Actualité de l'hindouisme

 

L'hindouisme n'est pas un système unifié, comme une simple présentation théorique, rassemblant les données dogmatiques et cultuelles générales, pourrait le faire croire. Au cours de son histoire, il s'est amplement diversifié, soit de manière locale, soit de manière doctrinale. Le phénomène du sectarisme a permis à cette religion d'éviter de se scléroser dans des formes établies et immuables, susceptibles d'entraîner elles-mêmes la décadence.

La complexité des sectes

Comme dans les autres religions, les sectes apparaissent quand un certain nombre d'adeptes effectue un choix parmi les traditions ancestrales. Ainsi, tout en gardant un véritable respect pour les textes sacrés du védisme, certains peuvent s'attacher à une divinité particulière qu'ils élèvent aussitôt au rang suprême parmi les dieux, supplantant de cette manière le Brahmâ. De ce fait, une secte ne rejette jamais rien de l'apport traditionnel, elle opère simplement un choix particulier parmi tous les éléments de la religion. Les membres de la secte hindouiste rendent alors leurs hommages à cette divinité, sous forme d'invocations spécifiques, et ils se disposent à reproduire l'hindouisme primitif, en transformant sensiblement la hiérarchie du vaste panthéon classique.

Une divinité particulière, la divinité d'élection le plus souvent, retient toute la dévotion des fidèles, même lorsqu'ils ne la considèrent que comme l'une des manifestations du Brahmâ ou de l'Absolu divin. Tous ceux qui sont parvenus à former une secte quelconque, dans l'hindouisme, ont toujours voulu relier les divinités particulières qu'ils choisissaient entre toutes dans le panthéon aux plus grandes figures de la religion classique, en particulier Vishnu et Çiva.

Le mouvement sectaire n'apparaît donc pas comme une suite de ruptures dans la religion ; au contraire, il se manifeste comme une volonté impérieuse de renouveler sans cesse la vitalité religieuse, qui risquait toujours de se dissoudre dans une simple pratique ritualiste. Mais il convient de noter que jamais une secte, aussi importante fut-elle, n'a réussi à regrouper la totalité des fidèles de l'hindouisme : certaines d'entre elles sont simplement des groupements minuscules, et pour les plus importantes même, l'adhésion des adeptes est plus souvent nominale que réelle, puisque l'hindouisme reste toujours une affaire religieuse privée ou familiale.

L'apparition d'une secte est toujours liée à la présence d'un réformateur dont la personnalité marque les hommes contemporains par son caractère de sainteté. Très souvent, ce réformateur bénéficie de révélations ou d'illuminations lui permettant de donner une nouvelle impulsion à la secte ou à la tendance religieuse qui précédait. Des disciples se groupent immédiatement autour de lui, pour découvrir et apprendre le sens de l'illumination dont il a pu être le bénéficiaire, et ces disciples en forment d'autres. Ainsi, une nouvelle tradition peut voir le jour et s'étendre dans le temps comme dans l'espace. Il arrive même que certains réformateurs, particulièrement pour les sectes les plus anciennes, soient des personnages de légende : cela ne change rien au caractère de fondation, de création personnelle, qui fait la secte au plus pro fond de sa réalité. Car ce qui fait véritablement la création d'une secte, ce n'est pas tant la personnalité même du fondateur, certes très importante, que son attitude en réaction contre certains abus manifestes, en vue de revenir à une situation religieuse plus pure, plus proche de la tradition originelle ou favorisant davantage un net progrès de la religion, qui se trouve mieux adaptée aux circonstances contemporaines.

C'est ainsi que la théorie du refus de la répartition des individus en castes est devenu le centre d'intérêt de certaines sectes : Gandhi (1869-1948) mit en oeuvre politiquement des idées semblables à celles qui étaient issues de certaines sectes, pour refuser la division de la société en castes, en militant pour que tous les Indiens soient considérés comme des citoyens à part entière, aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine religieux. Comme les réformateurs sectaires, il affirmait qu'aux yeux de la Divinité suprême, qui est infiniment bonne et infiniment bienveillante, il ne pouvait exister de divisions sociales séparant les fidèles. Ces mêmes réformateurs poussent très loin leurs théories religieuses, en soulignant que la Délivrance peut être obtenue par n'importe quel individu. Dans l'ancienne perspective religieuse, seul un membre de la caste des brahmanes, de sexe masculin, pouvait espérer parvenir directement à la libération définitive du cycle des réincarnations ; pour les autres individus, leur espérance ne pouvait se limiter qu'à une nouvelle naissance leur permettant d'accéder à une meilleure condition ultérieure dans l'enchaînement des réincarnations. Pour certaines sectes, en revanche, c'est la dévotion à la divinité qui permet d'espérer la délivrance définitive, assurant ainsi un salut immédiat à chaque fidèle, à chaque adepte de la secte : la divinité d'élection récompense ses fidèles, qui lui présentent la dévotion la plus parfaite, en leur procurant cette délivrance, par seule grâce, en retour de leur propre dévotion. Une telle facilité offerte à tous, sans considération de castes ou de sexes, a certainement contribué à la diffusion des sectes, notamment dans les milieux qui se trouvaient ultérieurement exclus, par principe, d'une telle espérance.

