et qui manquent certainement de loyauté envers l’empire romain.

La lettre de Pline n’est pas la seule source à désigner « Christ ». Trois ou quatre ans plus tard, Tacite écrit ses Annales, il dit que Néron était soupçonné d’être l’instigateur de l’incendie de Rome en 64. Pour faire taire les rumeurs, la police romaine avait recherché un bouc émissaire. Elle en trouva un dans un groupe de personnes connues sous le nom de chrétiens, qui étaient méprisées par la populace à cause de leur conduite scandaleuse à ses yeux. Aussi un certain nombre de chrétiens furent-ils torturés et condamnés à mort.

Vers l’an 120, dans sa Vie des douze Césars, Suétone écrit la vie de Néron. Dans une série de mesures prises par l’empereur, il note : « On livra au supplice les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et dangereuse ». Et, dans la vie de Claude, on peut lire : « Comme les juifs se soulevaient continuellement, à l’instigation d’un certain Chrestos, il les chassa de Rome ». Dans tout cela, il n’y a rien de très précis concernant Jésus qui mourut sous Ponce-Pilate. Mais un fait est capital : dans la deuxième décennie du deuxième siècle, les autorités impériales connaissent les chrétiens comme un mouvement spécifique, et elles ont eu affaire à eux déjà sous Néron. Trois témoins romains font mention du Christ, ce qui empêche de mettre en doute son existence historique.

Indirectement, les textes juifs du Talmud établissent également qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute son existence. Une tradition antérieure à l’an 200, venue du traité du Sanhédrin, dans le Talmud de Babylone, indique : « A la veille de la fête de la Pâque, on pendit Jésus. Quarante jours auparavant, le héraut avait proclamé : il est conduit dehors pour être lapidé, car il a pratiqué la magie et séduit Israël et l’a rendu apostat. Celui qui a quelque chose à dire pour sa défense, qu’il vienne et le dise. Comme rien n’avait été avancé pour sa défense, on le pendit à la veille de la fête de la Pâque ».

Vers 93, Flavius Josèphe mentionne le Christ dans deux passages de son livre, les Antiquités juives. Le premier rapporte la condamnation et l’exécution de Jacques, le frère de Jésus, et le second parle de Jésus comme d’un sage dont beaucoup de juifs et de non-juifs sont devenus les disciples, croyant qu’il était le Messie.

On aurait tort de penser que les seules sources non-chrétiennes ont une valeur probante. Les textes du Nouveau Testament permettent d’affirmer, sans hésitation, l’existence de Jésus, même si les premières communautés n’ont pas cherché à mettre en valeur le rôle historique que pouvait avoir celui en qui des hommes mettaient leur foi, au point de mourir pour son nom au lieu de le renier.

Les lettres de l’apôtre Paul, qui sont facilement datables, permettent d’affirmer un fait qu’aucune communauté n’aurait inventé d’elle-même : Jésus est mort pendu à une croix, cela vraisemblablement le vendredi 7 avril 30 (cette date est très vraisemblable, quoique pas entièrement certaine). Cette mort est loin d’être une « mort noble » pour le fondateur d’une religion ! En effet, il y a un texte terrible dans la Loi de Moïse concernant un tel châtiment : « l’homme ayant en lui un péché passible de mort, qui aura été mis à mort et que l’on aura pendu à un arbre : un pendu est une malédiction de Dieu » (Dt. 21, 23).

Des témoignages dignes de foi attestent donc l’existence de Jésus de Nazareth. Ce sont les documents chrétiens qui sont les plus nombreux pour affirmer qu’un personnage historique réel se trouve derrière toute la tradition évangélique.

