Le zen

Une prophétie, inscrite dans la Loi bouddhique et dans les Écritures sacrées, annonçait que l'enseignement de Celui qui s'était éveillé à la connaissance du Bouddha, allait subir des transformations avant d'entrer dans une époque de décadence. En effet. peu à peu la moralité des bouddhistes déclina en raison, vraisemblablement, de l'affaiblissement du pouvoir politique. Les monastères entrèrent en lutte les uns avec les autres, chacun se prévalant de sa propre moralité en face de la vie peu édifiante des autres couvents. Les fidèles étaient désemparés. Tout conduisait à une réforme religieuse, qui allait donner naissance au zen japonais, connu également sous le nom de tch'an, en Chine.

Une posture pour la méditation

Habituellement, les vulgarisateurs donnent une explication étymologique du terme zen . Ce serait la traduction d'un mot chinois tch'an , venu lui-même du sanscrit dhyana , désignant la méditation en posture assise, la position du lotus, assez inconfortable pour les Occidentaux. Mais, il convient de corriger cette présentation qui s'attarde exclusivement sur l'attitude physique, sur la technique, oubliant l'aspect essentiel de la méditation. En fait, il semble que le tch'an désigne avant tout une attitude spirituelle. Cette dernière consiste à libérer l'esprit de toutes les perturbations et passions qui l'entravent et l'empêchent de se pacifier entièrement.

Pour arriver à cette pacification ultime de l'esprit, la posture recommandée consiste à s'asseoir simplement, sans but ni esprit de profit, afin d'accéder à la concentration ; cette position est appelée zazen (za signifiant s'asseoir). Cependant, il ne suffit pas de s'asseoir, les jambes repliées, pour accéder à la connaissance du Bouddha. Les maîtres anciens l'avaient déjà souligné : si cela était suffisant, toutes les grenouilles seraient, depuis les origines du monde, des Éveillés. L'immobilité du schéma corporel cache une activité spirituelle intense : celle de se libérer de toutes les puissances attractives du monde, pour atteindre un Éveil comparable à celui du Bouddha.

Pratiquée régulièrement - tous les jours, et même plusieurs fois par jour - cette technique corporelle permet l'élargissement de la conscience.

Assis sur un coussin rond, celui qui s'exerce à la méditation croise les jambes en lotus, le pied sur la cuisse, en appuyant fortement sur le sol avec les genoux. Le menton doit être rentré, ce qui permet à la nuque d'être dégagée. Ainsi, on pousse le ciel avec la tête et le sol avec les genoux. La colonne vertébrale se cambre dans la tension entre ciel et terre, un peu comme un arc tendu, dont la corde est un fil imaginaire entre le nez et le nombril. La flèche de cet arc est l'esprit. Assis de la sorte, l'homme pose ses poings fermés sur les cuisses, près des genoux ; il se balance, à gauche et à droite, jusqu'au moment où il trouve son équilibre parfait.

Alors, il joint les mains devant soi, pour saluer, par exemple, la statue du Bouddha. Puis, il pose la main gauche dans la main droite, la paume tournée vers le ciel, à hauteur de l'abdomen. La pointe de la langue touche le palais. Les yeux sont mi-clos, mais ne regardent rien, même s'ils découvrent tout.

La respiration joue un rôle très important. Celui qui pratique le zazen s'unit à la respiration de l'univers entier, par un rythme lent, puissant et naturel de son souffle vital. En maîtrisant sa respiration, il neutralise l'effet des passions et des instincts et peut ainsi contrôler toute son activité mentale et spirituelle. C'est à l'intérieur de lui-même que le véritable adepte découvre sa participation effective au rythme du monde. Par cette prise de conscience, par cette unification au souffle de la vie, il parvient à la libération dans l'ici et le maintenant, sans se soucier de l'avenir, sans se troubler des événements passés. Toute la méditation zen se résume dans cette concentration présente de l'adepte, qui, négligeant les urgences de l'action, refusant les passions, accepte de s'asseoir simplement pour entrer en harmonie avec l'âme du monde.

Un enseignement privé de textes

Selon la tradition, c'est au religieux Bodhidharma qu'est due la naissance du bouddhisme en Chine. Si ce patriarche n'est pas un personnage légendaire, son caractère historique est cependant très discuté : il serait arrivé en Chine, vers les années 500 de notre ère, et aurait alors introduit, à sa manière, la doctrine de Celui qui s'est éveillé. Sa doctrine suppose que le Bouddha avait réservé à quelques-uns de ses disciples un enseignement qu'il n'aurait pas divulgué à la foule de ses auditeurs.