Néanmoins, il convient de noter que certains individus, dont la sainteté était réputée, et qui espéraient aussi former une secte dans l'hindouisme, ne sont cependant pas parvenus à faire école : ils sont nombreux, mais leur passage est souvent éphémère, la parole de l'un rejetant définitivement dans l'oubli la parole de celui qui le précédait. Pourtant, leur apparition dans le temps est toujours considérée comme une source de bénédictions pour tous ceux qu'ils rencontrent.

Ce fait méritait d'être signalé, en raison de la considération et même de la vénération dont jouissent, dans l'hindouisme, tous ceux qui peuvent être perçus comme maîtres spirituels : ils sont découverts comme des incarnations temporaires de la divinité et méritent ainsi beaucoup plus que du respect, puis que leur parole est alors entendue comme la parole même du dieu, rendue perceptible à ses dévots.

De cette manière, certaines sectes sont disparues presque aussitôt après leur naissance. Et les réformateurs ont été innombrables, depuis l'époque du début de l'ère chrétienne, sans jamais introduire véritablement une nouvelle forme de religion : tous, à l'exception de Bouddha, considéré comme l'hérétique de l'hindouisme, se sont plutôt attachés à rendre la religion ancienne beaucoup mieux adaptée aux besoins des membres de la société indienne. Aussi ne faut-il pas s'étonner de découvrir de nombreuses analogies dans les différents courants de doctrines inspirés par les fondateurs de sectes. Il devient même possible d'établir une sorte de classification des différentes sectes, selon deux tendances principales : le culte de Çiva et celui de Vishnu.

Les sectes d'obédience çivaïte

Dans la plus ancienne tradition, Çiva est souvent regardé comme le dieu de l'orage, ce qui lui donne un aspect maléfique, mais il est susceptible d'éloigner les nuisances de l'orage des propriétés de ses fidèles ; c'est pourquoi, il est aussi considéré comme un dieu bienfaisant. Capable de provoquer des maladies, il est aussi le dieu qui les écarte. Le védisme antique le considérait essentiellement comme un dieu malfaisant, comme le destructeur du monde établi ; mais comme il détenait un pouvoir incomparable, capable de conduire à la mort, il devait aussi être capable de protéger ceux qui le priaient avec ferveur de toutes les menaces de destruction.

C'est la raison pour laquelle les sectes d'obédience çivaïte n'ont pas tardé à le considérer et à le vénérer uniquement sous son aspect bénéfique. La piété populaire fait de lui le souverain de l'univers, lui attribuant ainsi une place suprême dans la hiérarchie divine, lui subordonnant les autres dieux, et en particulier Brahmâ et Vishnu. Dès le septième siècle de l'ère chrétienne, le sivaïsme devenait la religion officielle dans certaines dynasties indiennes, en raison sus doute du fait qu'on le considérait également comme un esthète, le patron divin favorisant les entreprises des lettrés qui gouvernaient certaines régions de l'Inde. Ces lettrés ont alors développé des doctrines élevant ce dieu particulier au rang de l'Être suprême , et invitant ses adeptes à s'identifier à lui uniquement, en lui vouant toute leur dévotion. Parmi les sectes çivaïtes, il est possible de distinguer plusieurs courants, car la dévotion, en se fixant sur un aspect ou sur un autre de cette divinité, provoque la formation d'écoles différentes, elles-mêmes se subdivisant parfois en d'autres classes.

Les Pasupatas, autrement dit les fidèles de Çiva Pasupati, Pasupati étant le maître de toutes les créatures, enseignent que, pour obtenir le salut, le fidèle doit répondre à certaines exigences intellectuelles, comme la connaissance de la cause universelle de tout l'univers (pati), c'est-à-dire le dieu lui-même, et la connaissance de ses effets, c'est-à-dire les créatures, les âmes (pasu) individuelles, ainsi que la connaissance de leurs relations réciproques. Ces diverses connaissances sont développées dans des conditions pratiques auxquelles l'individu est appelé à se soumettre, en particulier les rites principaux du culte et des exercices privés qui doivent le conduire à l'aboutissement suprême de l'extase mystique : le dieu, divin berger, est plein de compassion pour les membres de son troupeau, et c'est lui seul qui peut dégager ses fidèles du lien du samsâra, de la chaîne des réincarnations successives. Comme les autres sectes çivaïtes, les Pasupatas reconnaissaient que Çiva s'était manifesté à l'humanité sous huit formes différentes : Rudra, l'ancien dieu védique, Bhairava l'Effroyable, Ugra le Violent, Isvara le Seigneur, Mahesvara le Grand Dieu, Pasupati le Maître des troupeaux, Sarva celui qui blesse et Bhava l'Existence personnifiée. Et parallèlement à ces huit manifestations divines, le dieu revêtait huit formes matérielles (murti), qui regroupaient les cinq éléments : feu, air, eau, terre, éther, ainsi que le soleil, la lune et le sacrifiant lui-même. Ce groupe sectaire, dont l'existence est attestée au neuvième siècle, a complètement disparu après le quatorzième.

