La mission d'un prophète

 

Au début du septième siècle de l'ère chrétienne, peu avant l'apparition de l'Islam, l'Arabie centrale, qui correspond aujourd'hui approximativement au territoire de l'Arabie Saoudite était la seule région du Proche-Orient qui échappait à la domination des deux grands empires de l'époque : l'empire byzantin et l'empire sassanide. Le premier encerclait l'Arabie du Nord au Sud, en passant par l'ouest (Palestine, Égypte, Yémen), le second par l'Est, en étendant sa puissance sur la Mésopotamie (Irak et Golfe Persique). Les tribus qui peuplaient cet immense territoire pouvaient s'enorgueillir : jamais l'envahisseur, quel qu'il soit n'avait pu leur ravir leur indépendance.

La religion prédominante était un paganisme avec ses différentes idoles, ses lieux de culte et ses pèlerinages. Mais ces païens admettaient relativement facilement l'existence d'un dieu supérieur, créateur de toutes choses, à commencer par les divinités secondaires. La grande idée du monothéisme islamique sera de s'en prendre à cet associationnisme : il n'est pas possible d'associer d'autres divinités au Dieu unique. Il ne semble pas que le paganisme arabe de l'époque pouvait satisfaire ses fidèles, puisqu'après l'installation de l'Islam, il ne se trouvera personne capable de sacrifier sa vie pour défendre sa foi païenne, alors qu'il se trouvera encore des juifs et des chrétiens qui connaîtront le martyre pour la défense de leur foi, au cours des affrontements avec la religion musulmane.

Toutefois, si le paganisme arabe connaissait aussi la décadence, si l'heure d'une nouvelle religion avait sonné, il faut reconnaître que, comme tous les grands mouvements dans l'histoire de l'humanité, l'Islam a mis un certain temps avant de pouvoir s'imposer totalement à la face du monde.

La genèse d'un prophète

Personne n'a jamais mis en doute l'existence de Mahomet, même si celui-ci est entré vivant dans la légende, tout affirmant lui-même qu'il n'était qu'un homme semblable à tous les autres. Aucun événement extraordinaire n'a présidé à sa conception ou à sa naissance ; et le déroulement de son existence n'a absolument rien d'extraordinaire ou de divin. On sait d'ailleurs très peu de choses sur la vie de Mahomet avant la révélation qui lui a été faite : c'est sur cette période se son existence que les traditions ultérieures ont le plus fabulé. Les dates les plus certaines qui concernent la vie du Prophète sont celle de son émigration de La Mekke à Médine en 622 et celle de sa mort dans la ville de Médine en 632. Ces deux dates, et celles des grands événements qui ont pu se produire entre elles, sont très assurées, tandis que les dates antérieures sont beaucoup plus incertaines, que ce soit la date de sa naissance ou que ce soit la date de la première révélation. Néanmoins, il est tout à fait assuré que Mahomet est bel et bien un personnage historique, dont la vie ne saurait être rejetée purement et simplement dans la mythologie religieuse.

Muhammad, ou Mohammed - dont le nom a été francisé en Mahomet - est un prénom relativement courant à l'époque : il signifie : le loué. Il naquit à La Mekke d'Amina, dont le mari Abdallah était mort prématurément ; les spécialistes s'accordent pour situer l'année de la naissance de Mahomet en 571, en faisant des calculs parfois douteux. La seule base sûre de la datation de sa naissance est le fait qu'il soit né du vivant de l'empereur perse Khosrô Ier, c'est-à-dire avant 579. La jeune femme, mère de Mahomet, était pauvre, aussi l'enfant fut-il confié par son grand-père paternel, Abd al Muttalib, à une nourrice venue de la campagne, Hâlima, une bédouine à qui Mahomet conservera toujours une profonde affection. Il restera en nourrice jusqu'à l'âge de six ou sept ans : pendant ses années, passées auprès d'Hâlima, il gardera les moutons avec son frère de lait... c'est la tradition légendaire qui rapporte cette occupation de l'enfant : tout prophète n'a-t-il pas été d'abord berger dans sa jeunesse ? Et cette même tradition, s'appuyant, il est vrai, sur une interprétation littérale d'un verset du Coran : N'avons-nous pas ouvert ton coeur, ne t'avons-nous pas débarrassé de ton fardeau qui t'accablait (Sourate XCIV), rapporte que le frère de lait de Mahomet vit un jour deux anges renverser l'enfant, lui ouvrir la poitrine et ôter de son coeur une tâche noire. Cette interprétation, basée sur un faux sens, veut simplement signifier que, dès son plus jeune âge, celui qui allait devenir le Prophète du Dieu unique, a été lavé du péché originel, dont seuls Jésus, le Prophète envoyé aux chrétiens et Marie, sa mère, ont été préservés dès leur naissance.

Amina mourut quelque temps seulement après avoir repris auprès d'elle son fils ; son grand-père le reprit en charge, mais il devait lui-même mourir avant que l'enfant n'ait atteint l'âge de huit ans. Mahomet fut recueilli par un de ses oncles, Abou Talib, un commerçant relativement aisé, qui ne lui donna sans doute pas une brillante instruction, mais qui l'emmena souvent avec lui dans ses voyages d'affaires. Les récits légendaires et apologétiques rapportent également qu'au cours d'un de ses voyages, il rencontra un moine-ermite, Bahira, qui lui aurait prédit sa mission prophétique. Son oncle ne tint guère compte de cette prédiction du devin, mais il se mit sans doute à considérer son neveu d'un oeil tout différent. Ce que le jeune homme retenait le plus de ses voyages, c'est une extraordinaire admiration pour la terre où avait vécu Abraham, où avaient été révélé la Torah de Moïse, les Psaumes de David et l'Évangile de Jésus... Les années passent, et l'intelligence de Mahomet, ainsi que les vertus qu'il avait pu apprendre de la part de son oncle (loyauté, courage, générosité, sens de l'hospitalité...) lui permettent d'entrer au service d'une riche veuve, Khadija, qui lui fait conduire ses caravanes, qui le considère ensuite comme son homme de confiance, avant de le prendre pour époux. Mahomet accepta ce mariage qui lui permettait de sortir de sa condition homme pauvre, même si Khadija était, dit-on, nettement plus âgée que lui. De ce mariage devait naître quatre filles, les garçons mourant en bas âge. Mahomet devenait un homme considéré dans sa ville de La Mekke.

La Mekke au septième siècle

La Mekke était déjà un centre important pour les caravanes qui sillonnaient l'Arabie centrale : ses riches bourgeois s'étaient constitués en propriétaires des dépôts de marchandises devenant ainsi les maîtres du commerce. Mais, déjà, La Mekke était également un grand centre religieux pour toute la presqu'île arabique. C'est d'ailleurs au contact de son oncle que le jeune Mahomet avait pu s'initier à toutes les traditions religieuses qui faisaient de La Mekke un centre de pèlerinage en même temps qu'un centre commercial.

Les arabes de la péninsule étaient polythéistes. Ils adressaient certes des prières ferventes, à heures fixes, à Allah, le dieu créateur de l'univers, ils lui offraient également des sacrifices d'animaux. Mais ce dieu supérieur n'était qu'un dieu parmi les autres, auprès de ses filles, dont Manât, la déesse du bonheur, et Allât, déesse du ciel, auprès d'Hobal, le dieu de la foudre, et auprès d'une quantité d'autres dieux dont les pouvoirs bénéfiques ou maléfiques étaient bien connus des bédouins. Les nomades croyaient également aux esprits du désert, les djinns qui se réifiaient dans les arbres et dans les pierres du désert. A l'époque où Mahomet allait entreprendre sa prédication, le culte d'Hubal, la divinité d'un groupement tribal qui assurait la protection des territoires environnant la ville.

