Origine des manifestations religieuses

 

Le problème qui atteint l'homme au plus profond de son être, le plus grand problème qu'il se soit jamais posé reste certainement celui de la mort, avec ses inéluctables questions sur l'au-delà et sur la signification même de l'existence présente. Pour chaque homme, même le plus religieux, la mort, l'instant même de la transition entre la vie actuelle et l'après la mort, représente un vide immense. En effet, du simple point de vue humain, en dehors de toute référence religieuse, la mort marque une fin, une fin définitive. La vie s'achève dans le trou noir du tombeau, avec la disparition inévitable de l'image même de ce que pouvait être l'individu, avec l'anéantissement de sa personnalité. L'homme éprouve une grande angoisse à la simple pensée de la mort, parce qu'il découvre qu'elle ne marque pas seulement un terme, mais qu'elle pose aussi la question véritable : celle du sens de sa propre vie.

Les religions, réponse à la question de la mort

Pour apporter une tentative de solution à ce problème qui l'angoisse, et qui se trouve certainement ravivé chaque fois que l'un des siens vient à disparaître, l'homme, depuis l'époque la plus reculée de l'histoire et même de la préhistoire, a inventé une réponse, en affirmant sa certitude d'une survie. En effet, personne ne peut concevoir que tout ce qui a été entrepris, au cours de l'existence, puisse être définitivement anéanti, annihilé. L'idée même de la mort a conduit l'homme à découvrir l'idée de la survie. Les incroyants ou les athées affirmeraient alors que les hommes ont trouvé un certain nombre de pratiques, de rites ou de croyances qui lui ont d'une part aveuglé la conscience en face de ce problème et qui lui ont d'autre part donné des assurances pour bien ou pour mieux diriger sa propre existence passagère sur la terre.

Il est vrai que la présence de cimetières indique aux archéologues ou aux ethnologues qu'ils sont en présence d'une société humaine organisée et civilisée. Les cadavres sont alors confiés à la terre dans la position foetale, ce qui permet de conclure à l'idée d'une renaissance à la vie nouvelle. Mais, dans d'autres civilisations, ce retour à la terre est totalement méconnu : c'est le retour aux eaux mères, qui ont également une signification universelle invitant à concevoir l'idée d'une survie ; c'est la destruction du cadavre par le feu qui dissoudra la mort elle-même d'une manière encore plus rapide. Tous ces actes, spécifiquement humains, en face de la mort soulignent, chacun à leur manière, de concevoir un véritable enfantement pour un monde nouveau, dans lequel l'homme va survivre ou dans lequel il va connaître une forme de vie totalement nouvelle.

Pour toutes les religions, la mort marque une transition vers un autre mode de vie. En effet, chacune d'elles affirme toujours avec force que la cessation des activités corporelles n'équivaut pas nécessairement à la fin complète de tout l'être humain : tous les actes moraux qui ont pu être accomplis au cours de l'existence méritent certainement une rétribution effective, d'autant plus que cette rétribution n'est pas toujours manifeste au cours de l'existence d'un individu. Le problème de la sanction des actes accomplis selon l'éthique en vigueur dans une culture devait entraîner la croyance en la possibilité et même en la certitude d'une survie. Le problème qui se posait alors était manifestement de connaître quel serait ce nouveau mode de vie après la mort corporelle. Les réponses sont très diversifiées, selon les cultures et selon les expressions religieuses. Pour les animistes, sous toutes les latitudes, lés morts subsistent sous la forme d'esprits qui parcourent sans cesse les lieux sur lesquels ils ont vécu leur existence terrestre, avant de regagner un lieu plus ou moins céleste où ils connaîtront définitivement la nouvelle vie. Pour les religions d'origine orientale, comme l'hindouisme et le bouddhisme, les âmes des défunts sont appelées à connaître la transmigration de corps en corps, au cours d'existences successives, jusqu'à ce qu'elles aient atteint la suprême perfection, qui leur permettra de s'identifier avec le dieu souverain, le brahma, dans l'état du nirvâna, qui marque l'extinction définitive de tous les désirs qui provoquaient les renaissances successives. Pour les religions qui professent le monothéisme, c'est la question de la rétribution des actes accomplis au cours de l'existence qui amène à sanctionner, positivement ou négativement, la condition de la vie après la mort ; ces différentes religions expriment également des propositions diverses quant au séjour paradisiaque ou quant au séjour infernal. Certaines de ces religions monothéistes affirment en plus, comme un dogme respectable, la résurrection des morts : à l'heure décidée par Dieu, souvent décrite en termes apocalyptiques - au sens de révélations définitives de Dieu, mais aussi au sens de grandes catastrophes cosmiques qui marqueront le commencement des temps nouveaux et de la nouvelle création - les âmes des fidèles défunts retrouveront leur corps, lequel sera glorifié et doué d'immortalité, pour vivre éternellement en présence de Dieu.