Les Kapalikas tirent leur nom de Çiva Kapalin, c'est-à-dire le porteur de crânes ; ils constituent plus des groupements d'ascètes qu'une secte proprement dite. Ces ascètes portent un collier de crânes ou mendient leur nourriture à l'aide d'un crâne, ce qui explique leur appellation. A cette tendance se rattachent les kapalamukha, ascètes qui pensent que boire dans un crâne, s'enduire de cendres prélevées sur un bûcher funéraire... sont autant de pratiques permettant d'assurer une rapide délivrance. De même, les siddha, ou parfaits, qui sont également appelés Gorakhnathas, du nom de leur fondateur légendaire, qui se présentent comme des yogis qui ont renoncé au caractère spirituel du yoga pour développer uniquement les différents pouvoirs que cette discipline pouvait entretenir. Bien que les adeptes de ces différents mouvements n'aient jamais été très nombreux, il en existe encore quelques représentants dans l'hindouisme contemporain.

Les Virasaivas, appelés également Lingayats, sont repérables par le port constant d'une représentation symbolique du linga, en forme de pendentif autour du cou. Ce linga symbolise beaucoup plus la présence de l'Absolu dans sa forme abstraite qu'une image phallique. Les membres de cette secte ont travaillé, dès ses origines, pour l'émancipation de la femme, interdisant le mariage des enfants et permettant le remariage des veuves ; parmi leurs pratiques, il faut citer que leurs morts sont enterrés et non pas incinérés. Pour ces adeptes de la secte, pour les çivaïstes à l'état héroïque, qui sont dirigés par des moines ambulants, le dieu Çiva possède par essence : la conscience, l'existence et la béatitude, ces trois attributs contenant en puissance l'ensemble du cosmos qu'il crée, contenant aussi l'âme humaine qu'il dirige : le linga, symbole du dieu porté autour du cou, signifie l'attachement et la dévotion totale des fidèles au dieu, considéré comme le plus haut Brahmâ

En plus du culte rendu directement à Çiva, il est important de noter tout un ensemble de cultes rendus aussi par un certain nombre de mouvements sectaires à des divinités qui sont habituellement associées à Çiva par la tradition religieuse hindouiste. C'est ainsi qu'il est possible de rattacher au sivaïsme le culte de la déesse Durga : ce culte repose sur la croyance, fermement enracinée dans la tradition, que le dieu agit presque nécessairement par sa sakti, par son énergie divine, qui est personnalisée dans l'épouse du dieu. D'où le nom de saktisme donné à cette forme de secte. Aux différentes formes de manifestations du dieu correspondent différentes formes de manifestations de la déesse qui lui est originellement associée ; c'est donc d'abord en tant qu'épouse qu'elle reçoit un culte, en tant qu'associée au dieu, et ce culte n'apparaît d'ailleurs pas comme différent de celui qui est réservé à Çiva.

Mais elle devient rapidement la seule voie d'accès au salut et à la délivrance pour les fidèles, qui reconnaissent que c'est par sa seule énergie, par sa seule puissance que les hommes peuvent atteindre le salut. La déesse Durga finit ainsi par éclipser considérablement le culte de Çiva, en tant qu'elle est perçue comme la Déesse Mère. Cette manifestation sectaire est surtout le propre du Kasmir (Cachemire) depuis le dixième siècle de l'ère chrétienne. Dans ses spéculations, encore bien actuelles, le saktisme ne reconnaît pas de limitations entre les castes, du moins dans l'exercice du culte, puisque, après la liturgie, chacun retrouve son rang social et sa fonction propre : l'adoration s'adresse donc à la Déesse Mère, symbolisée par la yoni, la matrice, se confondant assez fréquemment avec les pratiques tantriques, les sacrifices y jouent un rôle important, se limitant actuellement à des offrandes végétales, alors que les sacrifices animaux et humains ont été pratiqués assez tardivement dans l'histoire de la secte, jusqu'aux environs du septième siècle. Le saktisme a également favorisé tout un ensemble de pratiques, que l'on peut considérer comme magiques, comme certains dessins destinés à favoriser les exercices de la méditation, les dessins tracés aussi sur le front, soit avec de la cendre, soit avec de la poussière de couleur, afin de distinguer les différentes sous-sectes.