Mais, dans cette cité de La Mekke, se trouve le sanctuaire de la Pierre Noire, construit, selon les affirmations de la tradition, par Abraham : c'est autour de la Kaaba que s'effectuent les nombreux pèlerinages et les grandes dévotions, qui sont entretenus par la tribu des Qoraïchites avec un soin et un zèle jaloux, d'autant plus que toutes les questions religieuses sont une source d'apport financier. Par sa naissance, Mahomet se trouvait faire parti du clan de Qoraïchites, même si ce clan n'avait plus à son époque une grande puissance financière.

Au septième siècle, la Kaaba se présentait comme un cube de pierres à ciel ouvert, dans un angle duquel se trouvait la fameuse Pierre Noire, apportée par Abraham, situé au centre d'une très grande place, sur laquelle se trouvait également le puits de Zemzem. Des idoles de pierre grossièrement sculptées entouraient ce temple autour duquel s'accomplissait le rite principal du pèlerinage : la septuple circumambulation dans le sens contraire des aiguilles d'une montre.

Mais l'Arabie n'était pas entièrement polythéiste. D'autres influences religieuses s'y exerçaient également : des juifs et des chrétiens s'étaient installés dans cet immense territoire ; à La Mekke, seuls, les juifs constituaient des communautés organisées, les chrétiens restant dispersés, sans hiérarchie, d'autant plus qu'ils ne constituaient qu'une minorité regroupant des esclaves et des petits artisans. Mais ces croyants, avec leur idéal monothéiste, allaient sans doute préparer le terrain à la révélation islamique.

Dans la famille de Khadija, certains commençaient à protester contre l'idolâtrie polythéiste pratiquée dans la ville : ils avaient été au contact de fidèles monothéistes au cours de leurs voyages d'affaires et ils trouvaient que le culte polythéiste était en pleine décadence. Ils sentaient naître en eux le besoin d'un véritable ascétisme sur le modèle des moines et des ermites chrétiens qu'ils avaient rencontrés. Quand Mahomet eut sa première révélation, il trouva auprès de son épouse une oreille favorable.

La révélation au prophète

Jusqu'au septième siècle, les Arabes n'avaient pas eu accès à la révélation divine, qui s'était adressée dans le monde judéo-chrétien. Avec Mahomet, elle allait se faire entendre au milieu d'eux.

La tradition aime à faire connaître que c'est à l'âge de quarante ans que Mahomet eut sa révélation de la part de Dieu par l'ange Gabriel. On n'a guère de détails sur les circonstances qui entourèrent sa vocation ; mais l'on sait que Mahomet, à l'instar des grands prophètes d'Israël et de Jésus de Nazareth, avait entreprit de faire de fréquentes retraites dans le désert : c'est au cours de l'un d'elles que, dans la joie d'un coeur purifié par ces pratiques ascétiques, il eut la révélation d'être envoyé par le Dieu unique pour annoncer les paroles mêmes d'Allah au peuple arabe, jusqu'alors enferme dans le polythéisme païen. C'est un jour du mois de Ramadan que l'ange Gabriel lui apparut et lui confia une mission. Selon la tradition et les différentes biographies du prophète, c'est au cours d'une nuit de la dernière décade du mois de Ramadan que cette infusion de la Parole de Dieu se fit dans celui qui allait devenir l'envoyé d'Allah au milieu des hommes. Cette nuit est appelée : la nuit du Destin, la nuit du Décret, c'est la nuit bénie du Coran. Oui, nous l'avons fait descendre, durant la nuit du Décret. Comment pourrais-tu savoir ce qu'est la nuit du Décret ? La nuit du Décret est meilleure que mille mois ! Les anges et l'Esprit descendent durant cette nuit, avec la permission de leur Seigneur, pour régler toute chose. Elle est paix et salut, jusqu'au lever de l'aurore (Sourate XCVII).

Pendant que Mahomet dormait, un être mystérieux, un ange du Seigneur Dieu, créateur de l'ensemble de l'univers, se manifesta à lui, tenant un rouleau d'étoffe à la main, rouleau couvert de signes, en lui intimant l'ordre de lire ce qui s'y trouvait écrit. Mahomet sut alors qu'il avait été choisi par Allah, le Dieu suprême et unique, pour être son envoyé, chargé de proclamer aux hommes le message divin contenu dans ce rouleau : ce message, regroupant les révélations fragmentaires, constituera le Coran, l'expression même de la Parole d'Allah. La sourate XCVI rappelle cet événement : Lis au Nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l'homme d'un caillot de sang... Lis ! car ton Seigneur est le Très-Généreux, qui a instruit homme au moyen de la plume, qui a instruit l'homme de ce qu'il ignorait . Cette sourate est considérée d'ailleurs comme la première révélation qui ait été faite au Prophète. En se réveillant, Mahomet a une conscience diffuse d'être investi, dans son coeur d'un message à transmettre aux autres hommes : un livre est descendu dans son coeur, c'est lui qui aura la charge de le transmettre... Il est d'abord peu confiant dans sa mission, mais son épouse, Khadija, saura convaincre cet homme qui vient se confier à elle, en lui racontant ce qui s'était passé au cours de cette nuit qui devait apparaître comme décisive non seulement dans la vie de Mahomet mais dans l'existence même de l'Islam.

Khadija sut se montrer à la hauteur de la circonstance : au lieu de prendre son époux pour un fou ou pour un possédé à l'esprit complètement dérangé, elle regarde avec confiance celui qui vient de lui raconter son incroyable révélation, elle a confiance en lui, elle croit qu'il est bien l'homme que le Dieu unique a choisi pour être le prophète de son peuple. Néanmoins, tout en gardant une absolue confiance en son mari, elle consulte un de ses cousins, le vieil aveugle Waraqa, qui l'encouragea dans sa foi naissante : le messager mystérieux qui avait parlé à l'époux de Khadija ne pouvait pas être autre que celui qui avait déjà parlé à Moïse et aux grands prophètes d'Israël. Mahomet était investi d'une mission divine et il fallait l'encourager dans la voie qui s'ouvrait devant lui. En effet, une vie nouvelle s'ouvrait devant lui, et les embûches allaient se dresser devant chacun de ses pas : la parole qu'il allait recevoir de la part de Dieu n'était pas facile à transmettre, la révélation même du Dieu unique allait le faire passer par la nuit la plus obscure. Rien n'est plus terrible que de se trouver en face du Dieu vivant, Maître, Créateur et Seigneur de toutes choses et de tous les hommes. De fait, Mahomet se mit à errer sur les collines avoisinant La Mekke, essayant, en quelque sorte de fuir son destin, puisqu'il ne retrouvait plus l'inspiration sur les lieux mêmes de sa première révélation, songeant même au suicide.

Dans toutes les difficultés qu'il devait connaître, il était toujours soutenu et encouragé par son épouse qui lui vouait une fidélité et une foi incomparables. Quand le monde s'effondrait autour du prophète, elle était là pour le soutenir dans sa grande mission ; quand tout le monde le traitait de menteur, elle ne cessait d'avoir confiance en lui. Et bientôt, l'ange du Dieu Très-Haut lui parle de nouveau en lui renouvelant la mission qui devait être la sienne : Par la clarté du jour ! Par la nuit quand les ténèbres s'épaississent, ton Seigneur ne t'a ni abandonné, ni pris en haine. Oui, la vie future est meilleure pour toi que celle-ci. Ton Seigneur t'accordera bientôt tous ses dons et tu connaîtras la satisfaction. Ne t'a-t-il pas trouvé orphelin ? Il t'a trouvé un refuge ! Ne t'a-t-il pas trouvé sur les chemins de l'égarement ? Et il t'a remis sur le droit chemin, en te guidant? Ne t'a-t-il pas trouvé pauvre ? Et il t'a enrichi ! Ne sois pas dur pour l'orphelin. Ne repousse pas celui qui est pauvre. Et proclame les bienfaits de ton Seigneur (Sourate XCIII).