Dans toutes les cultures, la mort a été une question fondamentale, et les religions ont, chacune à leur manière, essayé de percer le mystère qu'elle cachait. En perçant ce mystère, ces religions devaient parvenir à répondre à la question même du sens de la destinée humaine. Elles ont ainsi pu proposer toutes les purifications nécessaires à l'homme pour qu'ils puissent connaître le meilleur état de vie possible après qu'il eut franchi le cap décisif de la mort corporelle.

La religion, un pont entre le connu et l'inconnu

En essayant d'expliquer ce qui se cache derrière le phénomène de la mort, il apparaît que les religions ont toujours cherché à présenter une communication entre ce qui est déjà connu et ce qui demeure encore inconnu. Même si l'étymologie du terme religion n'est pas évidente, toutes ses interprétations visent, d'une manière ou d'une autre à tisser un lier entre deux réalités différentes. Cicéron rattachait ce terme à relegere (relire, réfléchir, méditer, prêter à quelque chose une attention particulière), Lactance le rattachait à religare (relier, et particulièrement relier l'être humain à la divinité), tandis qu'une autre origine rattache ce terme à reeligere (choisir de nouveau). Saint Thomas d'Aquin, un des plus grands penseurs et théologiens du christianisme médiéval, avait déjà conscience de ce problème qui était posé par l'étymologie même, mais il trouva le moyen d'échapper à toutes ces diversités de sens, en les réunissant sous une seule signification, faisant de la religion ce qui avait trait en propre à l'ordre même de Dieu.

La religion devient ainsi comme la relation de l'homme avec la cause de sa propre nature, de son existence ; mais chaque interprétation, selon les différentes civilisations, établit cette relation suivant des termes qui lui sont propres : le ciel et la terre, le surnaturel et la nature, les dieux et les hommes, et il arrive même que la religion soit synonyme de ce qui unit les hommes entre eux grâce à l'apport d'une foi commune.

En définissant la religion comme un pont entre le connu et l'inconnu , on signifie que la religion relève d'un domaine qui découvre deux rives, celles de deux mondes, qui sont réunis entre eux par ce lien que la religion établit entre ces deux rives. Il est d'ailleurs assez significatif que le chef de la religion catholique soit présenté comme le souverain pontife , pontifex indiquant en latin le bâtisseur de ponts. Officiellement, c'est lui qui indique le chemin par lequel les fidèles attachés à la religion chrétienne d'obédience romaine peuvent effectuer ce lien entre les deux mondes, c'est lui qui indique le moyen de passer d'une rive à l'autre, sans risquer d'être engloutis par toutes les questions qui se posent aux hommes à propos notamment du passage de la vie présente à une vie future.

Toutes les religions connaissent d'ailleurs des chefs spirituels qui remplissent à peu près les mêmes fonctions de guide pour leurs fidèles ; toutes, elles établissent ainsi, grâce à ce chef, un pont entre l'univers visible et le monde invisible. Ce chef, ce pontife transmet aux hommes qui subsistent dus le monde visible les révélations qui lui viennent du monde invisible, avec ses réglementations et se: interdits. Le sacré s'inscrit ainsi dans l'univers même des hommes, pour leur indiquer les chemins de leur propre salut. Ces chemins ouvrent eux-mêmes sur le monde invisible et permet aux fidèles d'échapper à la mort définitive ou à la damnation éternelle.