Les sectes d'obédience vishnouiste

Les sectes d'obédience vishnouiste mettent beaucoup plus l'accent sur l'aspect de l'amour de dévotion à porter à la divinité que les sectes çivaïtes, celles-ci insistant plus sur l'aspect de la connaissance que doit acquérir le fidèle pour marquer son attachement à la divinité. Officiellement, seconde personne de la trinité hindoue, Vishnu représente le caractère de conscience de la divinité, alors que celui de l'être était attribué à Brahmâ et celui de béatitude au dieu Çiva. Vishnu est, par essence même, immobile et inactif, il demeure ainsi immuable. A ses origines, le vishnouisme devait exister comme religion non sectaire, s'appuyant sur un grand texte de base, la Bhagavad-Gitâ, résumant l'enseignement de Krishna commun à tout le brahmanisme. Fidèles aux prescriptions de ce livre, ceux qui suivent la voie proposée par le dieu Vishnu se désignent eux-mêmes comme les Bhagavatas, comme les dévots du Bienheureux, dont le type religieux est de se livrer à la pure dévotion, notamment à l'égard de Krishna, un des avatars de ce dieu, conçu initialement comme le protecteur des troupeaux, qui peut conduire en son paradis, présenté sous la forme du monde des vaches , là où le dieu réside en compagnie de jeunes bergères. Cette forme de secte doit probablement son origine dans le culte adressé au dieu des tribus pastorales. Par la suite, celui-ci fut identifié à l'Absolu à qui s'adresse le sentiment de la bhakti, sentiment qui se concrétise dans la vénération des statues, qui est une caractéristique du vishnouisme : il ne s'agit naturellement pas d'une simple et pure idolâtrie, mais beaucoup plus d'une présence effective du dieu dans la forme symbolique des statues. D'ailleurs, les rites de consécration des statues prévoient l'ouverture des sens, et particulièrement des yeux et des narines, par quoi la vie peut pénétrer dans la statue elle-même : celle-ci est alors regardée comme une manifestation authentique du dieu, et à ce titre, mérite un culte respectueux.

La secte des Srivaishnavas est restée particulièrement vivante depuis le onzième siècle, époque de ses origines à la suite de la prédication de son fondateur, Râmâjuna. Ses adeptes prônent l'adhésion à Vishnu et à son épouse Sri, ils exaltent l'amour-foi qui permet l'union intime avec la divinité, élevée au rang suprême, devenue même Dieu personnel, voire unique. Dès sa plus tendre enfance, Râmâjuna avait manifesté des signes de sagesse et de grande sainteté, tout en respectant les devoirs de sa caste et en menant, dans le plus grand respect des traditions, son existence en suivant l'enseignement brahmanique, puis en se mariant, avant d'accéder définitivement au renoncement. Dans sa prédication, ce maître enseignait l'égalité absolue de tous les dévots de Vishnu, abolissant lui aussi toutes les différences de caste, de sexe, ou d'origine religieuse et sociale, pour fonder la religion uniquement sur la confiance en Dieu, le rite n'étant qu'un moyen d'approcher de Dieu. Pourtant, il conservait le service de la pûjâ, le culte réservé à la statue comme une marque de déférence pour la divinité, comme une marque surtout de l'amour de dévotion que l'individu peut porter au dieu. C'est aussi ce maître qui introduisit la catégorie de la prapatti, de l'abandon confiant au dieu, que ses successeurs développeront : l'union au Seigneur de l'univers s'accompagne d'un abandon à la volonté divine et d'une soumission qui lui est accordée dans tous les moments de l'existence humaine. Après la disparition de Râmâjuna, le mouvement sectaire s'est poursuivi, en se séparant en deux grandes écoles. Une première école, dans le Nord du pays, se montra plutôt conservatrice en matière de religion, s'opposant ainsi à la seconde, celle du Sud, qui adopte de manière exclusive les thèses de la grâce divine que le dieu peut accorder à ceux qui sont ses fidèles et ses dévots. La première école reconnaît naturellement la nécessité de la dévotion, mais elle souligne surtout que l'effort personnel peut être efficace, tandis que la seconde recommande simplement l'abandon confiant entre les mains de la divinité.

Ces deux écoles sont, en quelque sorte, illustrées par deux petites paraboles qui expriment toute l'essence de leurs thèses en matière de dévotion. La première école recommande la méthode du singe : lorsqu'un danger se présente, le petit singe se cramponne à sa mère, et c'est par son effort aussi qu'il peut être sauvé ; la seconde école recommande plutôt la méthode du chat : dans un cas semblable de péril, la chatte prend dans sa gueule ses petits par la peau du cou et les sauve, sans que les chatons aient à intervenir.

Les Ramanandis, du nom de leur fondateur Ramananda, se sont montrés, dès leurs origines, probablement au seizième siècle, de véritables progressistes en matière religieuse, abandonnant même le principe ancestral et sacré des castes, renonçant à certains tabous alimentaires, permettant l'usage des langues vernaculaires dans les différentes célébrations liturgiques, renonçant ainsi au sanscrit comme langue officielle du culte. Le maître accueillait parmi ses disciples non plus simplement des brahmanes, mais des individus appartenant à toutes les castes classiques, les hors-castes y compris, et non plus simplement des hommes mais aussi des femmes ; on dit même qu'il accueillit un musulman parmi ses disciples. Sans vouloir à tout prix constitué une école qui poursuivrait ses thèses, Ramananda a permis un certain état d'esprit qui inaugura une tendance largement tolérante dans l'ensemble de l'hindouisme. La grande originalité du maître et de ses disciples a été d'introduire un nom nouveau pour le dieu, Rama, devenu le sixième avatar de Vishnu. C'est ainsi que se forma pour ainsi dire une première secte ramaïste, tenant compte de la doctrine traditionnelle des avatars de Vishnu, selon laquelle le Dieu bienfaisant descendait régulièrement sur la terre pour offrir aux hommes les moyens d'accéder à la Délivrance, par l'union mystique avec lui.