Aux environs de l’an 200, mourut à Lyon saint Irénée, évêque de cette ville, et donc un des hommes influents de cette cité. Une de ses lettres, adressée à son ami Florinus, nous est parvenue. A celui qu’il avait perdu de vue depuis un certain temps, Irénée rappelle des souvenirs de vie étudiante en Asie Mineure, évoquant leurs études auprès de Polycarpe, évêque de Smyrne, qui mourut aux environs de 155, alors qu’il était âgé de plus de quatre-vingt-cinq ans. Il se souvient que le Polycarpe les entretenait de « Jean, le disciple du Seigneur », qu’il avait personnellement connu bien des années auparavant. Irénée n’aurait pas fait ce témoignage sans avoir la certitude que son ami pouvait évoquer les mêmes souvenirs. Donc, vers l’an 200, un homme était en mesure d’évoquer Jésus par l’intermédiaire d’un maître qui avait connu personnellement un des disciples de ce Jésus...

Une question de dates

Il convient d’abord de dire comment a été fixée le début de l’ère chrétienne. Au sixième siècle, un moine, Denys le Petit, instaura un comput des dates à partir de la naissance de Jésus, en la fixant en l’an 753 de la fondation de Rome. Il se trompa de quelques années. Néanmoins on peut parvenir à des hypothèses assez probables.

L’évangéliste Luc (3, 1) fixe le commencement du ministère public à l’an 15 du principat de Tibère César, ce qui permet de le dater des années 27-28. Cette date se trouve en quelque sorte justifiée par l’évangéliste Jean (2, 20) quand il parle des quarante-six années qu’il a fallu pour reconstruire le Temple de Jérusalem. La vie publique de Jésus aurait duré deux ou trois ans, ce qui correspond bien aux trois fêtes de Pâques mentionnées par Jean.

La date de la naissance de Jésus est difficile à établir avec précision. Selon Matthieu, Jésus serait né sous le règne d’Hérode le Grand, qui est mort en l’an 4 avant le début de l’ère chrétienne. Les historiens s’accordent sur l’an 746 ou 747 de la fondation de Rome, c’est-à-dire en 6 ou 7 avant l’ère chrétienne.

L’évangéliste Luc, qui affirme que Jésus avait environ 30 ans au début de son ministère, s’accorde avec cette date.

L’environnement linguistique de Jésus

La Palestine était sous influence romaine, et la société était multilingue (polyglotte). On en trouve une preuve dans le texte de l’évangile de Jean (19, 20) où il est fait référence à l’inscription que Ponce-Pilate fit placer sur la croix de Jésus en ces termes : « Cette inscription a été lue par de nombreux juifs, car l’endroit où Jésus fut crucifié était proche de la ville, et elle était écrite en hébreu, en latin et en grec ».

Tous les habitants parlaient ou comprenaient plusieurs langues. Jésus parlait l’araméen, un dialecte issu de l’hébreu, qui était sa langue maternelle, il connaissait l’hébreu, qui était la langue dans laquelle avaient été écrits les différents livres saints du judaïsme.

Jésus devait avoir des notions de grec et de latin, les deux langues de la Méditerranée orientale, depuis les conquêtes antérieurs, langues dans lesquelles s’effectuaient les échanges commerciaux. Un exemple, tiré de l’évangile selon Marc, nous apprend que Jésus s’est rendu dans la région de Tyr, et qu’il y a rencontré une syrophénicienne. Marc (7, 24-30) souligne que cette femme parlait le grec, et donc que la conversation avec Jésus a été menée en grec. Il en est de même dans la discussion de Jésus avec les Pharisiens, concernant l’impôt à payer à César (Mc. 12, 13-17). La Palestine avait comme monnaie des pièces portant une inscription latine au « Divus Augustus », le divin Auguste. Jésus ne demande pas ce que signifie cette inscription, mais de qui il est fait mention sur cette pièce, signe qu’il comprenait le sens de la phrase... Et il faudrait encore invoquer l’interrogatoire de Jésus par Pilate : il n’a pu être mené qu’en grec ou en latin.

Qui est donc Jésus de Nazareth ?

Le fils de Joseph et de Marie ?