La tâche des religions

Chaque fois que les civilisations traversent une crise importante de leur histoire, la religion, élément de la culture parmi beaucoup d'autres, se trouve elle aussi mise en question, non pas seulement dans ses différentes manifestations, mais aussi et surtout dans son essence même.

Ce n'est pas seulement l'existence des fondateurs ou des rites et des pratiques, historiquement situées, qui se trouve remise en question, c'est aussi l'affirmation, pourtant universelle, de l'expérience d'une transcendance, laquelle se trouve à l'origine de toutes les religions. Dans ces périodes de crise, qui sont aussi la plupart du temps de grands moments de discernement, c'est l'infâme , au sens où l'entendait un Voltaire, qui se trouve contesté : la forme religieuse se trouve alors réduite à ses simples apparences immanentes, comme un objet étudiable scientifiquement en dehors de toute relation à une dimension spirituelle, qui pourrait échapper au contrôle de la raison humaine, dans ce qu'elle a de scientifique et d'expérimentable. En dépit de toutes les attaques historiques, qui se sont portées contre elles, les différentes religions n'ont cessé de subsister.

Et il apparaît même que la contestation lui donne souvent une nouvelle vigueur. C'est ainsi que depuis deux siècles les penseurs les plus rigoureux ne cessent d'annoncer la mort imminente du christianisme, alors qu'il parvient toujours à sortir rajeuni des épreuves qui lui sont infligées, comme si celles-ci lui donnaient toujours l'occasion de se fortifier, de se revigorer. Les critiques externes tendent ainsi à lui prouver qu'il s'est aliéné, qu'il s'est enfermé dans des cadres étroits et rigides, qui lui empêchent d'être parfaitement identique à la vocation qui est la sienne depuis la prédication de son fondateur, Jésus de Nazareth. De la sorte, le christianisme est amené à effectuer une critique interne et à repenser son mode de présence dans le monde De telles expériences sont également constatables dans le domaine de l'Islam, du bouddhisme, de l'hindouisme : sous peine d'être condamnée à disparaître rapidement, toute religion se trouve dans l'obligation de renouveler sans cesse son rapport aux hommes et d'étendre son domaine d'action, dans un esprit proprement missionnaire.

Sans renoncer à son affirmation de la transcendance, toute religion se trouve contrainte d'assumer toutes les valeurs, même non religieuses, de la civilisation dans laquelle elle a trouvé sa place. De cette manière, toutes les sciences contemporaines trouvent leur application dans le champ recouvert jadis par la seule religion. Cela est sensible également dans le christianisme qui a pu prendre à son compte toutes les méthodes de la science historique, de la psychologie, mais qui n'a encore pas pu intégrer les apports du marxisme, en raison de la doctrine manifestement athée qu'il préconise. Dans cette assomption des méthodes contemporaines, le christianisme se trouve certainement à l'avant-garde de toutes les religions, mais l'islam comme les religions spécifiques de l'Asie se trouveront rapidement forcées de suivre l'exemple que le christianisme leur offre.

De cette manière, la tâche fondamentale de toute religion peut se trouver dans la nécessité qu'elle doit réaliser l'humanité même de l'homme. Elle n'apparaît pas comme un complément accessoire à sa réalisation, elle est la réalisation et l'accomplissement de tout l'homme. C'est la raison pour laquelle elle mobilise toute l'activité humaine, sous ses différents aspects : la religion embrasse l'homme dans son individualité comme dans tout ce qui peut le rattacher à l'ensemble d'une communauté , dans sa pensée, dans sa parole, dans ses gestes, dans ses différentes manifestations religieuses évidemment, comme la prière, le culte, les sacrifices, mais aussi dans des activités non religieuses, qui s'expriment dans la famille, dans la tribu, dans la société.