Sectes à visée syncrétiste

Depuis le quatorzième siècle de l'ère chrétienne, certaines sectes, relevant de la tradition hindoue la plus authentique, mais subissant néanmoins fortement l'influence de doctrines religieuses étrangères, et particulièrement du soufisme musulman, voient le jour, en prenant l'aspect de vastes mouvements de réforme à l'intérieur de la religion classique.

Si l'hindouisme se manifeste toujours comme un polythéisme, il est aussi caractérisé par une constante recherche de l'Absolu manifesté dans l'unicité divine : l'Islam, dans son attitude fondamentale à l'égard de l'unique divinité, ne pouvait être qu'un pôle d'attraction pour certains théologiens et pour certains ascètes. C'est ainsi qu'une certaine osmose put se faire entre les deux grands courants religieux, donnant naissance à un syncrétisme religieux.

Le mouvement issu du réformateur Kabir (1440-1518) manifeste clairement cette double attache, d'une part à la tradition religieuse de l'Inde la plus authentique et d'autre part au courant mystique du soufisme. De l'hindouisme, il retient la croyance fondamentale en la bakhti, qui est la source de toute efficacité pour obtenir le salut et la délivrance, ainsi que certaines traditions de l'enseignement issu de la discipline du yoga ; et de l'islam, il retient surtout l'importance de l'unicité de Dieu, qu'il est impossible de figurer dans des représentations, de quelque nature qu'elles soient.

De cette manière, il s'attaque violemment au culte des images ainsi qu'à la doctrine des avatars de la divinité : celle-ci, désignée sous le nom de Ram, est absolument transcendante ; c'est l'Absolu divin auquel revient de droit toute vénération et toute adoration, sa gloire même transcende toutes les manifestations religieuses déterminées historiquement, aussi bien l'hindouisme que l'islam. La prédication de Kabir s'adressait à tous ceux qui voulaient bien l'entendre, sans faire acception de quiconque, sans établir de distinctions entre les différentes castes ou les diverses obédiences religieuses. Cette attitude ne pouvait lui attirer que la haine et le mépris des brahmanes les plus orthodoxes et des fidèles de l'islam. Cependant, de nombreux disciples, de toutes les origines, viennent l'écouter et recevoir son enseignement, qu'il dispensait principalement sous forme de chants. Ses disciples formèrent, après sa mort, une sorte de secte : les Kabirpanthis qui voulaient travailler à la réconciliation des différentes religions sur la base d'une forme de monothéisme. Cette secte subsiste encore, malgré l'échec de toute tentative d'unification des religions, mais elle s'est fortement hindouisée.

De la prédication de Kabir, se réclament encore les Sikhs, une communauté religieuse qui s'est établie au seizième siècle et qui subsiste encore. Mais ce mouvement sectaire doit plutôt son origine au maître Nanak (1469-1538), qui, lui aussi, eut l'occasion de comparer, dès sa jeunesse, les deux grandes religions de son époque. Marié et père de deux enfants, à trente ans, il décide de renoncer au monde : il quitte tout et entreprend de mener une vie errante, en mendiant sa nourriture.

Son espoir était de convaincre les hindous d'abandonner le culte des images et le système des castes pour vénérer uniquement le Dieu unique et transcendant ; aux musulmans, il demandait de renoncer à la rigueur doctrinale pour se laisser porter simplement par la dévotion au Dieu unique. Par la suite, la secte des sikhs manifesta son originalité en devenant beaucoup plus un mouvement politique qu'une simple secte religieuse proprement dite.

A la fin du dix-neuvième siècle, Râmakrishna (1834-1886) tenta également de réaliser l'unité des différentes religions. Issu d'une famille de brahmanes pauvres, il reçut à l'âge de dix-neuf ans la charge d'un temple dédié à Kali, offrant quotidiennement la puja à la déesse : sa dévotion à la déesse était telle qu'elle lui accordait le don de tomber en extase, ce qui lui valut d'attirer à lui de nombreux curieux, mais aussi de nombreux dévots, tout prêts à devenir ses disciples. De cette manière, ce simple prêtre de campagne, qui savait à peine lire et écrire, est devenu un guru, un maître spirituel très écouté. Tout son enseignement est commandé par une recherche éperdue de l'unité : la multiplicité n'est qu'une illusion, et pour parvenir à l'unité de l'Absolu, il suffit de reconnaître que l'homme n'est pas différent de lui, et cela est rendu possible par la pratique de la bakhti, la dévotion ardente à la divinité, quel que soit le nom que l'on donne à cette divinité. A ce titre, toutes les pratiques religieuses de l'Inde traditionnelle se valent, et même, allant plus loin dans le développement de sa pensée, il affirme que toutes les religions, hindouisme, christianisme et islam se valent.

La réalisation de lui-même que l'homme est capable d'atteindre par la voie mystique de la dévotion est présentée comme supérieure à toutes les traditions religieuses, même si le maître lui-même restait profondément enraciné dans son hindouisme.

