Les livres sacrés de la tradition islamique

 

Le Coran est le livre par excellence, puisqu'il contient, pour tous les fidèles de l'Islam, l'ensemble du message que Mahomet a reçu de Dieu pour le transmettre d'abord aux Arabes et ensuite à tous les hommes.

Le miracle du Coran selon Mahomet

Aux Qoraïchites polythéistes, qui réclamaient un miracle de la part de Mahomet, pour qu'il puisse ainsi être accrédité dans sa mission, Mahomet refusa de leur donner satisfaction. Une révélation, faite au Prophète, souligne d'ailleurs qu'il aurait été possible à Dieu d'accorder à son Envoyé le pouvoir de faire des miracles, mais ceux-ci ont toujours été considérés comme des mensonges par les gens à qui ils étaient proposés pour leur faire partager la foi monothéiste : Rien ne nous aurait empêcher de t'envoyer avec le pouvoir des miracles, si les peuples d'autrefois n'avaient pas déjà traité les précédents de mensonges (Sourate XVII, 62). Les miracles sont très peu efficaces dans le domaine de la foi : les fils d'Israël, juste après le passage de la Mer Rouge, qui devait leur apparaître comme un bien grand miracle, s'empressèrent de construire un veau d'or qu'ils adorèrent, oubliant rapidement les prodiges dont ils avaient été les premiers bénéficiaires. Les polythéistes mekkois n'auraient pas davantage été impressionnés par la vue des miracles que le prophète aurait pu accomplir pour justifier sa mission auprès d'eux. Ils ont juré, devant Dieu, par le serment le plus solennel que s'il leur fait voir un miracle, ils y croiront. Dis : Dieu dispose à son gré des miracles, mais il ne veut pas vous faire comprendre qu'ils ne croiraient pas lorsque les miracles sont accomplis. Parce qu'ils n'ont pas cru la première fois, nous détournerons leurs coeurs et leurs yeux, nous les laisserons marcher aveuglément dans leur rébellion. Si nous avions fait descendre les anges vers eux, si les morts leur avaient parlé, si nous avions rassemblé devant eux tout ce qui existe, ils n'auraient pas cru si Dieu ne l'avait voulu ; mais la plupart d'entre eux ignorent cette vérité (Sourate VI, 109111). Le seul miracle qui fut accordé à Mahomet en face de tous ses adversaires idolâtres, ce fut la révélation des ayats (pluriel du terme aya, qui se traduit par signe, témoignage, prodige) La révélation de chaque verset, la descente du ciel de chacun d'eux est considérée comme un don céleste, vraiment miraculeux.

Les miracles, accomplis par les prophètes qui avaient pu précéder Mahomet dans l'histoire de l'humanité, avaient été, pour ainsi dire, passagers, ils avaient été oubliés : mais la révélation de la Parole de Dieu, sous la forme des versets coraniques, devait constituer le miracle permanent.

Et ce miracle commence dès les premières phrases que Mahomet va entendre et qu'il répétera ensuite à son épouse et à quelques amis intimes. Au cours de la mystérieuse nuit, qui sera appelée la nuit de la destinée , alors que Mahomet est âgé d'environ quarante ans, une voix lui intime l'ordre de lire, alors qu'il ne sait pas lire. Cet événement est rappelé dans la Sourate XCVI que les musulmans considèrent comme la première de toutes les révélations faites au Prophète de la part d'Allah, par son ange Gabriel : Lis au Nom de ton Seigneur qui t'a créé ! Il a créé l'homme d'un caillot de sang. Lis ! Car ton Seigneur est le Très-Généreux, qui instruit l'homme au moyen de la plume, qui lui enseigne ce qu'il ne connaît pas. C'est alors que l'ange Gabriel lui fit comprendre qu'il était l'envoyé, le Prophète d'Allah, lui révélant en même temps son identité angélique : O Mahomet, tu es le Prophète d'Allah, et moi je suis Gabriel.

Dans cette nuit de la destinée, le Coran descendit du ciel supérieur où il était conservé jusqu'au ciel inférieur, juste au-dessus de la terre ; puis, de ce ciel inférieur, ces paroles de Dieu descendront vers les hommes par la bouche de l'Envoyé qui les exprimera, sourate après sourate, pendant une vingtaine d'années, de manière à faire connaître aux hommes la volonté divine, à organiser la religion et le culte du Dieu unique et à faire triompher l'Islam à la face du monde.