Cet enseignement ésotérique se serait alors transmis d'esprit à esprit, sans jamais se fixer matérielle ment dans des textes. Une forme du tch'an amènera le rejet presque systématique de toute écriture, fut-elle sacrée, et même, par la suite, de toute dévotion à un culte du Bouddha.

La doctrine est essentiellement spirituelle, elle vise à parvenir à l'illumination parfaite, à la pleine vision des choses, par l'identification radicale avec le Rien. Le sage qui parvient à cette unification atteint ainsi la libération du cycle infernal de la transmigration. Pour ce faire, il ne faut même pas s'adonner à une quelconque culture spirituelle : étant elle même une activité, elle conduit à reprendre le cycle des réincarnations. Il faut être sans pensée ; ce qui ne veut pas dire ne penser à rien. Il s'agit, au contraire, de penser à tous les objets, sans qu'aucun ne fixe l'attention, sans chercher à obtenir une connaissance des uns ou des autres. Celui qui ramena l'esprit du tch'an au Japon, où il devint le zen, Maître Dogen décrit ainsi le zen : Apprendre le zen. c'est nous trouver ; nous trouver, c'est nous oublier ; nous oublier, c'est trouver la nature de Bouddha, notre nature originelle .

Pour l'adepte, il s'agit de se comprendre soi-même, dans une harmonie avec les enseignements que le Bouddha avait réservés à quelques initiés.

Sans le secours des textes sacrés, il lui faut retrouver la source de la sagesse, l'unité avec l'esprit qui remplit l'univers de sa présence invisible. Ainsi, le mouvement des mains pendant la méditation prend-il un sens : en ouvrant les mains, l'adepte peut recevoir toutes choses, et, en les gardant vides, il peut contenir l'univers entier. C'est aussi dans les mains vides qu'il est possible de découvrir le symbole de l'esprit humain : il est vide quand il ne s'attache à aucune réalité matérielle.

L'enseignement du maître ne vise pas à inculquer des vérités éternelles dans l'esprit de son disciple. Mais il invite chaque fois à dépasser les réponses toutes faites. De la sorte, le zen, en tant que doctrine, peut surmonter toutes les contradictions : la tâche du maître est d'inviter son élève à aller au-delà de sa pensée initiale, à découvrir au-delà des apparences la réalité qui fait vivre tout l'univers. Ainsi, le zen s'inscrit en faux contre toute tentation idolâtrique. La statue du Bouddha devant laquelle le fidèle s'incline et se prosterne, durant sa méditation, n'est rien d'autre que du bois. Elle peut brûler ; le fidèle n'en sera pas affecté, même s'il s'inclinait devant elle avec le plus profond respect.

Ce n'est pas la représentation momentanée qui lui tient particulièrement à cœur, c'est l'essence même de la bouddhéité, la nature divine, qui dépasse les apparences.

Redécouvrir les origines de la vie

Taïsen Deshimaru, considéré comme le Bodhidharma des temps modernes, est chargé par sa mission de faire connaître le zen au monde occidental. Il reconnaît que la pratique du zazen est le secret du zen, et que le zazen est difficile . Malgré cette difficulté, il convient de le pratiquer régulièrement, chaque jour, parce qu'il apporte un élargissement de la conscience et un développement de l'intuition, L'essentiel se résume dans la posture extérieure qui permet l'éveil. Celui qui se soumet à une telle pratique peut devenir réceptif à toutes les sensations de son corps. Il devient ainsi un homme nouveau, parce qu'il redécouvre en lui-même les origines de la vie, parce qu'il saisit le fondement de son existence. Tout ce qui apparaît aux yeux mi-clos de l'adepte n'a plus d'importance, ses instincts et ses passions sont dominés et chassés. L'homme atteint alors son inconscient profond, qui, au delà de toute pensée, est la vérité la plus pure et la pureté la plus vraie. Le zen est difficile pour celui qui s'y initie, mais il devient très simple pour celui qui s'y exerce. Comme dans toute vie humaine, c'est une affaire d'effort et de répétition.