A la mort de Ramakrishna, son plus intime disciple, Vivekananda, que le maître avait lui-même désigné pour continuer son oeuvre, se chargea de propager à travers le monde entier le message de son maître : il donna à l'enseignement de Ramakrishna une forme philosophique et fonda la Ramakrishna Mission, qui finance des oeuvres sociales et qui oriente la religion vers une universalisation de l'hindouisme. Cette Mission se présente beaucoup plus comme un ordre monastique qu'une secte : il est fortement structuré, avec un conseil directeur et un swâmi, sorte de père abbé. Cette Ramakrishna Mission se présente comme l'héritière directe du premier ordre de Rama Krishna fondé par Vivekananda ; mais sa vocation essentielle est de propager la doctrine hindoue à l'extérieur des frontières indiennes, et notamment dans les territoires traditionnellement chrétiens, en envoyant des missionnaires hindous dans les pays d'occident. Toutefois, les milieux traditionalistes de l'hindouisme sont toujours scandalisés par cette démarche, car la doctrine classique affirme que l'hindouisme, comme voie de délivrance pour l'homme, est strictement réservé à ceux qui ont reçu le privilège de naître dans la Terre Sainte qu'est l'Inde. C'est pourquoi la Mission, tout comme l'ordre d'ailleurs, ne s'est guère développé en Inde.

Râmana Maharshi (1879-1950) est une autre personnalité spirituelle marquante de l'époque contemporaine ; et pourtant, il vécut toute sa vie, dans l'extrême Sud de l'Inde, en ermite, refusant de fonder un ashram, une communauté religieuse, et n'acceptant même pas de recevoir des disciples.

Malgré sa volonté, il attira à lui de nombreuses personnes désirant simplement faire retraite auprès de lui, car la fréquentation d'un saint est toujours considérée comme une source de bénédictions. Considéré comme un guru, un maître authentique, dans la plus pure tradition religieuse des Upanishads, il vit son renom se répandre bien au-delà des frontières de l'Inde, et quelques Européens voulurent même se faire ses disciples. Sa doctrine n'est pas sans rappeler celle de Ramakrishna : chacun doit suivre son chemin propre, en accordant dans sa vie une place prépondérante à la dévotion envers sa propre divinité, par la bhakti. A sa mort, ses disciples, si tant est qu'il est permis de parler de disciples pour cet homme qui ne les rassembla jamais en une école de spiritualité ou de mystique, se dispersèrent, et le maître ne survit plus que dans leur souvenir.

Un grand nom de l'histoire indienne doit encore être mentionné, même si cet homme refusa toujours de se présenter comme un réformateur religieux, bien que tenu pour tel par tous ceux qui ont voulu se mettre à son école ; il s'agit de Gandhi, universellement connu sous son titre de Mahatmâ, c'est-à-dire de grande âme. C'est même sous le titre d'un apôtre de la non-violence qu'il est connu, bien plus qu'un simple leader politique. Originellement, rien ne prédisposait le jeune Mohandas Karamchand Gandhi à devenir un réformateur religieux : né dans une famille de marchands, envoyé en Grande-Bretagne pour y faire ses études de droit, il revient en Inde muni des diplômes nécessaires pour entreprendre une carrière d'avocat. En défendant les intérêts d'une maison de commerce indienne dans la République sud-africaine, il découvre la nécessité du combat politique qu'il commence en Inde à partir de 1914. Pendant trente-quatre ans, il mènera ce combat pour l'indépendance de l'Inde, en refusant toute forme de violence, appliquant à la lutte politique les principes mêmes qui avaient fait la grandeur de la religion hindoue, tout en acceptant également les influences diverses qu'il avait reçues, notamment de la religion chrétienne et des principes moraux de l'occident, Peut-être contre sa propre volonté, il fut amené à concevoir sur un plan doctrinal les principes directeurs de son action.

Il laissa pourtant des disciples se grouper autour de lui, en un véritable ashram, où il enseigne surtout comment résister à l'occupation anglaise, afin de parvenir à l'indépendance nationale. Dans tous les conflits sociaux, il préconise la résistance, sous une forme passive, par le jeûne et l'ascèse ; à maintes reprises, il est arrêté, emprisonné, puis finalement relâché. Sur le plan strictement religieux, il définit simplement l'hindouisme comme la non-violence et le respect de la vache , refusant également la distinction de la société selon les différentes castes, ce qui lui vaut la haine des hindous orthodoxes, fervents partisans du maintien du système des castes, affirmant aussi, dans une sorte de syncrétisme religieux, que tous les hommes, hindous, musulmans ou chrétiens sont tous susceptibles de connaître le salut. Son attitude de refus de l'orthodoxie religieuse lui vaut d'ailleurs d'être assassiné par u brahmane fanatique, le 30 janvier 1948. Mais son exemple reste encore bien vivant, en raison du prestige qui est celui d'un homme qui a pu triompher de toutes les situations d'injustice, dans le domaine social comme dans le domaine politique, par la seule force de la non-violence et par l'énergie qu'il puisait dans le renoncement total à l'intérêt personnel, dans la prière, dans le jeûne et l'ascèse.