L'organisation du texte coranique

On pense généralement, ainsi que le souligne la tradition musulmane, que Mahomet était illettré, qu'il ne savait pas lire et qu'il devait se contenter de répéter les paroles de la Révélation qui descendaient en lui. Les premiers croyants recueillirent donc de sa bouche les premiers ayats révélés, les apprenant par coeur, de façon à pouvoir les transmettre à leur tour à ceux qui deviendraient croyants. Dans un premier temps, les messages révélés seront donc entièrement confiés à la mémoire et transmis de bouche à oreille, selon une tradition purement orale. Pourtant, devant la multiplication des ayats, des signes révélés, devant leur longueur composant des ensembles très différents, ensemble qui seront appelés soura, d'où le nom français de sourates donné aux chapitres du Coran, certains textes sont consignés par écrit sur des matériaux de fortune : omoplates de chameaux, morceaux de cuir... Mais ce besoin de fixer la révélation par écrit n'apparaît pas comme une urgence formelle, ni au Prophète, ni à ses adeptes les plus proches. Mais cette notation reste très fragmentaire, et surtout rudimentaire, en raison de la pauvreté des matériaux ; des divergences prenaient déjà naissance dans cette transmission des révélations par l'écriture.

Ce n'est qu'après la mort du Prophète que ses proches vont s'inquiéter du sort qui sera réservé aux révélations coraniques. Les premiers califes, Abou Bakr et Omar, successeurs immédiats du Prophète, sur le plan temporel, décident qu'il fallait laisser aux générations suivantes, qui ne seraient pas directement témoins des grands événements de la révélation, un document complet, qu'il serait possible de consulter, pour régler toutes les discussions pouvant surgir quant à l'interprétation des paroles prononcées par le prophète en écho avec la Parole même de Dieu. Déjà, des dissensions se manifestaient au milieu des fidèles relativement à l'interprétation de certaines paroles Un immense travail de compilation fut alors entrepris. Abou Bakr, le successeur immédiat de Mahomet, se lance lui-même dans cette immense entreprise, organisant personnellement un recueil qui ne jouira pas d'une très grande autorité, d'ailleurs les recueils composés par les intimes du Prophète ne seront guère retenus, en raison, semble-t-il, de leur caractère trop personnel, trop intime. C'est le troisième calife, Othman, qui ordonna de réunir dus un livre unique les différents textes qui avaient pu être réunis par les croyants : la recension qui fut entreprise était plus large et plus systématique que les souvenirs intimes des amis directs du Prophète. Une sorte de Vulgate du Coran était ainsi réalisée ; elle devait supplanter toutes les recensions individuelles. Une fois, ce texte, à volonté d'universalisation, entièrement composé, Othman imposa une mesure qui peut paraître sacrilège : il ordonna la destruction de tous les matériaux sur lesquels avaient été transcrits des extraits des révélations faites à Mahomet, du vivant même du Prophète ou encore les paroles pieuses que le Prophète aurait prononcées en présence de ses secrétaires.

La fixation du Coran par écrit ne dispense cependant pas les fidèles d'étudier ce texte, en l'apprenant par coeur. De la sorte, ce Livre révélé demeure toujours ce qu'il veut être, en raison même de son étymologie : une récitation de la Parole de Dieu. Malgré des critiques, émanant des chiites, qui reprochèrent à la recension d'Othman d'avoir supprimé de nombreux passages concernant l'imâm Ali, devenu le quatrième calife au moment de la succession d'Othman, ce texte, qui a traversé les siècles, et dont l'invention de l'imprimerie a fixé le contenu d'une manière définitive, est universellement admis comme authentique. Ce livre saint fait le lien entre les différentes communautés musulmanes, il constitue même l'unité parfaite de la grande communauté islamique répandue à travers le monde. Il reste encore actuellement, au musée d'Istanbul, des copies de l'édition coranique voulue par Othman, copies datant de la fin du huitième siècle de l'ère chrétienne. Par la suite, le Coran a été entièrement reclassé dans un ordre différent, en regroupant les sourates soit en tenant compte de l'ordre chronologique de leur révélation, soit plus simplement en les classant dans un ordre de longueur décroissant, c'est-à-dire selon l'ordre pratiquement inverse de la chronologie.

Cette division en chapitres (sourates) et en versets date vraisemblablement du dixième siècle. Le Coran, tel qu'il se présente aujourd'hui, comporte cent quatorze sourates. La deuxième sourate est la plus longue, tandis que les dernières ne contiennent que quelques versets. La tradition musulmane s'est contentée d'indiquer, pour chaque sourate, s'il s'agissait d'un texte dicté à La Mekke ou à Médine, ce qui souligne déjà clairement que le Coran, même s'il est LA Parole de Dieu par excellence, n'en reste pas moins, un texte qui a connu une intervention humaine pour présider à sa rédaction. Ainsi, historiquement, le Coran a été reçu et transmis en deux grandes périodes, lesquelles couvrent les deux grandes époques de l'activité prophétiques de Mahomet : celle de La Mekke, à compter de la nuit de la destinée jusqu'au moment de l'hégire, de l'émigration, période que la tradition estime à une dizaine d'années, et celle de Médine, à compter de l'hégire jusqu'à la mort du Prophète, soit également une dizaine d'années. L'analyse scientifique et littéraire montrerait que les premières révélations empruntent un style concis, avec des phrases courtes, un peu comme pour souligner l'aspect volontairement interpellant de la révélation : chaque phrase apparaît comme une sorte d'éclair qui manifeste la présence de Dieu et qui invite les croyants à lui rendre la gloire qui lui appartient.