Toute religion a une ambition universelle, précisément parce qu'il lui est possible de rayonner sur l'ensemble des activités humaines. Ainsi, la religion, quelle qu'elle soit, peut se définir comme un ensemble de relations entre l'homme et ses semblables, comme entre l'homme et une puissance quelconque qui le dépasse. Il apparaît alors que la religion n'appartient pas à un stade particulier de l'évolution humaine, qu'elle n'exprime pas simplement le besoin de répondre à des besoins élémentaires des individus, mais qu'elle est susceptible d'exprimer le plein accomplissement de chaque individu ou de toute la société, qui cherche à établir un pont entre ce qui est connu et ce qui demeure encore totalement mystérieux.

Mais, presque nécessairement, le mystère reste toujours rebelle à toute saisie immédiate : aucun homme ne peut appréhender directement la réalité transcendante, l'absolu divin qu'il découvre comme une présence tout autre au-dessus de lui. Cependant, le mystère, tel qu'il est ainsi perçu par les différentes religions, s'il demeure inconnaissable, ne leur apparaît jamais comme totalement inaccessible Le mystère divin incite au contraire l'homme à chercher à le percer, à l'appréhender, à le formuler, à donner de lui une interprétation de plus en plus complète. Ce mystère de la Transcendance absolue se trouve à la racine même, au fondement des différentes religions : cet Absolu, radicalement autre, qu'il est impossible d'observer directement ou scientifiquement, qu'il n'est pas accessible à la raison humaine, dans le simple exercice naturel de ses facultés, d'appréhender, cet Absolu, qualifié de Tout Autre, est à la fois fascinant et effrayant. L'homme est attiré par lui mais il est, en même temps, effrayé par la distance qui le sépare de lui. Et, en ce sens, la découverte même de la présence de cet Absolu peut être à l'origine de la religion, comme elle peut constituer également la racine de l'athéisme. Il importe, en effet, à l'homme d'assumer pleinement cette totale différence qu'il pressent, sans pouvoir la définir.

La tâche des religions apparaît ainsi d'exprimer le balbutiement des hommes sur cette transcendance : elles découvrent que le sentiment de la présence de Dieu ou des dieux conserve sans cesse ce mystère insondable, et elles s'efforcent chacune à leur manière d'exprimer, en des langages accessibles aux hommes, cette présence à la fois terrifiante d'un dieu totalement différent et pourtant familière de ce dieu qui se manifeste comme proche des hommes. L'affirmation même de la réalité de cette présence se traduit par les sentiments de respect et d'amour, qui traduisent, dans les pratiques humaines, les visages qui traduisent plus ou moins concrètement la Transcendance. L'homme a toujours pensé qu'il était impossible de voir Dieu sans mourir ; aussi, l'expérience même de cette transcendance ne se fait-elle jamais sans une médiation : Dieu ne se manifeste jamais sans se voiler aussitôt. Les religions ont alors voulu apporter leur propre contribution, en soulevant quelque peu ce voile sous lequel le dieu se cachait pour se faire connaître aux hommes sans leur imposer directement sa présence redoutable. C'est certainement cette expérience de l'Absolu qui constitue le fonds commun de toutes les religions : aussi opposées soient-elles, elles présentent des traits communs.

Les grandes manifestations de la Transcendance

Le phénomène religieux est un phénomène extrêmement complexe, qui ne permet guère d'établir une typologie de toutes les manifestations du divin dans le monde des hommes : cette complexité ne peut être résolue, sinon en acceptant des simplifications qui paraissent abusives, puisqu'elles entraînent le fait d'absolutiser certaines différences entre les différentes religions, comme si les traits qui se retrouvent dans chacune des religions ne l'emportaient jamais sur ceux qui les différencient.