Après la mort de Gandhi, un de ses disciples, Vinoba Bhave poursuit son idéal de réforme sociale et économique, mais en modifiant le contenu de l'enseignement du maître : il préconise ainsi aux riches de donner aux plus pauvres une parcelle de terre, en signe de leur propre recherche de la Délivrance et du salut.

La tentation de l'Occident

L'apparition, au cours de l'histoire de l'hindouisme de toutes ces différentes sectes, ou écoles religieuses, avec leurs ramifications particulières, leurs croisements et leur complémentarité, exprime une réalité profonde de cette religion sur la Terre Sainte de l'Inde : la tolérance. Celle-ci permet de digérer les idées les plus modernes et de les intégrer au système traditionnel, s'il est possible de parler de système pour l'ensemble de l'hindouisme.

Cette grande tolérance dont fit preuve la religion de l'Inde, quant aux nouveaux éléments qui ont pu ou qui peuvent encore lui être ajoutés, a certainement contribué à l'expansion des manifestations de l'hindouisme en dehors des frontières de l'Inde, jusque dans le monde occidental. L'orientalisme avait déjà connu, dans les siècles précédents, une grande vogue, parmi les penseurs enthousiasmés par la grande spéculation théorique des grandes oeuvres védiques. L'attrait des Européens pour tout ce qui avait trait à l'Inde s'est sérieusement affirmé lors de la redécouverte des Upanishads, que le philosophe Schopenhauer définissait comme une consolation de la vie et consolation pour la mort . La tendance actuelle à vivre dans de petites communautés, qui se regroupent selon certaines affinités autour d'un maître spirituel, trouve sa source et sa raison d'être dans la vogue des ashrams autour de gurus qui s'inspirent, plus ou moins directement, des techniques de la méditation et du culte, issus de l'hindouisme classique. Mais il convient toujours de noter que cette expansion de la religion, typiquement indienne, dans le monde occidental est considérée comme un non-sens aux yeux des hindous orthodoxes : elle n'est le fait que d'une minorité d'individus qui s'écarte de la doctrine traditionnelle, pour souligner que l'Inde est la patrie par excellence de la tolérance, ce qui a pour conséquence le rejet des religions judéo-chrétiennes par les Occidentaux qui se mettent à l'école des maîtres considérés comme hétérodoxes par l'hindouisme classique.

Certains gurus indiens viennent donc prêcher leur doctrine en Occident. Ainsi le Maharishi Mahesh Yogi, fondateur de la Société Internationale pour la Méditation Transcendantale, dont les adeptes sont particulièrement nombreux aux Etats-Unis. Ce maître spirituel, né en 1920, est certainement l'un des plus importants maîtres de la pensée religieuse, en raison du grand rayonnement de son enseignement hors de l'Inde L'enseignement consiste essentiellement dans l'apprentissage d'un mantra, formule rituelle adressée à une divinité, que l'adepte de la Méditation Transcendantale doit méditer pendant vingt minutes chaque matin et chaque soir, ce qui lui permet d'élargir le champ de sa conscience pour qu'il soit plus énergique et plus efficient dans chacune de ses activités.

Le plus radical de ces mouvements trouvant leur assise en milieu occidental, dont l'influence est nettement plus importante que les différents groupes de non-violents , comme la communauté de l'Arche, fondée par Lanza del Vasto, ou comme la Société de la Vie Divine fondée par Shivânanda Sarasvati, est l'Association Internationale pour la Conscience de Krishna fondée, en 1966, par le swâmi Prabhupâda. Cette Association se veut être une communauté à l'échelle mondiale des bhaktas, c'est-à-dire des adeptes de la bhakti, par le service de la dévotion et de l'amour voué à Dieu. Son but est donc de répandre en Occident un type de dévotion ardente au Seigneur Krishna l'un des avatars de Vishnu, qui est considéré comme le Dieu suprême, omniscient, transcendant, omniprésent, père de tous les êtres qui existent dans le monde : c'est ainsi que les hommes ne doivent être perçus que comme des fragments du dieu, ainsi que l'enseigneraient les textes de la plus pure tradition védique. Cette Association a également des visées syncrétistes, puisqu'elle enseigne que la vérité absolue se trouve dans tous les grands textes sacrés du monde, même s'il convient de reconnaître que les plus anciens, et donc les plus vénérables, sont constitués par les Ecritures védiques, dont seul un guru expérimenté en tant que guide spirituel confirmé peut donner la véritable interprétation. La méthode pour atteindre la plénitude de l'amour de Dieu est le chant des noms divins, exprimé par un mantra : Hare Krishna, Hare Krishna, Krishna, Krishna, Hare, Hare, Hare Rama, Hare Rama, Rama, Rama, Hare, Hare, en s'aidant d'une sorte de chapelet de cent huit grains qui est répété seize fois dans le courant d'une journée. Ce mantra, composé des trois grands noms divins de l'hindouisme, qui désignent Vishnu sous le nom de Hare, désignant son aspect bienheureux de Seigneur de tous les êtres, de Krishna, l'infiniment fascinant Seigneur, et de Rama, la source de toute joie, aurait pour effet de rétablir dans la conscience un état joyeux de vie spirituelle. En récitant, ou mieux en chantant ce mantra, le fidèle peut parvenir à la pleine réalisation de lui-même et faire advenir la réalisation de Dieu dans le temps présent. Une vie commune est pratiquement exigée de tous les adeptes, avec un mode de vie comparable à celui de certains monastères chrétiens. L'emploi du temps d'un dévot de Krishna, de la communauté de Paris, commence le matin par le lever à 3 h 30 ; après une douche, le fidèle descend dans le temple pour des lectures des textes sacrés du védisme, des récitations de mantras et des commentaires spirituels, jusqu'au moment du petit déjeuner (8 h 30) ; à partir de 9 heures, c'est le début du travail (composition des journaux et revues qui seront vendus dans les rues par des membres de l'Association, en même temps que des disques et d'autres objets fabriqués aussi par les adeptes) ou de la propagande religieuse dans les rues : les adeptes, qu'ils soient d'authentiques Indiens ou qu'ils soient des Occidentaux, se rasent le crâne, s'habillent d'une robe de safran, et prêchent l'exemple uniquement en dansant et en chantant le mantra sacré, sans autre forme de propagande que la distribution de tracts invitant à des sessions importantes au temple. A 12 h 30 : déjeuner strictement végétarien. L'après-midi, une étude faite de commentaires des textes védiques vient interrompre le travail. Le soir, c'est le moment réservé aux lectures, aux chants et aux danses en l'honneur de la divinité, à partir de 19 heures.