La période médinoise de la révélation regroupe des versets plus longs et certainement beaucoup plus travaillés, soulignant par le style même le travail d'organisation de la première communauté islamique de Médine.

Si le texte originel du Coran est inimitable, s'il constitue également un véritable miracle sur le plu littéraire, dans la civilisation arabe, il n'en demeure pas moins un livre particulièrement austère dans lequel il n'est guère possible de pénétrer sans une grande préparation : il faut le comprendre et le vivre intensément pour être capable de le lire, de le réciter avec son coeur. C'est d'ailleurs le propre de tout livre saint pour chaque croyant qui place sa foi dans une révélation de Dieu dans une Écriture sacrée.

La prédication coranique à La Mekke

Dès les débuts de la révélation qui lui est faite de sa mission, Mahomet est inquiet, il hésite en constatant la grandeur de la mission qui lui est confiée. Celle-ci est exprimée en quelques versets, au cours de la sourate LXXIV : O toi qui es revêtu d'un manteau ! Lève-toi et avertis ! Glorifie ton Seigneur ! Purifie tes vêtements ! Fuis l'abomination ! Ne donne pas en espérant recevoir davantage ! Sois patient avec ton Seigneur ! La consolation lui vient néanmoins de la part de Dieu : malgré les tribulations que pourra connaître celui qui est envoyé de la part de Dieu au milieu des siens, la vie future est meilleure pour lui que celle-ci, il l'a trouvé errant, à la recherche d'un sens à sa vie, et il lui a procuré le refuge de l'Islam, il l'a guidé sur les justes chemins ; c'est maintenant à Mahomet de proclamer les bienfaits du Seigneur. Et la sourate XCIV, qui a donné lieu à une interprétation mythologique et légendaire, rappelle au Prophète angoissé devant l'importance de sa mission que le secours de Dieu restera toujours près de lui : Ne t'avons-nous pas ouvert ton coeur ? Ne t'avons-nous pas débarrassé du fardeau qui pesait sur tes épaules ? N'avons-nous pas exalté ta renommée ? Le bonheur est proche du malheur.... Les premières révélations qui sont faites à Mahomet contiennent donc le sens de sa mission et les encouragements divins qui lui sont nécessaires pour surmonter toutes les épreuves qui se dresseront devant lui.

Une suite de vingt-trois sourates arrive alors pour illustrer cette expérience fondamentale du Prophète : la révélation l'a frappé comme la foudre, son expérience du divin est absolument unique, elle est même inexprimable. Néanmoins, l'objet qui lui a été révélé se doit d'être communiqué à tous les hommes, parce qu'il les concerne au plus haut point : il s'agit de leur propre salut. Mahomet est intimement convaincu de la proximité du jugement que Dieu va opérer sur l'ensemble de l'univers : Un questionneur a réclamé un châtiment inéluctable pour les incrédules. Nul ne peut repousser celui-ci, il vient de Dieu... Ces incrédules pensent que le châtiment est loin, alors que nous le voyons tout proche. Le ciel, ce jour-là, apparaîtra comme du métal fondu... Nul ami fervent ne s'inquiétera plus de son ami, quand ils s'apercevront. Le coupable aimerait pouvoir se racheter ce jour-là du châtiment, en livrant ses fils, sa compagne, son frère, son clan qui lui donnait asile, et tout ce qui existe sur la terre pour être sauvé. Mais non !... voici un brasier ; il arrache les membres, il appelle celui qui a reculé et qui a tourné le dos, celui qui amassait et thésaurisait... (Sourate LXX). Le châtiment de Dieu est inéluctable, même si l'heure où il viendra n'est encore connue que de Dieu seul ; ce châtiment sera réservé aux impies, à ceux qui refusent de croire et de se soumettre à la voie droite, en conservant fidèlement la révélation. Tous les hommes seront jugés selon leurs conduites, les justes connaissant le sort des Élus, les mauvais le sort des Damnés : Ce jour-là, vous serez exposé en pleine lumière, aucun de vos secrets ne restera caché. Celui qui recevra son livre dans la main droite dire : Voici ! Lisez mon livre ! Je savais que j'y trouverai mon compte. Il jouira d'une vie agréable dans un Jardin situé très haut et dont les fruits sont à portée de la main. Mangez et buvez en paix en récompense de ce que vous avez accompli dans les jours passés. Mais celui qui recevra son livre dans la main gauche dira : Malheur à moi ! Si on ne m'avait pas remis mon livre, je ne connaîtrais pas mon compte ! Hélas ! Si seulement cette mort était définitive ! Ma fortune ne m'a servi à rien et ma force a disparu ! - Saisissez-le ! Qu'on lui mette un carcan ! Jetez-le dans la fournaise et liez-le avec une chaîne de soixante-dix coudées. Il ne croyait pas en Dieu, l'inaccessible, il n'encourageait personne à nourrir le pauvre (Sourate LXIX).