Les premiers convertis

Dans les premiers temps, cette mission que Mahomet venait de recevoir demeura réservée à quelques intimes. Après son épouse, son cousin Ali, le fils d'Abou Talib, fut le premier à accepter le message transmis par Mahomet, puis ce fut le tour de Zaid, un homme que Mahomet avait lui-même adopté, n'ayant pas eu de fils de son union avec Khadija. Deux hommes influents se joignirent à la première communauté des fidèles : Abou-Bakr et Omar qui plus tard dirigeront eux-mêmes la communauté musulmane, quand elle aura pris son essor. En dehors de sa famille, Mahomet ne réussit à se faire entendre que des petites gens de la Mekke, beaucoup plus faciles à toucher que les grandes familles bourgeoises. Les adversaires de Mahomet ne tardèrent pas à lui reprocher de s'entourer de gens aussi peu recommandables. Le Coran lui-même souligne cette incompréhension : Les chefs de son peuple, qui n'étaient pas croyants, dirent : Nous ne voyons en toi qu'un mortel semblable à tous les autres. Nous ne te voyons, à première vue, suivi que par les plus méprisables d'entre les hommes. Nous ne voyons en vous aucune supériorité, et nous vous prenons, tout au contraire, pour des menteurs (Sourate XI, 27). Ce à quoi, le Prophète ne pouvait que répondre que Dieu seul pouvait juger les hommes, recevant simplement l'hommage de ceux qui croyaient en lui.

Mahomet comptait certainement beaucoup sur sa propre famille pour assure le succès de sa mission divine. Il fut, il est vrai beaucoup aidé par Abou-Bakr, qui lui succéda ultérieurement à la tête de la communauté musulmane : c'est cet ami fidèle qui l'appuya le plus, en recherchant la modération et en faisant toujours prévaloir la modération sur la passion et sur les sentiments.

Abou-Bakr fit beaucoup pour rendre sympathique la cause de Mahomet auprès des riches familles mekkoises qu'il essayait de convertir à l'Islam. Mais il ne parvint pas davantage que Mahomet à faire partager sa foi au tuteur de Mahomet, son oncle Abou Talib, qui, en dépit de l'estime et de l'affection qu'il portait à son neveu, mourut polythéiste, en refusant de se convertir.

Et, même parmi la proche famille du prophète, il se trouva un de ses oncles, Abou Lahab qui le poursuivit de sa haine implacable et de son opposition systématique. Cet oncle et toute sa famille sont d'ailleurs condamnés, de manière absolue, par une sourate du Coran : Que les deux mains d'Abou Lahab périssent et que lui-même périsse ! Ses richesses et tout ce qu'il a pu acquérir ne lui serviront à rien. Il sera exposé à un feu ardent, ainsi que sa femme, porteuse de bois, dont le cou est attaché par une corde de fibres (le port du bois et de fibres étant considéré comme un des châtiments de la géhenne) (Sourate CXI). Cette condamnation radicale de son oncle par une révélation coranique engendra le ressentiment de celui-ci : Abou Lahab et son épouse entrèrent dans le camp des adversaires de Mahomet qui, jusqu'alors étaient restés dans une indifférence prudente. La réaction des notables mekkois allait désormais se faire plus virulente.

A la compassion ou à l'indifférence envers ces hommes et ces femmes, qui se livraient à des pratiques de piété, succédèrent la raillerie, l'ironie et le mépris. Le passage à l'hostilité officielle s'est effectué lorsque Mahomet osa se présenter devant l'ensemble de la communauté mekkoise comme l'interprète autorisé de la volonté du Dieu Allah, qui l'envoyait pour annoncer l'imminence du Jugement dernier. Le Dieu unique, le Grand Justicier récompenserait les hommes selon leurs actions et les punirait de la même manière.

Mahomet voulait arracher ses compatriotes à l'insouciance dans l'intention de leur montrer que l'idéal dans la vie n'était pas de s'enrichir, mais d'accomplir la volonté d'Allah, en se soumettant à ses commandements : la prière et l'aumône. L'annonce d'un jugement dernier était une nouveauté radicale chez ces païens polythéistes, et il semblerait que la prédication de Mahomet ait été influencé par les croyances de certains chrétiens orientaux, qui vivaient dans l'imminence de l'Heure de Dieu et dans l'attente de la Parousie. Il est certain que la pensée du Jugement de Dieu prédomine dans de nombreux versets du Coran, mais dans une optique quelque peu différente de celle des chrétiens : pas de notion précise de l'immortalité de l'âme ; après la mort, homme sombre dans un état d'inconscience dans lequel il restera jusqu'au jour de la résurrection finale.

Les persécutions mekkoises

Comme les philosophes athéniens refusèrent d'écouter l'apôtre Paul, quand il leur parla de la résurrection des morts, les notables mekkois ricanèrent quand ils entendirent Mahomet leur annonçait une résurrection des corps : Serons-nous ramenés à notre premier état lorsque nous serons des ossements décharnés ? (Sourate LXXIX). Ils le raillaient également, quand il leur présentait des descriptions du paradis et de l'enfer. Non contents de se moquer de lui, en soutenant que ses propos n'étaient qu'une adaptation des fables des anciens, ils s'attaquèrent directement aux thèmes de son message en le discréditant au maximum, lui proposant même de se faire soigner à leurs propres frais. La lutte devint ouverte lorsque Mahomet et ses premiers fidèles osèrent afficher publiquement leur foi, par des rites de prière dans la Kaaba et en public : des accrochages eurent lieu et le sang coula, l'heure de la première persécution avait sonné. Cette persécution allait atteindre particulièrement les plus petits, les plus humbles des convertis, alors que les membres les plus éminents de la secte étaient encore protégés par leurs clans, même si ceux-ci étaient opposés aux idées religieuses nouvelles. C'est ainsi que Mahomet lui-même fut protégé par un de ses oncles, qui avait été son tuteur, Abou Talib.

Celui-ci, poussé par ses concitoyens, qui respectaient sa sagesse, sa noblesse et son grand âge, à ne plus apporter son soutien au fils de son frère, refusa de les écouter. Pourtant, il alla consulter son neveu, en lui demandant d'avoir compassion de lui ; devant lui, Mahomet soutint son désir de poursuivre jusqu'à son terme la mission qui lui avait été confiée. Alors Abou Talib jura de ne jamais abandonner son neveu, lui permettant ainsi de prêcher le nom d'Allah... mais lui-même ne se convertit jamais et mourut polythéiste.

En affirmant avec force le principe monothéiste et en partant en guerre contre toutes les idoles, Mahomet entrait en conflit ouvert avec les grandes familles mekkoises, et en particulier avec les Qoraïchites, dont la tribu gardait jalousement ses privilèges religieux et aussi financiers dans les pèlerinages mekkois. Ceux-ci risquaient de disparaître si les hommes se mettaient à écouter Mahomet dont l'influence leur semblait déjà trop grande. Les opposants à la nouvelle religion dispersaient ses fidèles quand ils priaient à l'écart, couvraient la voix de Mahomet quand il prêchait, l'insultaient ouvertement, lui crachaient au visage ; avec une parfaite indifférence, Mahomet accueillait toutes ces provocations et ne s'intéressait qu'à ceux qui étaient susceptibles de se convertir et de partager avec lui sa foi monothéiste. La rupture est complète avec ses concitoyens lorsqu'il leur révèle ce qu'il a lui-même reçu : O vous, les incrédules ! je n'adore pas ce que vous adorez, vous n'adorez pas ce que j'adore. A vous, votre religion, à moi la mienne (Sourate CIX), et encore quand il annonce la profession de foi fondamentale de l'Islam : Dieu est Unique, Dieu seul, lui l'impénétrable. Il n'engendre pas, il n'est pas engendré. Il n'a pas d'égal (Sourate CXII).