L'enseignement de la posture, qui est la transmission même de l'essence du zen, a lieu dans un dojo, le lieu de la pratique de la Voie. Il est donné par un maître initié, dans . la lignée des grands maîtres et patriarches, dans la lignée même du Bouddha. L'objet de cet enseignement se résumerait facilement dans les quatre attitudes fondamentales : se tenir debout, marcher, s'asseoir, s'allonger. Les autres positions corporelles ne sont que des postures brisées, faites d'éléments de l'une ou de l'autre position. Ce qui constitue le principe même de toute position, c'est de ressentir le contact avec la terre d'une part, mais aussi et peut-être même surtout de tourner son regard à l'intérieur de soi-même. Que ce soit assis ou allongé, debout ou en marche, l'adepte doit laisser passer les pensées, pour que l'esprit et le corps trouvent leur unité.

L'énergie vitale, poussée par l'expiration, se rassemble dans le bas-ventre où elle agit fortement. Le hara, centre de gravité du corps, situé à quelques centimètres en-dessous du nombril. regroupe toute cette énergie. Aussi les arts martiaux, le karaté, l'aïkido, le judo... sont-ils fondés sur cette concentration énergétique. Mais il ne faudrait pas pour autant croire que ces arts martiaux soient de simples techniques sportives ou de combat. Ce sont, avant tout, des méthodes, des voies, ainsi que le désigne le do de judo et d'aïkido, pour atteindre la maîtrise de soi, par le contrôle de l'énergie interne, en vue de communier avec l'ordre de l'univers. Il faut éprouver cette présence dans l'esprit et le corps, dans l'ici et le maintenant.

Cette communion est rendue possible par le silence. Alors que la vie actuelle est trépidante, marquée par une véritable cacophonie, le zen comme le yoga d'ailleurs sont des voies de retour au silence, celui-ci étant l'expression de la nature profonde de l'homme. L'âme de l'univers ne s'exprime que par son silence, et il n'est possible d'entrer en relation avec elle qu'en retrouvant une conscience silencieuse, qui échappe à toutes les déterminations bruyantes de la vie humaine, En devenant silencieux, l'adepte zen revient à la nature profonde de l'homme. La parole ne prend son sens qu'à travers le silence qu'elle découpe. Le poids d'une parole n'est perçu que sur un fond de silence.

C'est sans doute la raison pour laquelle les véritables sages ne parlent jamais beaucoup. Ils ont saisi que ni la parole ni l'écrit ne peuvent exprimer la vérité ultime de l'univers. Ils ont compris qu'il n'est pas possible de discuter le zen. mais qu'il faut le vivre, le pratiquer, en oubliant tout, en s'asseyant en silence. Ainsi, l'adepte parvient à l'éveil, à sa condition originelle. Il échappe au déterminisme des rétributions, car il n'a plus ni intention ni pensée particulière, ni notion du bien et du mal, ni non plus de karma, d'enchaînement des causes et des effets dans son existence.

Une promesse de salut immédiat

Depuis la première prédication de Gautama Bouddha, au parc des Gazelles de Bénarès, la doctrine de l'Éveillé se présente comme une promesse de salut, une voie de libération des réincarnations successives. Mais la réalité profonde du bouddhisme est davantage une analyse de la condition humaine présente. Le phénomène que le Bouddha constate avec une grande précision, c'est le caractère universel de la souffrance. Pour lui, aucune solution intellectuelle ne peut être apportée à cette présence accablante de la souffrance dans toute vie humaine. L'homme est un être voué à la mort, comme à sa fin dernière, mais c'est en même temps un être voué à la souffrance dès l'instant de sa naissance. En constatant la présence de cette maladie inscrite dans l'existence, le Bouddha n'a pas tardé à en faire une sorte d'essence : il transformait la singularité de chaque cas en une règle d'universalité. Par suite. il ne donnait qu'un seul remède à l'abolition de la souffrance : opposer une nouvelle essence à la première. C'est sans doute une faille dans le sillonnement de la doctrine de l'Illuminé.

En effet, celui-ci récuse tout arrière-monde, tout lieu paradisiaque où pourraient subsister des divinités transcendantes ou même des essences universelles. La réalité que rencontre le bouddhisme n'est pas une idée, mais un vécu concret, ressenti par les individus et par les sociétés.

Tout l'effort du bouddhisme sera de parvenir à l'état de boddhi, d'éveillé, qui ouvre l'accès au nirvâna, ce lieu où sont éteints tous les phénomènes, par le passage de la mort. Cette croyance qui anime le bouddhisme marquait la permanence d'une entité supérieure réglant le cours de l'univers. Dans la plus pure tradition de Gautama, le fait de parvenir à la délivrance était une fin, un but.