Si la connaissance de l'heure du jugement de Dieu appartient au secret même de Dieu, l'homme ne doit cependant pas cesser de s'en soucier : il doit toujours garder à l'esprit cette proximité de Dieu, car tout ce qui se trouve sur la terre est appelé à disparaître ; seule, la face de ton Seigneur subsiste, pleine de majesté et de munificence (Sourate LV, 26-27). Les descriptions du jugement de Dieu devaient impressionner ceux qui recevaient le message : les imprécations de Mahomet se font violentes contre ceux qui ne suivent pas le chemin voulu par Dieu : Malheur au calomniateur acerbe qui amasse des richesses et qui les compte. Il pense que ses richesses le rendront immortel ! Non, il sera précipité dans la Houtama. Comment pourrais-tu savoir ce qu'est la Houtama ? C'est le feu de Dieu allumé qui dévore jusqu'aux entrailles. Il se refermera sur eux en longues colonnes (Sourate CIV).

Mais comment l'homme peut-il échapper aux tourments du châtiment de Dieu ? Il lui faut suivre les préceptes enseignés par le Prophète. La mission transcendante de Mahomet est alors affirmée comme une sorte de corollaire à l'imminence de l'heure du Jugement. Contrairement à ce que les premiers témoins pouvaient penser en voyant Mahomet pris dans les transes de la Révélation, il n'était pas possédé par quelque esprit mauvais, il était emporté par la Parole de Dieu qui se révélait à lui. Par l'étoile lorsqu'elle disparaît, votre compagnon n'est pas égaré, il n'est pas dans l'erreur, il ne parle pas sous l'empire de la passion. C'est seulement une révélation qui lui a été inspirée. Le Puissant, le Fort la lui a fait connaître... Le coeur n'a pas inventé ce qu'il a vu. Allez-vous donc élever des doutes sur ce qu'il voit ?... Il a vu les plus grands signes de son Seigneur (Sourate LIII, 1...18).

Progressivement, à mesure que la révélation s'amplifie, les attaques de Mahomet contre ses opposants mekkois se font plus vives, et l'on perçoit facilement que la rupture était déjà presque inévitable entre les adeptes du monothéisme absolu et les polythéistes idolâtres, qui refusaient de se convertir et de suivre les préceptes de l'Islam. Une série de sourates rappelle l'urgence de la conversion en raison de l'heure eschatologique qui ne fait qu'approcher, tout en invitant, de manière pressante, les auditeurs de Mahomet à s'engager dans les chemins de la conversion, en pratiquant l'aumône, en renonçant à leur conduite passée et en rendant le culte au Dieu unique. Par Gabriel, Mahomet avait reçu la révélation de l'unicité de Dieu : Dis : Dieu est un, Dieu, lui seul ! . Et c'est à lui seul qu'il voulait que soit rendu le culte et la prière. Le texte qui résume peut-être le plus parfaitement la révélation coranique, dans cette première partie de la prédication mekkoise, est la première sou rate, celle qui sert de liminaire à l'ensemble du Coran, et qui apparaît comme l'élément primordial de toute dévotion, dans le monde de l'Islam :

Au nom de Dieu,

celui qui fait miséricorde,

le Miséricordieux.

Louange à Dieu,

Seigneur des mondes,

celui qui fait miséricorde,

le miséricordieux,

le roi du jour du jugement.

C'est toi que nous adorons,

c'est toi dont nous implorons le secours.

Dirige-nous dans le droit chemin,

le chemin de ceux que tu combles de bienfaits,

non pas le chemin de ceux qui encourent ta colère,

ni celui des égarés.