Dans toutes les persécutions sournoises dont il était la victime directe ou indirecte, puisqu'on s'en prenait aux plus faibles de ses partisans, l'ange du Seigneur Dieu de l'univers, Gabriel, l'encourageait, lui demandant de supporter avec patience toutes les épreuves qui se dressaient devant lui, car c'est bien de cette manière qu'ont été traités tous les prophètes d'Israël. Cependant, en constatant que des abjurations menaçaient de se produire à la suite des supplices endurés par ses disciples, le Prophète, qui ne pouvait pas les protéger, conseilla à tous les plus faibles parmi les siens de quitter La Mekke, s'ils n'y étaient pas retenus par d'impérieuses nécessités, et d'émigrer en Abyssinie, un pays habité par des chrétiens, un pays dont le chef, le Négus, était réputé pour sa grande tolérance et pour son sens de la justice. Cette émigration aurait eu lieu, selon les traditions biographiques, en l'année 617, soit environ cinq années après le début de la prédication de Mahomet ; elle témoigne que l'islam naissant sympathisait avec le christianisme, en s'écartant non seulement du culte idolâtrique pour se tourner vers le Dieu unique, mais aussi en se détournant d'une conception sociale d'un genre tribal pour s'organiser en une communauté de vie, comparable à celle des couvents chrétiens.

Les Qoraïchites ne se contentèrent pas de cette première émigration, d'autant plus que le Négus avait réservé un accuei1 favorable aux émigrés, qui, sans reconnaître directement la divinité de Jésus, avaient quand même pour lui une profonde admiration. Les chefs mekkois se rendaient compte des progrès que pouvait encore faire la nouvelle religion ; ils eurent alors recours à une autre forme de répression, en excommuniant de leur société tous les fidèles musulmans. Un édit fut affiché à la Kaaba, interdisant à tous de parler aux musulmans, de contracter mariage avec eux, de commercer avec eux, de ne conclure aucune paix avec eux, jusqu'à ce que Mahomet leur soit livré pour être décapité. Ce décret fut inapplicable en raison de la ténacité des convertis et de l'endurance de la famille du Prophète. D'ailleurs, parmi les chefs qui avaient décidé cette excommunication, il s'en trouva quelques-uns pour rompre d'eux-mêmes cette décision par intérêt commercial ou par simple souci de maintenir un bon voisinage avec les partisans de Mahomet.

Aucun prophète n'est bien reçu dans son propre pays. Abraham, Lot, Moïse, Jonas, Jean-Baptiste, Jésus ont été méconnus et persécutés pour avoir été les prophètes du Dieu unique au milieu de peuples qui ne pouvaient accepter facilement la foi monothéiste. Mahomet ne devait pas se désespérer de ne pas convertir tous ses compatriotes : tant pis pour eux s'ils ne comprenaient pas les bienfaits de Dieu à leur égard. Mahomet se rend ainsi compte que son action est vaine dans sa ville ; il entre en contact avec des tribus du voisinage, puis avec les habitants de la ville de Yatrib. Des habitants de cette oasis avaient été convertis par les soins d'un envoyé de Mahomet, et quelques-uns d'entre eux, venus au pèlerinage à La Mekke, en 620 et 621, avaient demandé au Prophète qu'il vienne s'installer chez eux, s'engageant par serment à suivre sa religion et à respecter la morale qu'il pouvait leur proposer.

Sûr de trouver ainsi à Yatrib de fidèles partisans et des adeptes convaincus, Mahomet fait partir les siens vers cette oasis, par petits groupes. Les Mekkois ne semblaient pas disposés à laisser le Prophète les rejoindre, la tradition parle même d'un complot ourdi pour le tuer : il dut se cacher durant trois jours dans une caverne, avec son fidèle ami Abou Bakr, avant de pouvoir s'expatrier lui-même. La tête des deux hommes fut mise à prix quand les mekkois découvrirent le subterfuge, mais rien ne pouvait arriver à ceux qui avaient comme unique protecteur le Dieu souverain de l'univers.

Cette émigration, Hégire, devint le point de départ de l'ère musulmane : le 12 rabi de l'an I, correspondant au 24 septembre 622 du calendrier julien. L'oasis de Yatrib allait devenir bient6t Médine, madinat an-nabi, la ville du Prophète.

La communauté de Médine

Quand il arrive à Yatrib, cette oasis, située au Nord de la Mekke, compte environ trois mille habitants, formant une population beaucoup plus paysanne que la ville commerçante de La Mekke. Aussitôt, Mahomet fait figure de chef d'un état théocratique, au milieu de tous ses émigrés, dont le statut était relativement précaire, puisqu'ils avaient tout quitté, tout sacrifié à la cause de leur foi nouvelle. Seulement, si certains Médinois avaient demandé à Mahomet de venir dans leur oasis, il s'en faut de beaucoup que tous les habitants de la petite oasis soient d'accord, que tous admettent les croyances musulmanes : en plus des Juifs qui repoussaient vigoureusement toute progression d'une religion étrangère, il se trouvait aussi des Arabes qui se montraient particulièrement réticents à se soumettre à l'autorité d'un étranger. Toutefois, Médine est une ville de tolérance, alors que La Mekke avait totalement rejeté les idées nouvelles ; et Mahomet, de simple prédicateur qu'il était, fut bientôt considéré comme un véritable chef d'État. Il exerçait d'ailleurs ses fonctions avec autant d'habileté diplomatique que de souplesse et de ténacité, parvenant à se faire admettre par tous les habitants.

Pour le Prophète, tous les groupes de la cité se devaient une mutuelle assistance, quelle que soit leur religion, et par cette assistance, ils devaient assurer la défense de leur ville. Les juifs conservaient la liberté de leur culte, en mémoire du voyage nocturne que Mahomet fit à Jérusalem, en compagnie de l'ange Gabriel. En effet, quelque temps avant de quitter sa ville natale, peu après la mort de son épouse Khadija et de son oncle Abou Talib, alors qu'il était accablé par ce double deuil et qu'il était déjà prêt à porter sa prédication en dehors de sa ville, Mahomet fut emporté dans un voyage miraculeux. Il fut transporté du temple sacré de La Mekke jusqu'au temple éloigné, El Aqsa, de Jérusalem ; et des ruines du Temple de Jérusalem, il put monter jusqu'au pied du trône divin. Pour le Prophète de l'Islam, le culte juif gardait encore toute sa valeur, et les fidèles judaïsants de Médine furent donc autorisés à conserver leur propre culte, puisqu'ils étaient déjà les adorateurs du Dieu unique, et qu'ils suivaient l'enseignement traditionnel des prophètes d'Israël. Ces juifs de Médine avaient le droit de compter sur la protection des Arabes, mais, en contrepartie, ils avaient le devoir de contribuer aux frais de guerre éventuels que les musulmans pouvaient entreprendre contre leurs adversaires éventuels. L'arbitrage de toute contestation entre les habitants de l'oasis revenait naturellement au Prophète. Les principaux articles de la loi que Mahomet voulut imposer à cette nouvelle communauté furent évidemment les principes mêmes de l'Islam : la reconnaissance du Dieu unique et la foi en lui, le souverain de l'univers, la croyance aux fins dernières et au jugement final qui devait régler le destin de tous les hommes, selon le bien ou le mal qu'ils avaient accompli au cours de leur existence terrestre, la croyance également en l'intervention de Dieu dans le cours de l'histoire des hommes. D'autres articles fondamentaux vinrent s'ajouter par la suite, comme les piliers de la foi islamique. Mais il suffisait d'imposer ces premiers principes dogmatiques pour créer des liens entre tous les adeptes de la nouvelle communauté. Pour cimenter les liens qui pouvaient se créer entre ses fidèles, qui avaient quitté La Mekke, pour suivre les prescriptions de l'Islam, et les habitants de l'oasis qui les avait accueillis, Mahomet estima que la construction d'un foyer communautaire, d'une mosquée était une tâche urgente à réaliser.