De source hindouiste également, la Mission de la Lumière divine du Guru Maharaj Ji se présente comme un amalgame de différentes composantes étrangères à l'hindouisme authentique, comme le bouddhisme et même le christianisme. Le guru, né le 10 décembre 1957, se présente comme le souverain maître de l'univers, venu dans le monde pour délivrer les hommes de la souffrance, en s'inspirant des principes spirituels qu'ont pu annoncer Jésus, Krishna, Bouddha. La connaissance qu'il propose permet à l'adepte, au premie, c'est-à-dire à l'amoureux, de regarder en lui-même, de voir clair dans sa vie, pour accéder à la paix et au bonheur, par la pratique de la méditation, qui est l'expérience directe de Dieu.

A côté de ces deux phénomènes repérables par la publicité tapageuse faite autour de leurs dirigeants, il faudrait signaler encore toutes les techniques et les méthodes qui s'apparentent au yoga classique, venues également de l'orient hindou et qui permettent un meilleur équilibre dans l'exercice de la vie quotidienne. En tant que pures techniques, ces différentes manifestations peuvent avoir une très grande importance pour le plein épanouissement de la vie religieuse ou même de la contemplation mystique. Mais il faut se garder de toute pratique susceptible de modifier totalement la personnalité individuelle ou même de l'annihiler complètement : le plus grand discernement est absolument nécessaire. La connaissance de l'hindouisme, par le biais de ces seules méthodes, ou même par la fréquentation de ces sectes issues de l'Inde et européanisées par des dirigeants, parfois peu scrupuleux, s'excommuniant réciproquement ou se refusant les uns aux autres une authentique origine hindoue, et souvent non reconnus par les tenants de l'orthodoxie hindoue elle-même, ne parviendra jamais à rejoindre la richesse même de l'hindouisme dans la diversité de ses sectes orthodoxes, issues d'une longue tradition, elle-même enracinée dans la terre indienne.

Enfin, il est important de reconnaître que l'hindouisme classique ne cherche pas à marginaliser les individus par rapport à la société dans laquelle ils vivent, mais, au contraire, s'efforce toujours de les intégrer, même en respectant la hiérarchie des castes, dans une organisation sociale séculaire. La tolérance, dont cette religion fit souvent preuve, ne se retrouve plus guère dans ces sectes européanisées.

Les conversions occidentales à un hindouisme hétérodoxe ne représentent toutefois qu'une minorité d'individus, par rapport à ceux qui restent plus ou moins fidèles à leur tradition religieuse d'origine. Dans le monde indien, la prédication authentiquement religieuse de certains maîtres spirituels a permis à la société civile elle-même de progresser sérieusement dans les voies de la démocratie ou tout au moins de l'égalité de tous les individus devant le régime politique et même devant les cadres religieux : ceux qui étaient considérés comme des parias, des hors-castes, ont aujourd'hui le droit d'entrer librement dans les temples. L'hindouisme reste donc une religion vivante, susceptible de s'adapter aux conditions du monde contemporain, et ne se manifeste pas comme un phénomène strictement sectaire qui n'accorderait la Délivrance et le Salut définitif qu'à une minorité de privilégiés. En se libérant progressivement des chaînes du ritualisme védique, en se spiritualisant, au fil des réformes successives inspirées par les grands maîtres spirituels de son histoire, l'hindouisme peut figurer parmi les plus respectables familles religieuses, aussi bien du temps présent que de l'ensemble de l'histoire des hommes.