Comme la plupart des Mekkois restaient particulièrement sceptiques au message de Mahomet, celui-ci développa, sous l'effet de l'inspiration, un nouveau thème de prédication : celui du prophète qui parle dans le désert. Vingt-deux sourates comprises entre la sourate MII et la sourate LIII sont les traces de cette deuxième période mekkoise de la prédication coranique. Abraham est l'exemple même du prophète qui n'est pas compris par les siens, puisqu'il ne réussit même pas à convaincre son propre père. Mentionne Abraham dans le Livre. Ce fut un juste et un Prophète. Il dit à son père : O mon père ! pour quoi adores-tu ce qui n'entend pas, ce qui ne voit pas, ce qui ne te sert à rien ? O mon père, j'ai reçu une science qui ne t'est pas parvenue. Suis-moi ; je te dirigerai sur une voie droite. O mon père ! n'adore pas le Démon, le Démon est rebelle envers le Miséricordieux. O mon père, je crains qu'un châtiment du Miséricordieux ne t'afflige et que tu ne deviennes un suppôt du Démon. Son père lui dit : O Abraham ! Éprouverais-tu de l'aversion pour mes divinités ? Si tu ne cesses pas, je vais te lapider. Éloigne-toi de moi pour quelque temps. Abraham dit : Salut sur toi ! Je demanderai pour toi le pardon de mon Seigneur. Il est bienveillant envers moi. Je m'éloigne de vous et de ce que vous invoquez en dehors de Dieu. J'invoque mon Seigneur, peut-être ne serai-je pas malheureux dans la prière que j'adresse à mon Seigneur. (Sourate XIX, 41-48). Chaque fois qu'une nation impie se détourne du vrai Dieu, celui-ci lui envoie un Prophète pour qu'elle puisse retrouver le chemin du salut, un Prophète comparable à Abraham, à Moïse, ou à Jésus...

Lé propre de tous les prophètes est de souffrir pour la cause de Dieu. Aussi Mahomet finit-il pas ne plus s'étonner d'être la cible des sarcasmes des mekkois idolâtres. Il ne doit pas se désespérer s'il n'arrive pas à convaincre ses compatriotes, il n'est certainement pas responsable de l'endurcissement de leurs coeurs et de l'aveuglement de leurs yeux. Tant pis pour eux s'ils ne comprennent pas les avertissements qui leur sont adressés de la part de Dieu ! Que Mahomet soit donc patient comme l'ont été les autres prophètes avant lui : au jour du jugement, même les impies découvriront qu'il était vraiment le grand envoyé d'Allah, chargé d'annoncer au peuple arabe la Parole du Dieu unique qui avait déjà été adressée aux juifs et aux chrétiens.

Une troisième période mekkoise se dessine dans la révélation coranique. Les sourates qui composent cette partie de la révélation faite à Mahomet correspondent à des homélies que le Prophète devait adresser à l'ensemble des mekkois. Il faut dire que le Prophète est en butte aux vexations de ses compatriotes. La prédication ne s'adresse plus seulement aux habitants de La Mekke, elle s'adresse aussi aux tribus avoisinantes, et les thèmes de la révélation sont repris, en affirmant une nouvelle fois les échecs des prophètes antérieurs, tout en soulignant la supériorité de l'Islam, qui apporte la vérité absolue sur le Dieu unique, transcendant, souverain de l'ensemble de l'univers. Après un exorde édifiant, les sourates rapportent des récits concernant les prophètes qui ont été méconnus par leurs contemporains, avant de se conclure par des menaces pour ceux qui n'acceptent pas le droit chemin de la foi islamique. Dis : ô vous les ignorants ! Allez-vous m'ordonner d'adorer un autre que Dieu ? Oui, il a été révélé, à toi et à tous ceux qui ont vécu avant toi : si tu es polythéiste, tes actions sont vaines, tu seras certainement perdant. Bien au contraire, adore Dieu et sois de ceux qui sont reconnaissants ! Ils n'ont pas estimé Dieu à sa juste mesure. La terre entière, le jour de la Résurrection, sera une poignée dans sa main et les cieux seront pliés dans sa main droite. Gloire à lui ! très élevé au-dessus de ce qu'ils lui associent. On soufflera dans la trompette. Ceux qui sont dans les cieux et ceux qui se trouvent sur la terre seront foudroyés, à l'exception de ceux que Dieu voudra épargner. Puis, on soufflera une autre fois dans la trompette, et voici, tous les hommes se dresseront et regarderont. La terre brillera de la lumière de son Seigneur. Le livre sera posé en évidence. Les prophètes et les témoins viendront. La sentence sera prononcée sur tous, conformément à la justice. Personne ne sera lésé. Chaque homme recevra le prix exact de ce qu'il aura fait. Dieu connaît parfaitement leurs oeuvres. Les incrédules seront conduits en groupes vers la Géhenne. Ses portes s'ouvriront à leur arrivée.