Aussitôt, guidés par le Prophète, ses fidèles se mirent en oeuvre et, en deux mois, l'édifice fut achevé : il comprenait un parvis, au sol semé de sable et de gravier, destiné aux réunions publiques et à la prière, et, sur un côté, un logement pour le Prophète et pour sa proche famille.

Dans les premiers temps de son installation dans cette oasis, il semble que Mahomet ait voulu entièrement gager la confiance des juifs, en considérant leur religion comme très proche de celle qu'il prêchait. Cependant, les juifs se refusaient à reconnaître en lui un prophète envoyé aux païens pour leur faire connaître la révélation monothéiste ; par ce refus, ils devaient amener le Prophète à considérer la religion qu'il prêchait comme une religion totalement différente des religions antérieurement révélées, comme une religion occupant une place à part des autres. Et la prise de conscience de cette spécificité de l'Islam fut marquée par un événement assez exceptionnel. Au début de sa prédication, Mahomet avait laissé les croyants libres de se tourner dans n'importe quelle direction pour adresser leur prière au Souverain de l'univers, puisque l'orient et l'occident appartiennent à Dieu. Quel que soit le côté vers lequel vous vous tournez, la face de Dieu est là. Dieu est présent partout (Sourate II, 115). Dieu seul pouvait emplir le monde de sa présence. Toutefois, Mahomet lui-même préconisait initialement aux croyants de se tourner vers Jérusalem, la ville sainte, de laquelle il avait été enlevé mystiquement pour contempler le trône divin. Une unité de direction pour la prière s'imposait comme une nécessité spirituelle : l'union de tous les fidèles dans une même orientation devait certes conforter l'idéal spirituel de tous les croyants. En rompant de manière définitive avec la religion des juifs qui méprisaient le nouveau prophète, et en opposant radicalement l'islam à la religion mosaïque, Mahomet va inviter ses fidèles à ne plus se tourner vers Jérusalem, mais plutôt vers le sanctuaire sacré de La Mekke, qui apparaîtra ainsi comme le point focal vers lequel s'élèvera toute prière dans le monde musulman. Une révélation, rapportée dans le Coran, viendra par ailleurs conforter cette décision : L'orient et l'occident appartiennent à Dieu, il guide qui il veut dans le chemin droit. Nous avons fait de vous une communauté éloignée des extrêmes, pour que vous soyez témoins contre les hommes et que le Prophète soit témoin contre vous. Nous n'avions établi la Qibla (l'orientation pour la prière) que pour distinguer ceux qui suivent le Prophète de ceux qui retournent sur leurs pas. C'est là vraiment un grand péché sauf pour ceux que Dieu dirige. Ce n'est pas Dieu qui rendra vaine votre foi. - Dieu est, en vérité, bon et miséricordieux. Nous te voyons souvent la face tournée vers le ciel, nous allons t'orienter vers une Qibla qui te plaira. Tourne donc ton visage dans la direction de la Mosquée sacrée (le Temple de La Mekke). Où que vous soyez, tournez votre visage dans sa direction. Ceux qui ont reçu le Coran savent qu'il est la Vérité venue du Seigneur, et Dieu n'est pas inattentif à ce qu'ils peuvent faire (Sourate II, 143-144).

Depuis ce jour de la révélation de l'orientation vénérable de la prière musulmane, toute prière, pour tous les musulmans du monde, se fera uniquement dans la direction du Temple sacré, de la Kaaba de La Mekke. C'est, en effet, en ce lieu que le prophète et patriarche Abraham avait, le premier, édifié la maison d'Allah sur la terre : ce lieu avait été béni par la présence même du promoteur de la religion la plus pure, celle du monothéisme absolu.

De plus, à ces hommes qui étaient pris par une religion commune, mais qui vivaient en compagnie de concitoyens qui ne partageaient pas leur foi, Mahomet voulut donner une sorte de constitution civile qui devait régler pour les années à venir les relations entre tous les habitants de Médine. Il agissait ainsi non seulement en chef prophétique mais aussi en un véritable législateur, organisation une société civile selon la volonté d'Allah : il lui fallait régler les conditions des rapports entre ses fidèles et les autres citoyens de Médine, dont il se considérait également le chef, en raison de la mission divine dont il avait été investi. Un véritable état islamique allait naître peu après l'Hégire, c'est-à-dire peu après l'émigration du Prophète. Le document qui a été livré par la tradition est d'une authenticité certaine, et il semble vraiment peu postérieur à l'installation de Mahomet à Médine, même s'il faut certainement reconnaître qu'il a été remanié ou retouché dans les générations qui ont suivi. Le titre même de la constitution de la communauté de Médine en révèle entièrement l'esprit et même le contenu : Convention établie par l'envoyé de Dieu entre les émigrés et les auxiliaires et pour la paix avec les juifs. La législation, instaurée par Mahomet, concerne évidemment les croyants, les musulmans, qu'ils soient mekkois ou qu'ils soient médinois. Il est question d'un pacte de paix avec les juifs, à qui la liberté de culte est laissée ainsi que la libre disposition de leurs biens, sous la réserve qu'ils respectent la réglementation islamique. La législation préconisée par Mahomet n'est pas radicalement nouvelle ; elle laisse à la réglementation traditionnelle des tribus le soin de régler les différends entre les clans, l'essentiel étant naturellement de préserver la paix entre les hommes ; ces règlements sont corrigés aussitôt par des articles qui concernent les croyants, à qui toute protection doit être accordée, qu'ils soient musulmans ou qu'ils soient juifs ; certains articles concernent directement les Juifs, auxquels il est fait obligation de participer financièrement à toute guerre entreprise par les fidèles de l'Islam, si les juifs veulent conserver l'appui et la protection des musulmans à l'intérieur de la cité ; d'autre part, une entraide est toujours possible entre les croyants individuels : le musulman peut et doit même apporter son concours à tout juif dans la difficulté, pourvu que celui-ci respecte la législation imposée par le Prophète. Un article fondamental est celui de l'autorité réservée à Mahomet : En toute contestation, remettez-vous en à Dieu et à Mahomet. C'est en effet de Dieu et de son envoyé que peuvent découler la sécurité et le salut pour les habitants de la ville de Médine.

L'hostilité des Juifs

Au début, ainsi qu'il a déjà été dit, un certain nombre de juifs accueillirent avec enthousiasme les propositions de la nouvelle foi proclamée par le Prophète : ses arguments étaient particulièrement convaincants, et ils devaient ramener tous les hommes sur les chemins du véritable monothéisme, tel qu'il fut proposé par Abraham, réglementé par Moïse et défendu par tous les prophètes. Certains juifs étaient même venus se convertir entre les mains de Mahomet. Pour les autres, qui étaient plus réticents à se soumettre à la nouvelle discipline religieuse, le choix initial du Temple de Salomon à Jérusalem comme Qibla, comme point de direction pour la prière publique, avait certainement flatté leur orgueil juif ; ils en avaient même conclu à la supériorité de la religion juive sur l'Islam naissant, ou même à la supériorité de la race juive sur la race arabe. Mais lorsque, sur une révélation rapportée dans le Coran, la Qibla ne fut plus orientée vers Jérusalem nais vers La Mekke, leur amour-propre en fut particulièrement mortifié. Et cela leur était d'autant plus sensibles qu'ils venaient de comprendre que la prédication de Mahomet pouvait fort bien avoir des conséquences économiques désastreuses pour leurs intérêts privés.