Les Évangiles gardent le souvenir de paroles très dures de Jésus à l’égard de sa famille. Et Luc qui rapporte la seule parole de Jésus enfant souligne comment Jésus s’est démarqué de la paternité de Joseph, que Marie lui rappelait : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois, ton père et moi, nous te cherchions, tout angoissés » (Lc. 2, 48). C’est sans hésitation que Marie désigne Joseph comme le père de Jésus. Cette paternité de Joseph eut pour Jésus beaucoup plus d’importance qu’on ne le pense habituellement. Pour désigner Dieu, Jésus emploie le terme affectueux que tous les enfants donnent à leur père : « Abba, papa ». Mais, la réponse de Jésus à sa mère, dans l’épisode du Temple, est déroutante : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon père ? » (Lc. 2, 49). Jésus revendique une autre paternité. C’est Dieu qui est son seul Père, même si, du point de vue légal, Joseph est vraiment père de Jésus, puisque c’est par lui que Jésus peut s’inscrire dans la descendance du roi David.

Charpentier ou rabbi en Israël ?

Après la manifestation de Jésus au Temple, les évangiles ne rapportent rien jusqu’au début de sa vie publique. Jésus apprend le métier de Joseph, que l’on présente comme un charpentier. En fait, le terme grec qui désigne le métier de Joseph est : tecton, bâtisseur, sens qui est resté dans le terme « architecte ». Même si l’évangile ne le précise pas, Jésus travailla avec lui comme apprenti. Selon les directives des livres saints, un père ne doit pas seulement nourrir son fils, mais lui apprendre un métier : « Qui n’enseigne pas à son fils une profession manuelle, c’est comme s’il en faisait un brigand ».

Les gens qui ont fréquenté Jésus durant sa vie publique l’ont souvent appelé « rabbi », terme qui veut dire « maître » en hébreu. Jésus devait être considéré comme un enseignant, même s’il n’avait pas effectué d’études auprès des scribes et des docteurs de la Loi. Charpentier, il faisait partie du milieu des artisans qui étaient les dépositaires de la sagesse populaire véhiculée dans les ateliers. Le travail des mains délie l’esprit : dans les ateliers, chacun pouvait s’exprimer librement, et la langue devait alors être aussi habile que les mains. C’est d’ailleurs ce qui est exprimé par un dicton à valeur proverbiale, repris par la tradition orale : « N’y a-t-il pas un charpentier, fils de charpentier, pour résoudre cette question ? »

Au premier siècle de l’ère chrétienne, le judaïsme est fragmenté en de multiples tendances dont les traces sont perceptibles dans les différents écrits. Pour faire passer son message, Jésus devait nécessairement s’inscrire dans l’un ou l’autre courant.

Jésus refuse l’hypocrisie des Pharisiens

Les Pharisiens constituent un courant de piété. Ils refusent la lutte armée pour l’indépendance et gardent strictement leurs objectifs religieux, centrés sur la fidélité absolue à la Torah. Ils étaient issus du laïcat et non des castes sacerdotales. Ils se considèrent comme supérieurs au peuple qui n’observe pas les prescriptions rigoureuses. Ils apparaissent comme de faux dévots hypocrites. Leur différend avec Jésus repose sur le fait que ce dernier méprise leur interprétation étroite de la Torah et les barrières qu’ils s’imposent pour que celle-ci soit scrupuleusement respectée. Dans ses discussions avec les pharisiens, Jésus ne se situe jamais sur le plan de la spéculation intellectuelle ou des questions théoriques. II se place plutôt sur le plan des questions pratiques ou tout au plus sur des questions d’exégèse de la Torah.

Jésus n’accepte pas l’intégrisme des sadducéens

Les sadducéens sont de fermes conservateurs, ils ne reconnaissent l’autorité que des écrits anciens, refusant de reconnaître les progrès doctrinaux et les nouvelles croyances, qui n’étaient pas fondés dans les premiers écrits. Ainsi, ils ne peuvent admettre la croyance aux anges, à la résurrection des morts et à la rétribution universelle après la mort. Les sadducéens forment un groupe organisé comprenant les prêtres, les anciens, la noblesse sacerdotale et la noblesse laïque. Il se soucient de l’opportunité politique et des intérêts économiques. Ils collaborent avec la puissance politique en place, fut-elle étrangère. Ils acceptent le joug de Rome, en s’accommodant tant bien que mal des circonstances les plus défavorables.