Ses gardiens leur diront : Plusieurs prophètes issus de vous, ne sont-ils pas venus à vous en vous communiquant les signes de votre Seigneur, en vous avertissant de la rencontre de votre jour que voici ? Ils répondront : oui, mais le décret des incrédules sera exécuté. On leur dira : Franchissez les portes de la Géhenne pour y demeurer immortels. Combien est détestable le séjour des orgueilleux ! Ceux qui craignent leur Seigneur seront conduits au Paradis : ses portes s'ouvriront à leur arrivée, ses gardiens leur diront : Paix sur vous ! vous avez été bons. Entrez ici pour y demeurer immortels. Ils diront : Louange à Dieu ! Il a réalisé sa promesse en notre faveur et il nous a donné la terre en héritage ; nous nous installons dans le Paradis où nous voulons. Combien est excellente la récompense de ceux qui ont bien agi... (Sourate XXXIX, 6474).

L'essentiel, dans la pensée de Mahomet, c'était de rompre définitivement avec le paganisme qui sévissait à La Mekke : il ne fallait plus que les nouveaux convertis ne soient tentés de retourner à leurs anciennes pratiques idolâtriques.

C'est dans ce contexte, de la fin du séjour de Mahomet dans sa ville d'origine, que va se développer la vénération des fidèles pour Abraham, qui n'hésita pas à rompre avec les anciennes pratiques idolâtriques de son père pour se tourner vers le Dieu unique et lui réserver le seul culte authentique. Abraham dit : J'ai établi une partie de mes descendants dans une vallée stérile, auprès de ta Maison sacrée (la Kaaba) afin qu'ils s'acquittent de la prière. Fais en sorte que les coeurs de certains hommes s'inclinent vers eux ; accorde-leur des fruits, en nourriture. Peut-être alors te seront-ils reconnaissants (sourate XIV, 37).

La prédication coranique à Médine

En rompant définitivement avec le polythéisme mekkois, en quittant sa patrie pour émigrer vers une oasis située à huit jours de marche de sa ville, Mahomet entreprenait ce qui allait devenir un tournant radical pour l'avenir de l'Islam : il lui fallait maintenant constituer une communauté de tous ceux qui avaient entendu l'appel prophétique qu'il leur avait lancé.

Il lui fallait organiser cette communauté en un véritable état qui respecterait comme seule loi les principes de l'Islam.

C'est toujours d'en-haut, de Dieu lui-même que Mahomet recevra les consignes qui lui permettront de guider ses fidèles dans le droit chemin, en leur permettant d'affronter toutes les difficultés qui se présenteront à eux. Les révélations faites dans le cadre médinois sont les plus longues du Coran : elles ne portent plus simplement l'intérêt sur les questions strictement religieuses, mais elles insistent sur le fondement social de la nouvelle religion.

Naturellement, la prédication médinoise du Coran reprend les thèmes antérieurement développés à La Mekke, avec ses avertissements aux Croyants et ses menaces contre les polythéistes idolâtres. L'émigration, l'hégire de Mahomet lui a fait changer d'attitude à l'égard de ses anciens compatriotes : il ne les considère plus seulement comme des hommes endurcis dans l'erreur, comme des ennemis personnels, ils deviennent les ennemis de Dieu qu'il faut vaincre, par tous les moyens, pour que la gloire puisse être rendue à Dieu seul. L'engagement religieux des fidèles va s'organiser en engagement politique : l'épée viendra au secours de la parole, les premiers convertis à l'Islam s'organisent comme les combattants de la foi. Le Prophète découvrait qu'il était urgent de recourir aux armes pour que la foi authentique puisse triompher, il en avait d'ailleurs eu la révélation, qui lui intimait de combattre les infidèles. Craignez Dieu ; peut-être alors, serez-vous heureux Combattez dans le chemin de Dieu ceux qui luttent contre vous. Ne soyez pas transgresseurs, ne commettez pas l'injustice de les attaquer les premiers, car Dieu n'aime pas les transgresseurs. Tuez-les partout où vous les trouverez ; chassez-les des lieux d'où ils vous auront chassés. Ne les combattez pas auprès de la Mosquée sacrée, à moins qu'ils ne luttent contre vous en ce lieu même. S'ils vous combattent, tuez-les ; telle est la rétribution des incrédules. S'ils s'arrêtent, sachez alors que Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux. Combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sédition et que le culte de Dieu soit rétabli... Soyez hostile envers quiconque vous est hostile, dans la mesure où il vous est hostile. Craignez Dieu ! Sachez que Dieu est avec ceux qui le craignent (Sourate II, 189...194). C'est ainsi qu'un nouveau thème de la prédication du Coran apparaissait, celui de la guerre sainte, el djihad , guerre qui avait pour but premier de faire triompher la vérité sur l'erreur de l'idolâtrie. Cette prédication de la guerre sainte valut à l'Islam les reproches des chrétiens, ceux-ci ayant oublié les paroles très dures de Jésus qui prêchait qu'il était venu apporter un feu sur la terre, pour séparer les membres d'une même famille, demandant à ses disciples de le préférer, lui, Jésus, aux membres de leur famille et même à leur propre vie.