Avant l'arrivée du Prophète, ils pouvaient profiter des dissensions entre les clans arabes pour maintenir leur propre puissance commerciale et économique ; avec la législation qui était maintenant imposée par Mahomet, la fraternité s'était imposée comme un devoir entre tous les partis arabes, et les juifs perdaient une grande partie de leur influence. Aussi cherchèrent-ils à réveiller la discorde entre les Arabes de la région de Médine, trouvant même un appui auprès de l'aristocratie arabe de Médine : les nobles de la cité se sentaient quelque peu humiliés par les principes égalitaires que leur imposait ce Prophète venu d'ailleurs, les considérant comme les frères des hommes de condition sociale inférieure. Ces adversaires, issus de la race arabe, furent particulièrement dangereux pour l'expansion de l'Islam : des hypocrites , appelés aussi par le Coran : les douteurs , se mêlaient aux musulmans sincères, professant extérieurement leur doctrine, mais surprenant leurs secrets pour les transmettre aux juifs comme aux polythéistes.

Les groupements juifs, à Médine même, n'étaient pas homogènes : des dissensions profondes existaient entre eux, et toute la diplomatie de Mahomet consistera à les abattre séparément, en leur faisant prendre conscience de leurs discordes.

Le Coran leur reproche d'ailleurs celles-ci en des termes très évocateurs : Nous avons fait alliance avec les fils d'Israël : Vous n'adorerez que Dieu, soyez bons à l'égard de vos parents, de vos proches, des orphelins et des pauvres. Usez envers les hommes de paroles de bonté ; acquittez-vous du devoir de la prière et pratiquez l'aumône. Vous vous êtes ensuite détournés, à l'exception d'un petit nombre parmi vous, vous vous êtes écartés de votre droit chemin... Nous avons conclu une alliance avec vous (la première constitution islamique de Médine) : ne répandez pas le sang, ne vous expulsez pas les uns les autres de vos maisons. Vous avez accepté cette alliance, vous pouvez même en témoigner. Mais voilà comment vous vous comportez par la suite : vous vous entre-tuez, vous expulsez de leurs demeures certains d'entre vous, vous vous liguez contre eux afin de leur porter préjudice et commettre ainsi des crimes. Pourtant, s'ils se constituent prisonniers, vous les rachetez, alors que leur expulsion vous est interdite. Croyez-vous donc à une certaine partie du Livre et restez-vous incrédules à l'égard d'une autre partie de ce Livre ? (Sourate II, 83-85).

Face aux trahisons des Juifs, Mahomet décidera de prendre complètement son indépendance par rapport à eux, entrant en lutte ouverte avec eux. Son argumentation reposera sur son idéal de retour à la foi abrahamique : Abraham, ayant vécu avant la révélation mosaïque, n'était pas juif. L'Islam sera donc indépendant du judaïsme, en tant qu'il est le retour à la foi monothéiste pure de l'ancêtre Abraham. Et, comme il fallait assurer la vie matérielle de la communauté musulmane, Mahomet n'hésita pas à envoyer quelques-uns de ses fidèles piller une caravane qui se rendait à La Mekke, alors que la trêve était imposée par la loi. Lorsqu'ils voulurent renouveler leur exploit les musulmans médinois se heurtèrent à des troupes mekkoises, mais, dans cette bataille, connue sous le nom de Badr, en raison de l'appellation des puits qui se trouvaient à proximité de cette bataille, Allah se manifesta comme étant le Dieu qui soutenait les combattants fidèles à l'Islam, mettant en déroute la colonne mekkoise venue à la rescousse de la caravane en difficulté. Cette victoire, en mars 624, assurait le prestige du Prophète. Mais, les Médinois eux-mêmes se mirent à critiquer les activités religieuses de Mahomet, soutenus qu'ils étaient par les juifs : les Hypocrites multipliaient leurs sarcasmes à l'égard du prophète inspiré de Dieu. Aussi Mahomet décida-t-il de supprimer toute forme d'opposition à sa cause, soit en expulsant certaines colonies juives, soit en ordonnant le massacre de la population masculine d'autres colonies...

En 625, au mois de mars, les troupes mekkoises prenaient leur revanche de Badr. Tous les hommes de la tribu des Qoraïchites, soit environ trois mille guerriers, en comptant les bédouins alliés et les mercenaires, partaient pour Médine. Mahomet n'avait pu réunir que mille hommes, en comptant les trois cents hypocrites, qui firent défection au dernier moment. Les fidèles musulmans furent pris à revers devant les collines d'Odoh, avoisinant la ville de Médine ; Mahomet lui-même fut blessé dans ce combat : il eut une lèvre fendue par une pierre et une joue traversée par une flèche, ainsi que deux dents cassées. Mais les Mekkois ne surent pas exploiter leur victoire et se retirèrent, donnant rendez-vous aux Médinois pour une autre bataille, dans la tradition sportive des tribus. Quant aux vaincus, selon l'ordre de Mahomet, ils enterrèrent leurs morts, sans les laver, pour qu'ils puissent paraître devant Dieu comme des martyrs de la foi, couverts de leur sang.

Non contents de ce succès, les Mekkois voulurent marcher sur la ville de Médine, en 627 : des juifs de la région de Médine étaient allés proposer leur alliance aux Qoraïchites, tramant une conspiration qui aurait dû conduire à la perte totale de la ville du Prophète. Lorsque Mahomet apprit l'importance de l'expédition qui se montait contre sa cité, il n'eut guère de peine à convaincre ses compatriotes que le seul moyen efficace de salut était de se retrancher dans leur cité, qui était protégée soit par des remparts, soit par des fortins, soit par des jardins ; seul, le côté nord pouvait offrir une prise à l'assaut des ennemis. C'est un persan récemment converti, Selman el Farisi, qui enseigna au Prophète le moyen efficace de protéger la ville contre les attaques attendues : il exposa à Mahomet une tactique qu'il avait vu pratiquer dans son pays : il s'agissait simplement de creuser un fossé autour de la ville, en sa partie la moins protégée, et de couvrir ce fossé par des archers qui recevraient l'assaut des ennemis.

Mahomet fut tellement frappé par les arguments de ce persan qu'il ordonna la construction immédiate de ce fossé. Tous les fidèles se mirent immédiatement à l'oeuvre, et le fossé était à peine achevé que l'armée ennemie établissait ses campements à proximité de Médine. Un clan juif fit défection aux musulmans ce qui ne manqua pas d'inquiéter les fidèles ; car ces juifs connaissaient non seulement les secrets des musulmans mais aussi tous les points faibles de la ville. Les Hypocrites, quant à eux, suivant leur tactique habituelle, essayèrent de semer la panique dus les esprits des croyants. Mahomet fit enfin sortir ses troupes en les disposant derrière le fossé ; pendant vingt Jours et vingt nuits, le combat se résuma en une simple observation des forces en présence. Les fidèles de Mahomet craignaient la puissance numérique des années mekkoises ; celles-ci, lassées de leur inaction, se lancèrent finalement à l'assaut de la ville, tombant dans le piège du fossé profond où les guerriers s'engouffrèrent. C'est la tribu juive qui avait trahi la confiance des musulmans qui paya le plus cher sa défection : Mahomet n'hésita pas à ordonner l'extermination complète de tous les hommes et la mise en esclavage des femmes et des enfants. Les Hypocrites comprirent enfin la puissance musulmane et toute opposition cessa enfin à Médine.