Il est possible d'admettre qu'il existe pratiquement une religion naturelle, ou plus exactement sur sorte de religiosité naturelle qui pousse l'homme à accepter certaines croyances et à adopter certaines conduites dans son existence même. En effet, assez spontanément, il semble que l'homme, même celui qui peut être considéré comme le plus primitif, ait rapidement découvert dans les phénomènes cosmiques naturels des caractères sacrés et divins, révélateurs d'une ou de plusieurs puissances supérieures, lesquelles pouvaient se montrer bienfaitrices ou destructrices : la nature tout entière semblait receler un ordre merveilleux. Pourtant jamais, le Dieu unique des religions monothéistes comme les différentes divinités du polythéisme n'ont manifesté leur existence propre dans le cadre d'une observation scientifique, même la plus simpliste. Dieu se cache toujours derrière ce qui dévoile sa présence. Et personne n'aurait jamais cru le cosmonaute soviétique, Gagarine, s'il avait déclaré qu'il avait rencontré Dieu, au cours de son voyage dans l'espace.

Le caractère magnifique, extraordinaire, mais aussi très mystérieux de l'immensité du cosmos, avec son organisation interne selon des règles spécifiquement définies; et que les hommes parviennent progressivement à découvrir, ce caractère extraordinaire de l'ordre cosmique a toujours incité les hommes à voir dans la nature elle-même une divinité, ou du moins à considérer que cette nature est le lieu de ce qu'il est convenu d'appeler une hiérophanie , une manifestation du sacré dans l'univers. Les religions les plus anciennes ont perçu très intensément cette présence du divin dans les phénomènes naturels. La transcendance même du divin se trouvait inscrite dans l'immanence, et cela est également vrai dans les religions traditionnelles de l'Inde, le brahman, qui est toujours considéré comme le fondement impersonnel de l'univers, exprime cette ambivalence : le transcendant se découvre dans l'immanence. Il ne faudrait toutefois pas croire que les hommes se soient, à un moment ou à un autre de leur histoire, laissés totalement piéger par les apparences extérieures : même s'ils reconnaissaient la présence du divin et du sacré dans les phénomènes naturels, ils pressentaient que le divin ne se réduisait pas simplement à ces apparences extérieures. Jamais ils n'ont voulu totalement identifié ce divin avec les forces naturelles sous lesquelles il se manifestait avec le plus d'évidence. C'est aussi ce que Baudelaire voulait exprimer, en parlant des correspondances entre le ciel et la terre :

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles :

l'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers...

 

Pour le poète, la Nature, sans être élevée au rang d'une divinité, est néanmoins considérée comme le lieu matériel où l'homme entre en communication directe avec le monde spirituel. Tout, dans ce grand temple, invite à se rapporter à un autre monde qui n'est pas directement perceptible par les sens : des choses invisibles sont manifestées de façon visible, mais elles demeurent néanmoins cachées, témoignant d'une réalité plus haute. Mais le langage de cet Absolu caché demeure mystérieux, alors que l'homme ne cesse de chercher à le pénétrer.

Même les membres des religions considérées comme les plus anciennes constatent qu'ils n'ont pas été les premiers à avoir inventé la religion : ils admettent toujours l'avoir reçue, soit des temps les plus immémoriaux, soit le plus souvent comme un don divin. Ils agissent comme l'ont toujours fait leurs ancêtres, mais aussi comme les dieux eux-mêmes agissaient autrefois, dans les temps paradisiaques pendant lesquels les hommes et les dieux vivaient en parfaite harmonie les uns avec les autres. Cette relation de leur conduite envers la ou les divinités se transmettait de manière orale, laissant place à des variantes dans le domaine de l'interprétation. Ce n'est qu'à partir du moment où ces traditions purement orales se sont fixées par écrit que la religion elle-même s'est vue plus ou moins fixée de manière immuable dans un Livre, qui traduit la Révélation même du Dieu qui se donne alors à connaître de façon définitive.

Les révélations positives

La plus ancienne révélation écrite dans le domaine des religions se trouve dans le livre des Vedas hindous, bien qu'il faille reconnaître que la transmission par écrit de ces textes sacrés s'est faite sur une très longue période de l'évolution de l'hindouisme. Mais, dès les temps les plus originaux de cette transmission écrite, ces textes ont été considérés comme la révélation toute première du divin dans l'histoire de l'humanité. Cette révélation, tout impersonnelle, se présente comme une manifestation particulière de la Réalité fondamentale qui s'exprime dans un langage qui n'est plus seulement symbolique, comme dans l'ordre des réalités cosmiques, mais qui est compréhensible par tous ceux qui se donnent la peine de lire, de méditer et d'approfondir les textes sacrés.