A cette même époque, la prédication se fit plus violente contre les chrétiens qui furent confondus avec les juifs. A l'origine, il semble bien que Mahomet ait eu des contacts suivis avec quelques communautés chrétiennes, avec lesquelles il devait entretenir de bons rapports, même si, à plusieurs reprises, le dogme chrétien de la Trinité est condamné par la révélation coranique. O gens de Écriture Ne dépassez pas la mesure dans votre religion. Ne dites sur Dieu que la vérité. Oui, le Messie, Jésus, fils de Marie, est le Prophète de Dieu, sa Parole qu'il a jetée en Marie, un Esprit émanant de lui. Croyez en Dieu et en ses Envoyés. Ne dites pas : Trois. Cessez de le faire, ce sera mieux pour vous. Dieu est Unique ! Gloire à lui ! Comment aurait-il pu avoir un fils ? Ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre lui appartiennent. Dieu suffit comme protecteur. Le Messie n'a pas trouvé indigne de lui d'être le Serviteur de Dieu (Sourate IV, 171-172). Et il est certain que les premiers croyants de l'Islam ont pu découvrir parmi les chrétiens des hommes très proches d'eux, qui comptaient dans leur nombre des prêtres, des moines, et même de simples laïcs qui ne s'enflaient pas d'orgueil et qui accomplissaient la volonté de Dieu dans l'humilité et dans le partage d'une vie communautaire toute simple. Par leur foi et par leur charité, il apparaissait au Prophète que ces chrétiens pouvaient aussi goûter aux joies du Paradis divin. Cependant, lorsque les chrétiens du monde byzantin s'opposèrent à l'avancée de la foi islamique, le ton de la prédication de Mahomet changea et il condamna les chrétiens, au même titre que les juifs : Les juifs et les chrétiens ne seront pas contents de toi, tant que tu ne suivras pas leur religion... Ils ont dit : Soyez juifs ou soyez chrétiens, vous serez bien dirigés. Dis : Mais non ! suivez la religion d'Abraham, un vrai croyant qui n'était pas du nombre des polythéistes. Dites : Nous croyons en Dieu, à ce qui a été révélé à nous, à ce qui a été révélé à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux tribus, à ce qui a été donné à Moïse et à Jésus, à ce qui a été donné aux prophètes de la part de leur Seigneur. Nous n'avons pas de préférence pour aucun d'eux, nous sommes soumis à Dieu. S'ils croient à ce que vous croyez, ils sont bien dirigés ; mais s'ils se détournent, ils se trouvent alors dans un schisme : Dieu te suffit vis-à-vis d'eux, il est celui qui entend et qui sait (Sourate II, 120...137). Certes, le Coran donne toujours à Jésus les titres de Messie, de Verbe, d'Esprit émanant de Dieu, mais il se refuse toujours à lui reconnaître un rôle supérieur à celui d'un Envoyé de Dieu, comparable aux prophètes de tous les temps, il se refuse toujours également à le reconnaître comme le Fils de Dieu, comme un associé du Dieu unique.

Le Coran reproche surtout aux chrétiens d'avoir fait de Jésus un fils, en introduisant Marie, la Mère de Jésus, dans une Trinité divine (ce qui est d'ailleurs contraire au dogme chrétien !), faisant d'Allah, un Dieu au milieu de Trois ; il leur reproche aussi de s'être divisés en sectes nombreuses, oubliant ce que Dieu leur avait enseigné par la bouche de Jésus, son Envoyé.

Les sourates, composées à Médine, furent certainement énoncées à l'occasion d'événements particuliers qui marquaient la vie de la petite communauté islamique. En entrant dans le cadre de la révélation coranique, ces sourates prenaient une dimension universelle. Ainsi, les ayats qui correspondent à cette dernière période de l'existence de Mahomet ne sont pas simplement des récits événementiels rapportés sous forme de chroniques, mais l'organisation sociale, économique, politique et religieuse d'une communauté ayant valeur exemplaire pour toutes les communautés islamiques à l'avenir. Les révélations médinoises serviront ultérieurement de base à toute la législation islamique, concernant les prescriptions du culte, les interdits sexuels et alimentaires, les devoirs moraux et politiques de chacun des croyants envers les autres croyants ou envers les infidèles, ceux qui ne veulent pas reconnaître l'Islam comme la religion authentiquement monothéiste et absolument vraie, puisque cautionnée par la Parole même de Dieu, Parole faite Livre, par les premiers califes, successeurs du Prophète.