La reconquête de La Mekke

En mars 628, Mahomet se décide à accomplir un pèlerinage à la ville sainte de La Mekke. Mais les Qoraïchites ne sont pas décidés à le recevoir dans leur cité. Néanmoins, le Prophète réussit à conclure avec eux un armistice de dix ans, à El Hodeibia. L'entrée de la ville sainte ne serait pas accordée cette année-là à Mahomet et à ses compagnons, mais l'année suivante, les Mekkois évacueraient leur ville pendant trois jours pour permettre aux fidèles de l'Islam d'accomplir leur pèlerinage et leur visite aux Lieux saints. Conformément aux stipulations de cet accord de trie, Mahomet fit sa visite pieuse à La Mekke : il réalisait ainsi son souhait le plus ardent, et il pouvait enfin revoir sa ville d'origine pour la première fois depuis son émigration. A l'approche des fidèles musulmans, les Mekkois quittèrent leur ville, se soumettant eux aussi aux stipulations du traité d'El Hodeibia. A l'exception du menu peuple, La Mekke était entièrement déserte ; et les adeptes de l'Islam auraient pu s'emparer de la ville sans livre aucun combat, mais Mahomet était incapable de commettre une telle trahison de la parole donnée. Il était venu dans cette ville, animé de pieuses intentions, et il ne voulait rien faire d'autre que d'accomplir tous les rites du pèlerinage : il baisa la Pierre Noire, avant d'entreprendre la traditionnelle Thouaf, c'est-à-dire la septuple circumambulation autour de la Kaaba. Après cela, il fit inviter ses fidèles à la prière, avant d'accomplir un autre rite du pèlerinage, le Sâï, la course entre les deux collines de Safa et de Meroua, ainsi que les ablutions au puits de Zemzem. En accomplissant ces derniers rites, il voulait rappeler le souvenir de son ancêtre, Ismaël, le père de la nation arabe, et de sa mère Agar. Au cours de sa fuite dans le désert, Agar, n'ayant plus la force de porter son fils qui, comme elle risquait de succomber à la soif la plus ardente, avait déposé Ismaël à l'ombre d'un arbuste ; puis, elle s'était élancée au sommet d'une colline dans le but de découvrir au loin un puis où elle aurait pu désaltérer son fils, avant de revenir auprès de celui-ci. Sept fois de suite, elle avait recommencé cette course, animée d'un fol espoir, entre les deux collines. Elle ne pensait retrouver qu'un cadavre, lorsqu'elle aperçut son fils se désaltérant lui-même à une source que le Dieu Très Compatissant avait fait jaillir sous les pieds du malheureux enfant. Cette source était devenue le puits de Zemzem. A l'exemple d'Agar, Mahomet et ses fidèles accomplirent la course angoissante, avant de venir faire leurs ablutions rituelles au puits de Zemzem. Le lendemain, ils commémorèrent le sacrifice d'Abraham, en immolant les animaux qu'ils avaient emmenés en vue de les sacrifier au Dieu unique, partageant leur chair entre tous les pèlerins, qui retrouvaient, par la suite, leur condition de vie ordinaire.

En accomplissant tous ces rites, institués par la descendance du prophète Abraham et maintenus dans la nation arabe, Mahomet agissait en habile tacticien nationaliste et en fin politique : il voulait faire savoir à tous les arabes, même et surtout aux idolâtres, qu'il n'avait nullement l'intention d'abolir toutes les traditions, mais qu'il voulait les ramener à leur état de pureté originaire.

En janvier 630, Mahomet décida de marcher sur La Mekke, en violant le traité d'El Hodeibia : le dixième jour du mois de Ramadan (11 janvier 630), il partit, à la tête d'un groupe déjà considérable, groupe qui s'accrut sur le parcours des tribus venues apporter leur concours au Prophète, qui se retrouva bientôt à la tête d'une véritable armée, forte de dix mille hommes. Il n'y eut pas de combat : les chefs Qoraïchites vinrent lui faire acte de soumission et laissant Mahomet entrer dans la ville sainte. Mahomet se rendit directement à la Kaaba pour accomplir les rites traditionnels auxquels il avait redonné toute leur puissance au cours de son précédent pèlerinage, puis il entra dans le sanctuaire ; à l'intérieur de celui-ci, il fut effrayé par la présence des nombreuses idoles qui profanaient la sainteté de ce lieu. Il fit renverser toutes les idoles en disant : La vérité est venue, l'erreur s'est dissipée. Lorsque les trois cent soixante idoles qui peuplaient le sanctuaire furent renversées, Mahomet se tourna vers la Pierre Noire de la Kaaba, en proclamant : Il n'y a de Dieu qu'Allah. Il n'a pas d'associés. Il a accompli sa promesse en secourut son envoyé et en dispersant tous ses ennemis. Il décréta une amnistie générale de la population mekkoise, qui aurait dû devenir esclave, selon les lois de la guerre ; de cette amnistie, il excepta quelques polythéistes dont la conduite avait été impardonnable. Une nouvelle ère commençait : dans le monde arabe, la seule aristocratie qui serait désormais authentique serait celle de la piété. Le Prophète avait enfin réussi à étendre sa domination sur l'ensemble de la péninsule arabique : désormais, ceux qui voudraient effectuer le pèlerinage de La Mekke devraient avoir renoncé au polythéisme et professer la religion monothéiste islamique. Un peu partout, les idoles furent abattues, des accords furent signés entre les tribus, même avec les chrétiens. L'Islam s'imposait définitivement.

Le pèlerinage des adieux

Au cours du pèlerinage de l'année 631, présidé par Abou Bakr, une révélation coranique prit force de loi : le polythéisme était mis définitivement hors la loi. L'année suivante, Mahomet voulut conduire le pèlerinage en personne, selon le rite que lui-même avait prescrit.

Depuis l'année de l'Hégire, il n'avait accompli que de petits pèlerinages à la ville sainte, il s'agissait de visites pieuses , alors que La Mekke n'était pas encore totalement convertie à l'Islam. Il voulait accomplir le Grand pèlerinage qui impose, en plus de la visite au Temple sacré d'Allah, une visite à la montagne d'Arafa, sur laquelle s'étaient retrouvés Adam et Ève, après leur expulsion du paradis terrestre. Quatre vingt dix mille personnes l'accompagnaient dans ce Grand pèlerinage, qui allait devenir un des piliers de l'Islam. Mahomet prit le costume d'ihram, manifestant ainsi l'état de sacralisation dans lequel devait se trouver tout homme qui se rendait auprès du lieu béni par Allah, il répéta le rite traditionnel de la circumambulation autour de la Kaaba d'Abraham, avant de venir vénérer la Pierre noire, il effectua une fois de plus la course entre les collines de Safa et de Meroua, en mémoire d'Ismaël et d'Agar, il campa avec les siens sur le mont Arafa, il dirigea lui-même les sacrifices des moutons et des chameaux en souvenir du sacrifice d'Abraham. Il fit effectuer la désacralisation des fidèles pèlerins, en leur faisant couper les cheveux et les ongles, avant d'effectuer une nouvelle visite aux lieux saints.

Pour le Prophète, ce fut le pèlerinage des adieux : il prêcha lui-même sur le mont Arafa, en rappelant les grands principes de l'Islam, enjoignant tous les musulmans à rester unis après sa mort, rappelant les droits et les devoirs mutuels des époux. Il interdit formellement de retirer un intérêt quelconque de l'argent prêté, de se venger des meurtres commis au temps où l'Islam n'était pas encore connu. Il fixa la durée de l'année à douze mois, selon un calendrier lunaire.

Deux fois, au cours de cette dernière grande prédication, il interrogea la foule, pour savoir s'il avait bien accompli sa mission. La réponse lui vint par une révélation qui est considérée comme la dernière qui lui ait été faite de la part de Dieu : Aujourd'hui, j'ai mis le sceau à votre religion, en la rendant parfaite ; je vous ai comblés de la plénitude de ma grâce ; et il me plaît que l'Islam soit votre unique foi (Sourate V, 5). Cette révélation suscita de nouveau l'enthousiasme parmi les fidèles du Prophète, qui redoutaient pourtant de voir bientôt leur guide disparaître de ce monde. Puisque la grâce, puisque toute l'action divine avait été complètement accomplie par l'Envoyé d'Allah, ce dernier pouvait maintenant quitter ce monde, dans la consolation d'avoir parfaitement accompli la mission qui lui avait été confiée. L'enthousiasme fut donc mêlé de crainte et d'angoisse : comment l'Islam allait-il survivre à la mort de son Prophète ?