Jésus refuse la fuite au désert des esséniens

En réaction contre l’oppression et la misère subies par les juifs, certains hommes, qui seront appelés Esséniens, décidèrent de se mettre à l’écart du monde mauvais et de vivre dans la piété et la sécurité de la religion. La plupart des fidèles de la secte se retiraient dans les voisinages de la mer Morte, pour pratiquer un ascétisme très rigoureux. La communauté ressemblait étrangement à un monastère dont les différents membres travaillaient à la copie soigneuse des textes scripturaires. Beaucoup plus soucieux de la pureté du judaïsme que les pharisiens eux-mêmes, les Esséniens recherchaient la perfection la plus absolue. Pour ce faire, certains se vouèrent même au célibat, dans l’attente de la venue du Messie. Ce célibat rompait avec la tradition du judaïsme qui prône le mariage et la fécondité. Ceux qui recherchaient la sainteté devaient considérer comme préférable de n’avoir point charge de famille.

Jésus eut sans doute des contacts avec les communautés esséniennes, même si rien n’en transpire dans les textes évangéliques. Toutefois, en y regardant de très près, il semble qu’il prit son dernier repas dans le quartier essénien de Jérusalem. Pour préparer ce repas, il envoie deux disciples, en leur disant de suivre un homme portant une cruche d’eau. Or, ce travail était une tâche exclusivement féminine, sauf chez les Esséniens, qui voulaient éviter tout contact féminin, surtout pendant la préparation de la Pâque.

Jésus refuse le fanatisme armé des zélotes

Les zélotes entendaient trouver une solution pratique à l’oppression : ils refusaient de se cacher du monde et se préparaient activement à la lutte contre toute tyrannie. Ils s’opposaient aux pharisiens et aux saducéens, qui étaient prêts à collaborer avec la puissance d’occupation pour bénéficier d’une relative sécurité. Pourtant, les zélotes n’étaient pas des nationalistes fanatiques : ils étaient prêts à lutter et à mourir pour l’amour de la patrie, mais ils vivaient aussi dans un profond attachement à la Loi, pour laquelle aussi ils auraient accepté de subir la persécution et la mort.

Jésus a eu des contacts parmi les zélotes, notamment par l’un de ses disciples, Simon, non pas celui qui sera surnommé Pierre, mais un autre Simon qui est toujours qualifié de son titre de zélote. Et sans être affilié au parti des zélotes, il est très vraisemblable que Judas Iscarioth était un de leurs sympathisants.

Jésus est plus proche du courant baptiste

Sur les bords du Jourdain, un prophète - qui n’est pas reconnu par la tradition juive - Jean proposait un baptême de conversion à tous ceux qui espéraient la venue de l’ère messianique, dans l’attente de celui qui devait libérer Israël. On a souvent pensé que Jean, surnommé le Baptiste, à cause de son activité, avait été influencé par la communauté essénienne. Ce n’est pas impossible. Cependant, à la différence de celle-ci, il n’accueillait pas une élite religieuse, mais l’ensemble du peuple pécheur, qu’il préparait à la venue du Messie, en lui proposant un baptême de conversion. Jean renouait avec le prophétisme le plus ancien d’Israël : à chacun, il donnait des conseils appropriés à sa situation, l’invitant à suivre la religion selon son esprit et non pas seulement selon sa lettre. Les évangiles présentent Jésus se faisant baptiser par Jean et recrutant parmi les disciples de celui-ci ceux qui allaient devenir les siens. La mort du Baptiste, exécuté par ordre du roi Hérode, devait permettre à Jésus de mener son action propre. S’écartant du courant baptiste, il présente un message qui, dans sa forme, semble nouveau pour le peuple.