La Sunna à la source de la Tradition

Si le Coran, le Livre révélé par Dieu à son Prophète se présente bien comme un bloc littéraire dont on ne peut changer ni la lettre ni l'esprit, pour demeurer dans le respect de la foi islamique, il existe un autre livre sacré, qui est une source de référence pour les Croyants, même s'il ne se propose pas à eux comme la Parole de Dieu. Ce second livre, c'est la Sunna, c'est-à-dire le recueil des traditions : le terme arabe de sunna, qui désigne les règles de conduites , signifie dans le cas de ce recueil considéré lui aussi comme un livre sacré les pratiques adoptées et suivies par le Prophète lui-même, et notamment ses enseignements et ses exemples. Ce qu'a fait le Prophète, ce qu'il a édicté comme règle, a été bien fait, bien dit ; tous ses enseignements prennent alors force de loi, ils sont des articles de lois, des hadith. Il va de soi que tous les musulmans veulent imiter la conduite de Mahomet, et c'est dans la Sunna qu'ils peuvent le plus facilement retrouver les exemples laissés par le Prophète, même s'il faut reconnaître que tous les musulmans ne sont pas entièrement d'accord sur toutes les traditions rapportées par ce second livre saint.

Pas plus que le Coran, ce livre n'a été composé du vivant de Mahomet, mais il a commencé d'être esquissé après la mort de l'Envoyé de Dieu pour répondre à tous les problèmes nouveaux qui se posaient à la jeune communauté privée de son chef spirituel et temporel. Pour répondre à ces nouvelles questions, on se référait aux usages qui étaient pratiqués par Mahomet et les siens, on interrogeait ses compagnons de la première heure à la dernière heure sur ses faits et gestes. C'est ainsi que fut composé un premier ensemble de traditions remontant à la vie du Prophète. Une sorte de compilation de l'enseignement oral venait s'ajouter à la grande compilation des ayats du Coran. Pour demeurer dans la fidélité orthodoxe à l'Islam, il convenait non seulement d'accepter le Coran, mais de suivre également les enseignements de la Sunna. Ces enseignements sont authentifiés par une chaîne de garants, qui rapporte que tel croyant a reçu cette information de tel autre croyant qui lui-même la tenait d'un autre, lequel l'avait reçue du Prophète ou d'un de ses compagnons immédiats.

Et c'est dès la deuxième génération musulmane que ce travail de compilation est entrepris, en même temps que la rédaction d'un texte unique pour la révélation coranique : les traditions orales, véhiculées par les personnages les plus réputés pour leurs connaissances des ayats, sont rassemblées par des auteurs, la plupart du temps persans, qui constituent des recueils, en éliminant tous les apocryphes. En effet, le genre littéraire du hadith était considéré avec tant de respect que certains croyants, même parmi les plus honnêtes, n'hésitaient pas à en confectionner de faux, dans le but de justifier telle ou telle décision qui pourrait avoir force de loi. Aussi, la règle d'or, pour les compilateurs des traditions, sera-t-elle de ne reconnaître et de n'accepter que les hadith ayant un rapport direct avec un texte coranique. Ceux-ci serviront de référence pour quiconque voudrait ultérieurement donner une interprétation du Coran ; en effet, il ne faudrait pas qu'un croyant se mette à traiter du Coran, sans faire référence à des traditions solidement établies. Même s'il parvenait à démontrer les vérités les plus profondes et les plus belles, il serait quand même dans l'erreur, puisqu'il serait arrivé à cette vérité seul, à l'aide de son propre jugement ; au contraire, celui qui veut traiter des questions relatives à la religion doit s'efforcer d'obtenir l'assentiment de ceux qui, avant lui ou avec lui, ont cherché également à interpréter les révélations contenues dans le Coran.

La Sunna, dans son ensemble, couvre donc deux aspects différents. D'une part, elle apparaît comme une Imitation de Mahomet comme il y a une Imitation de Jésus-Christ. Tout ce qui a été accompli par le Prophète peut et doit raisonnablement être également accompli par tous les croyants. Mais, cette même Sunna apparaît être au Coran ce que le Talmud est aux livres du Pentateuque dans la tradition hébraïque. Les docteurs de la Loi coranique ont voulu intégrer les traditions orales qui circulaient bien après la mort de Mahomet dans un corpus explicatif : la Révélation prenait toute sa dimension et toute sa valeur universelle en s'appuyant sur la Sunna, qui faisait, en quelque sorte, l'exégèse du Coran pour constituer à partir de celui-ci une dogmatique et une législation purement islamiques.

La loi civile, dans le monde soumis à l'Islam, devenait inséparable de la vie religieuse, telle qu'elle avait pu être proposée par le Prophète, l'envoyé d'Allah.