La mort de Mahomet

De fait, revenu à Médine, le Prophète allait s'éteindre très rapidement. Il fut saisi de violentes migraines qui ne lui laissèrent plus de répit, bien que son esprit s'occupât sans cesse de l'avenir de l'Islam, comme s'il pressentait les dissensions qui allaient se faire jour peu de temps après sa mort. La veille de sa mort, après la fin de la prière commune, il s'adressa une nouvelle fois à ses fidèles, leur prédisant les épreuves qui allaient bientôt s'abattre sur eux, s'ils ne restaient pas des observants très stricts des principes islamiques : le respect du Coran est la seule voie du salut.

Le lundi 13 Rabi'Premier de l'an XI de l'Hégire, c'est-à-dire le 8 juin 632, Mahomet s'éteignait, laissant ses proches dans la consternation, comme si ceux-ci avaient pu croire en l'immortalité de leur Prophète. Abou Bakr avertit solennellement la foule des musulmans : O Croyants, si vous adoriez Mahomet, apprenez que Mahomet est mort. Mais si vous adorez Allah, sachez qu'Allah est vivant, car il ne meurt pas. Souvenez-vous de ce qu'enseigne le Coran : Mahomet n'est qu'un envoyé ; d'autres envoyés l'ont précédé. S'il mourait ou s'il était tué, retourneriez-vous à vos anciennes erreurs ? (Sourate III, 138) et encore : Tu mourras, Mahomet, et eux aussi, ils mourront (Sourate XXXIX, 3l).

Au moment même de sa mort, il fallait trouver quelqu'un qui puisse succéder à Mahomet, quelqu'un qui puisse prendre en mains les destinées de l'Islam, alors que le Prophète venait de s'éteindre. Et puisque Mahomet avait déjà choisi son fidèle ami, Abou Bakr, comme le président de la prière commune, il fut décidé que ce serait lui qui assurerait le rôle de lieutenant pour continuer l'oeuvre du prophète : ce lieutenant aurait le nom de Calife.

La cérémonie des funérailles se déroula en présence de tous les fidèles, dans la chambre même où Mahomet était mort. Il ne fut pas enveloppé dans un linceul, mais dans les vêtements qu'il portait au moment de sa mort. La prière qui présida à ces funérailles fut simplement une attestation, un témoignage que Mahomet avait bien accompli la mission qui lui avait été confiée par Allah, en même temps qu'une demande instante au Dieu unique et souverain de l'univers de rester toujours fidèles aux principes que le Prophète leur avait enseignés et transmis de sa part. Une tombe fut creusée à l'endroit même où Mahomet était mort : un modeste temple fut édifié en ce lieu, s'appuyant sur l'édifice que Mahomet avait construit de ses mains. Actuellement, une somptueuse mosquée englobe son tombeau ; mais la visite au tombeau du Prophète n'est pas une des prescriptions rituelles de l'Islam, même si de nombreux pèlerins, se rendant à La Mekke pour le Grand pèlerinage, n'hésitent pas à venir rendre un hommage posthume à celui qui a été l'envoyé d'Allah et qui leur a montré les chemins du salut, par l'Islam.

Puisque Mahomet ne laissait pas d'héritier mâle et qu'il n'avait pas désigné expressément de successeur à sa tâche, la communauté islamique choisit donc Abou Bakr comme premier calife. Celui-ci exerça sa tâche pendant deux années, mais, avant de mourir, Abou Bakr désigna Omar comme son successeur.

Omar exerça la fonction de calife de 634 à 644, année où il fut assassiné par un chrétien persan ; c'est Omar qui poussa au plus les conquêtes entreprises par les jeunes armées islamiques dans une sorte de guerre sainte pour faire connaître au monde la foi musulmane. Après l'assassinat d'Omar, c'est Othman qui fut choisi pour exercer la fonction de troisième calife des croyants. Othman était un des gendres du Prophète, un descendant d'Omayya, frère d'Abd al-Mottalib, le grand-père de Mahomet. Cette nomination faite par un conseil de six docteurs de la loi mécontenta fortement les partisans d'Ali, un autre des gendres de Mahomet, descendant lui aussi d'une branche de la famille de Mahomet, celle d'Hachim, l'arrière-grand-père du Prophète. Il eut été normal d'effectuer la nomination du calife en tenant compte de la branche directe au lieu de passer par une branche familiale parallèle. Le choix d'Othman fut le point de départ d'un schisme qui allait secouer l'histoire de l'Islam. Othman poursuivit la politique de ses prédécesseurs en menant les conquêtes musulmanes vers l'Afrique et la Turquie ; mais, il fut, à son tour, assassiné en 656, vraisemblablement sous l'impulsion des partisans d'Ali, qui pouvait enfin accéder au califat. Mais Ali connu beaucoup de difficultés, notamment pour se faire reconnaître de ses rivaux, en particulier du puissant gouverneur de Syrie, Mo'awiya, un cousin d'Othman, qui aurait voulu prendre la place d'Othman à la tête de l'état islamique, établissant ainsi une dynastie omeyyade au lieu de laisser place aux hachimites. Les dissensions entre les deux branches de la famille de Mahomet devaient se traduire par des batailles et des complots entre les partisans de l'une ou de l'autre branche, jusqu'à la bataille de Siffin, en 658. Les adversaires se faisaient face, brandissant sur leurs lances des feuillets du Coran : comment aurait-il pu être possible de combattre des frères qui étaient ainsi protégés par une même Écriture sainte ? La bataille n'eut donc pas lieu et l'on chercha un arbitrage pour régler la question de la succession.

De nombreuses tractations eurent alors lieu, et Ali fut contraint de se soumettre, lorsqu'il fut mis en minorité : le califat lui échappait pour passer aux mains de Mo'awiya. Toutefois, certains, parmi les partisans d'Ali, refusèrent de reconnaître cet arbitrage : celui qui a été choisi comme calife, de manière régulière, et qui reçoit ainsi l'hommage des croyants, est investi d'une charge qui lui vient de Dieu, et personne n'a le droit de remettre en question ce qui est l'expression même de la volonté d'Allah. Les kharijites créaient ainsi un premier groupe dissident de l'Islam, en reprochant à Ali d'avoir accepté un arbitrage purement humain, alors que, dans l'Islam authentique dont ils se prétendront les uniques dépositaires, cet arbitrage ne peut appartenir qu'à Dieu. Un autre groupe sectaire lui aussi vit le jour à la même époque : les chiites, fidèles partisans d'Ali, décidés à demeurer à ses côtés dans l'opposition au gouverneur de Syrie, Mo'awiya. Ces chiites, partisans d'Ali et de la famille du Prophète, se présentent ainsi comme les légitimistes de l'Islam, accordant à Ali et à ses successeurs directs le principe de l'hérédité des pouvoirs temporels et spirituels, en leur qualité d'imân. L'imân est celui qui est charge de diriger la communauté, non pas comme un calife purement politique, mais comme un docteur investi d'une mission divine dans le prolongement de la mission du Prophète, en ayant connaissance des doctrines secrètes que Mahomet aurait transmises à Ali.

Avec la naissance de ces deux sectes, l'unité politique de l'Islam était définitivement brisée, même si la foi musulmane allait se répandre grâce à l'habileté commerçante des Arabes et grâce aux raffinements de leurs moeurs.