Cependant, arriver à l'éveil, devenir soi-même boddhi n'est pas une fin à proprement parler. Le tch'an, ou le zen, souligneront, avec une grande justesse, que l'éveil ne peut s'obtenir que par celui qui est totalement désintéressé. Cet état d'éveil est inexplicable par des mots, par des concepts, il ne peut être qu'expérimenté : le zen n'est pas une voie vers une issue, mais une pratique, un mode de vie.

Et cela n'est pas repoussé à l'extrémité de l'existence mais est offert maintenant. L'adepte peut atteindre le nirvâna dès le moment présent, tout en sachant que son éveil ne tardera pas à disparaître, lorsqu'il sera pris une nouvelle fois par les occupations qu'il avait abandonnées pour s'asseoir et se livrer à la méditation.

Alors que le bouddhisme ancien annonçait la délivrance pour un au-delà de la mort dans le parinirvâna, le tch'an, le zen, la ramènent dans l'actualité. Dans le temps du monde présent, coexistent et doivent coexister l'éveil et l'illusion, ces deux contraires qui permettent au sage de sortir du monde des illusions, de même que le jour n'existerait pas sans la nuit, le chaud sans le froid, la clarté sans l'obscurité. Les maîtres zen ne cessent de rappeler à leurs disciples qu'ils ne doivent pas se lancer dans la quête de l'illumination, car l'éveil n'est pas un but que l'on peut atteindre comme une flèche atteint sa cible. L'éveil est au plus profond de l'homme lui-même : Vous êtes tous des Bouddha, il vous suffit de le savoir.

Trois miroirs de la conscience cosmique

Le San Do Kai, le Shin Ji Mei et l'Hokyo Zan Mai sont considérés comme les textes sacrés fondamentaux pour pénétrer l'essence du zen. Dans tous les temples, ces textes sont récités chaque jour par les moines, et même par les enfants-moines, les shami, dès leur plus jeune âge.

Le San Do Kai est l'oeuvre de Maître Sekito Kisen, moine ordonné par le sixième patriarche du tch'an, au huitième siècle. Le titre lui même porte la signification de tout l'enseignement de ce maître.

San porte la notion de différence, Do celle d'identité, Kai celle de mélange, de fusion. La différence et l'identité sont nécessaires pour que se réalise l'équilibre, la voie harmonieuse du milieu. L'enseignement donné est simple ; les apparences et la réalité sont intimement liées, les phénomènes et l'essence se mêlent, s'interpénètrent. Le texte du San Do Kai est très court, mais il se présente comme un condensé d'enseignements antérieurs. De plus, il a donné lieu à de nombreux commentaires. Il affirme son origine bouddhiste : L'esprit du grand maître de l'Inde s'est transmis intimement, discrètement, fidèlement, de l'Est à l'Ouest. Le principe de la gratuité du zazen est également affirmé avec force : S'attacher aux phénomènes est cause de l'illusion, mais s'attacher à la vérité n'est pas l'éveil. L'essence, la vérité n'est que du vide : tout n'existe que dans le monde phénoménal ; et vouloir trouver l'essence ne peut conduire à l'éveil véritable. En fin de ce texte, on trouve également un aspect fondamental du zen, la prise de conscience de l'ici-maintenant : Humblement, je dis à ceux qui cherchent le chemin, la voie, de ne pas gâcher le moment présent.

L'expression de la foi se trouve dans le Shin Ji Mei, le poème de la foi en zazen, écrit par Maître Sozan, le troisième patriarche de la doctrine. L'essentiel, pour l'adepte, c'est d'être libéré de toute contrainte, qu'elle soit physique, morale ou spirituelle. Pour réaliser l'éveil ici et maintenant nous devons être libérés de l'idée du juste et du faux. Alors, le fidèle peut commencer à découvrir la profondeur de son origine, sans s'attacher aux phénomènes illusoires, sans non plus se livrer à l'étude des essences, qui ne sont que pure vacuité. Si notre esprit demeure calme, tranquille, dans sa condition originelle, il s'évanouit, naturellement, spontanément, comme dans le sommeil. Mais, c'est alors que le fidèle s'éveille.