Une autre forme de la révélation divine s'exprime par le mode de transmission d'une parole de Dieu dans le cadre du judéo-christianisme, qui fait entrer dans le monde des hommes un Dieu personnel, lequel entretient avec l'humanité ou plus exactement avec le peuple qu'il s'est choisi au sein de cette humanité, des relations personnelles : Dieu parle aux hommes, par l'intermédiaire d'hommes choisis, qui sont appelés les prophètes ou les messagers de Dieu, mais ce Dieu parle aussi par l'intermédiaire des événements propres à l'histoire de son peuple et qui deviennent porteurs de sens pour l'histoire de l'ensemble de l'humanité. La Bible des juifs et des chrétiens, qui rapporte toute l'histoire de cette relation unique et inouïe de la divinité avec un groupe humain qui se soumet alors à sa providence, à son dessein.

Dans la même ligne que le judéo-christianisme se place la religion musulmane. En effet, l'Islam repose également sur une révélation transmise dans un livre, le Coran, qui se présente comme la transcription en arabe de la révélation qui fut faite au prophète Mahomet par l'envoyé de Dieu, l'ange Gabriel. Ce messager divin lui aurait remis la vérité définitive et éternelle de la parole de Dieu. Tout d'abord, le prophète de l'Islam s'affirma comme le messager du Dieu d'Abraham, auprès du peuple arabe, mais, à la suite de profonds désaccords entre les musulmans, les juifs et les chrétiens, Mahomet se considéra lui-même comme le dernier de tous les prophètes, celui qui apportait la vraie révélation définitive de Dieu, menant ainsi jusqu'à sa plus haute perfection la parole même de Jésus, l'initiateur du christianisme.

La religion chrétienne, sans pour autant se subdiviser en plusieurs religions, connut également des divisions quant à l'interprétation de la doctrine qui se réclamait de Jésus de Nazareth. Ces divisions donnèrent naissance aux trois grandes branches du catholicisme, de l'orthodoxie et de la Réforme protestante ; laquelle se subdivise en trois courants principaux : le luthéranisme, le calvinisme et l'anglicanisme.

De plus, il est intéressant de noter que toutes les formes de monothéismes s'inspirent plus ou moins directement de la révélation du Dieu unique, faite au peuple d'Israël, en la personne d'Abraham, lequel est toujours considéré comme le père de tous les croyants. La religion primitive d'Israël s'est muée progressivement en judaïsme: comme en une simple spécification de terme, notamment après la chute du Royaume d'Israël. Après un temps de cohabitation et même de convivialité entre le judaïsme et le christianisme, dans la forme du judéo-christianisme, le christianisme a pris corps, comme religion spécifique, rejetant certains dogmes juifs ou plus exactement les interprétant de manière radicalement nouvelle, en écho à la prédication évangélique de Jésus-Christ, mort et ressuscité, glorifié par Dieu son Père ; la scission était inévitable entre ces deux monothéismes, en raison de la glorification de l'homme Jésus, reconnu comme Fils de Dieu et Dieu lui-même, ce qui constituait une véritable hérésie dans l'orthodoxie juive. L'Islam s'est imposé au septième siècle, en trouvant des racines dans les deux religions qui l'avaient précédé dans le monothéisme, mais en rompant définitivement avec elles, après l'hégire de Mahomet, sa fuite de La Mekke vers Médine. Le christianisme s'est lui-même diversifié quelque peu sous l'influence de conflits historiques, mais actuellement aucune des tendances du christianisme ne réclame pour elle seule la propriété de l'enseignement unique de Jésus-Christ : ce sont les différentes Églises qui constituent en réalité le christianisme, la véritable Eglise de Jésus-Christ, en marche vers son unité et vers sa pleine réalisation.