Jésus n’est pas un bon « paroissien »

D’après les textes évangéliques, il ne semble pas que Jésus ait été un bon « paroissien » par rapport aux offices de la synagogue. Chaque fois qu’il se trouve dans la maison de prière et d’étude, il arrive des incidents. Jésus a manifesté qu’il était un homme libre. Contrairement à ce que l’on croit trop facilement, Jésus n’a pas fait semblant d’être homme, il n’a pas fait semblant de souffrir. Sous prétexte qu’il est Dieu, nous n’avons pas le droit de lui refuser d’être honnête et d’être vrai. Il est Dieu mais il est homme ; il n’a pas profité du fait qu’il était Dieu pour tricher. Il n’a pas joué un rôle, il a joué sa vie, et il a perdu. Il n’a pas été un héros, il a été condamné à être crucifié comme n’importe quel condamné de droit commun, comme un voleur à la tire, comme un assassin...

Les premiers chrétiens n’ont certainement pas cherché à évacuer le scandale de la croix : l’arrachement de Jésus à l’existence n’a pas été édulcoré, comme s’il s’était agi d’une sorte de demi-mal. Et pourtant, les disciples reconnaissent que Jésus demeure vivant, non pas qu’il soit revenu purement et simplement à la vie qu’il possédait avant son arrestation et sa crucifixion, comme si son cadavre avait été réanimé d’une manière ou d’une autre.

La mort de Jésus n’a pas été un banal accident de parcours, elle a été une dure réalité que les événements de Pâques n’ont pas pu dissimuler et que les témoins ont du assimiler. Bien qu’il soit Dieu, Jésus a connu les limitations de la condition humaine, il a assumé la nature humaine... C’est une illusion que de croire à trop de privilèges pour Jésus. C’est véritablement qu’il a progressé en intelligence et en sagesse, qu’il a ignoré certaines choses, qu’il a été fatigué, agacé de l’inintelligence de ses disciples, qu’il a craint la souffrance et la mort. Nous ne pouvons pas lui refuser le droit d’être honnête sous prétexte qu’il est Dieu.

Mais son humanité ne l’a pas rendu extérieur à Dieu. Il s’est rendu en tout semblable aux hommes, hormis le péché. Ce n’est pas le fait d’être homme qui pose dans une situation d’adversité à Dieu, c’est le péché. Si Jésus n’a pas connu le péché, s’il n’a pas commis d’actes de péché, il a connu toutes les conséquences du péché dans la mesure où elles touchent la réalité humaine. Il a montré comment vivre réellement en homme. Par lui, nous connaissons la véritable nature de l’homme destiné à être l’image de Dieu. En Jésus, Dieu n’écrase pas l’homme : il n’y a pas plus humain que Dieu.

Que puis-je dire de Jésus ?

En tant qu’intellectuel, en tant que chercheur, je puis dire des « choses » sur Jésus, et cela ne manque pas d’être intéressant de continuer des recherches sur cet homme particulier de l’histoire humaine. Il existe des milliers de livres sur son histoire et sur les développement que son existence a pu donner à l’aventure humaine. Cela peut être intéressant, mais cela est-il vital ? Vous répondrez certainement que le fait d’être prêtre me met dans une situation particulière de répondre qu’il y a là une évidence indiscutable. Et pourtant, il faut reconnaître que ce n’est pas toujours aussi évident. Arrivé à un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, il faut se poser des questions. Ce que j’ai pu vivre au long des années est-il sensé ? a-t-il réellement du sens ? Même s’il m’arrive de douter – et il me semble que le doute est une caractéristique fondamentale de la foi – je puis vous assurer que je n’ai pas encore regretter d’avoir mis ma confiance en ce Jésus de Nazareth, et si j’ai pu lui manquer en certaines occasions (et elles peuvent être nombreuses), lui ne m’a jamais manqué : il a toujours été à mes côtés, il m’a donné des signes de sa présence et de sa fidélité à mon égard. Et il me semble qu’au terme de ma vie, même si ma raison ne cessera de se poser des questions, l’assurance qu’il m’a donnée restera la plus forte, et c’est la raison pour laquelle je demeure en pleine confiance et sérénité.