L'Hokyo Zan Mai, le Shamadi du miroir du trésor, est un livre essentiel pour la compréhension du Zen. C'est l'explicitation du phénomène de la concentration en zazen que l'adepte doit connaître pour devenir moine et que le moine doit comprendre parfaitement afin de devenir maître. Ceci n'est pas simple ; la plupart des moines, qui le récitent tous les jours, ne le comprennent d'ailleurs pas complètement. Il se peut même que ceux qui enseignent le Zen n'arrivent pas à la complète compréhension de ce texte, Tout d'abord, c'est un texte ancien, et, dans toutes les langues, on constate une évolution progressive au cours des siècles. La pensée de Maître Tozan (807-869), l'auteur de ce poème, s'est exprimée essentiellement par des idéogrammes. Ceux-ci ont limité de façon considérable ses moyens d'expression ; mais il faut maintenant parvenir à retrouver l'esprit du Maître au-delà des mots. L'enseignement fondamental est la communication des deux esprits, celui du maître et celui du disciple : toute la visée consiste à se passer des moyens ordinaires pour une parfaite compénétration des esprits, pour une complète fusion des deux consciences :

Chaque jour, mon esprit et ton esprit communient, ma conscience et ta conscience aussi...

Et, de jour en jour,

ma conscience et la tienne,

mon esprit et le tien,

se mirent l'un dans l'autre.

La communication se fait d'abord par la transmission orale ou écrite de la pensée traditionnelle.

Pendant que le disciple se trouve en position zazen, son esprit est plus réceptif à l'enseignement qui lui est donné sous forme de causeries, de conférences, puisque sa conscience se vide de toutes ses préoccupations extérieures, afin de ne vibrer que de la pensée du Maître. Mais finalement, il n'y a qu'une seule vérité absolue : celle de s'asseoir et de méditer dans le silence intérieur. Dans la véritable éducation, le maître comprend tout et regarde l'esprit de son disciple. Alors la ligne de démarcation entre les deux consciences se trouve abolie, les deux esprits se rencontrent au point de ne plus faire qu'un dans une véritable communion, dépassant toutes les formes de dialectique et d'opposition dans l'unité authentique :

Le maître est le maître,

le disciple est le disciple.

Mais le maître est aussi le disciple,

le disciple est également le maître.

La contemplation revient alors à cette forme de connaissance de soi-même et de l'âme de l'univers, comparable à la connaissance que l'on peut prendre de soi à travers le miroir :

Comme en vous contemplant dans le miroir,

la forme et le reflet se regardent.

Vous n'êtes pas le reflet,

mais le reflet, c'est vous.

 

Spiritualité zen et spiritualité chrétienne

Par le nombre de leurs fidèles, le christianisme et le bouddhisme sont les deux religions les plus importantes du monde. Elles représentent deux formes de spiritualité : celle du monde occidental et celle de l'Orient. Si le christianisme a pu pénétrer en Orient, il n'en est pas de même pour le bouddhisme, connu en Occident depuis une centaine d'années seulement. Les méthodes de concentration et de méditation zen ont fait leur apparition dans la chrétienté depuis quelques décennies : des sessions zen se déroulent dans certains centres traditionnellement catholiques, ainsi par exemple dans les couvents dominicains. Le cadre silencieux de ceux-ci favorise peut-être la pratique zazen.

Ces échanges peuvent sans doute être très profitables, au niveau des techniques. Mais il conviendrait de ne pas opérer une fusion trop rapide entre les deux doctrines, dans une assimilation plus ou moins nette du Christ et du Bouddha.

Même si certains points de leurs enseignements sont comparables, la forme de la révélation qu'ils apportent l'un et l'autre est radicalement différente.

Le Bouddha préconise la libération par la prise de conscience de soi, alors que le Christ annonce et confirme ce que les prophètes du judaïsme avaient commencé à manifester : la libération vient toujours d'ailleurs, d'un Dieu transcendant, et l'homme livré à ses seules forces ne peut y parvenir.

Tout effort de rapprochement entre le bouddhisme et le christianisme ne peut aboutir qu'à la constitution de cellules plus ou moins sectaires, si on néglige cette aperception fondamentale. Ce serait trahir la vérité, de part et d'autre, que de céder à la confusion facile. Néanmoins, la pratique des techniques de méditation ne peut être nocive, si l'on garde à l'esprit les exigences de l'une et l'autre religion. Parvenir à déceler en soi-même l'ultime présence n'est-ce pas le voeu secret de toute démarche religieuse ?