UNE FEDERATION D'EGLISES
EN MARCHE VERS L'OECUMENISME
La séparation des Églises issues de la Réforme vis-à-vis de l'Eglise catholique romaine s'est faite pour des raisons doctrinales, pour des motifs qui relevaient de la foi chrétienne. Luther et Calvin sont intervenus pour rappeler avec force les exigences évangéliques en face d'un catholicisme qui s'était cristallisé autour de ses traditions : jamais Luther n'a voulu opérer une scission, mais il appelait de tous ses voeux une réforme intérieure de l'Eglise et toutes ses intentions étaient profondément et authentiquement catholiques. La rupture est venue d'une incompréhension réciproque : Luther proclamait la primauté de la foi, Calvin celle de l'Écriture, tout en refusant, l'un comme l'autre, l'autorité absolue du magistère romain. La querelle théologique dégénéra en guerre religieuse, et le protestantisme ne put se développer qu'à l'ombre de la Croix, dans des persécutions de toutes sortes, surtout en France où la monarchie s'était alliée avec la puissance de l'Eglise romaine. Dans d'autres pays, au contraire, ce fut une sorte de triomphe relatif du protestantisme, qui se libérait de la tutelle romaine. Mais les deux Églises durcirent leurs positions, en s'accusant mutuellement d'hérésie. Néanmoins, le mouvement de la Réforme fut toujours marqué par un souci d'unité, malgré les divergences qui pouvaient exister entre ses différentes tendances ; en effet, il n'importe pas tant au protestantisme de découvrir réellement l'unité visible - celle-ci n'existe d'ailleurs pas - que de croire en l'Eglise, laquelle devient un objet de foi. Quelle que soit son obédience religieuse, le protestant sait qu'il appartient à l'unique Eglise de Jésus-Christ, Eglise en construction, Eglise qui doit chercher avant tout la gloire et l'honneur de Dieu, beaucoup plus que le triomphe ou la suprématie d'une visibilité temporelle.
Les différentes Églises protestantes
Des Églises issues de la Réforme, les plus importantes sont l'Eglise luthérienne, qui compte entre soixante et soixante-dix millions de fidèles dispersés à travers le monde, et l'Eglise réformée, d'origine calvinienne, qui regroupe environ cinquante-cinq millions de fidèles. Les Églises, et même les sectes, se sont rapidement multipliées, dans le protestantisme, dès le seizième siècle, sans doute à cause du principe du libre examen de Écriture par l'individu croyant, principe défendu avec ardeur par les premiers réformateurs, mais aussi et peut-être surtout en raison de cet autre principe, qui veut que la Réforme de l'Eglise soit toujours à faire et que la véritable Eglise de Jésus Christ ne cesse d'être en construction.
Les Anabaptistes ont vu le jour, vers 1520, à Zurich. Leur nom vient du fait qu'ils pratiquaient un second baptême pour les adultes, qui avaient été baptisés dans leur enfance. Ce second baptême implique une adhésion personnelle des hommes qui acceptent la Parole de Dieu, et qui refusent, dans le même temps, tort asservissement à un pouvoir civil, fut-il inspiré par une Eglise d'État. Ils ont été organisés par un prêtre, venu du catholicisme, Simon Menno (1492-1559) ; celui-ci leur redonna vie, après les persécutions qu'ils avaient connues aux Pays-Bas et en Europe du Nord, en 1146. Les Anabaptistes, appelés aussi de ce fait Mennonites, comptent environ cinq cent quatre-vingt mille fidèles principalement aux Pays Bas et aux États Unis.
Les Baptistes ont trouvé leur origine dans le mouvement anabaptiste, s'organisant en communautés ferventes dans l'Angleterre de la fin du dix-septième siècle. Le baptême n'est accordé qu'à l'âge adulte. Les communautés administrées sous une autorité entièrement locales rejettent aussi bien l'épiscopalisme que le presbytéranisme. Les Baptistes, dont le nombre est estimé à plus de trente millions de fidèles, sont largement répandus dans le monde, surtout aux États Unis, mais aussi en Union Soviétique, où les communautés sont très prospères.
Les Méthodistes sont également un peu plus de trente millions répandus dans le monde, mais plus spécialement en Amérique.
Ils trouvent leur origine dans la prédication des deux frères John et Charles Wesley, qui voulaient réveiller la foi des chrétiens anglicans. Le méthodisme, ainsi appelé plus ou moins ironiquement au départ par ses détracteurs, repose sur l'insistance que les deux frères mettaient dans la nécessité de la justification, par l'accomplissement des actions bonnes, mais aussi par la disposition du coeur à accomplir de telles actions. Dans le mouvement oecuménique, les méthodistes jouent un grand rôle d'autant plus qu'ils ont des tendances catholicisantes, même s'ils se considèrent réellement comme d'authentiques protestants.
En revanche , les Églises évangéliques adoptent une attitude très prudente à l'égard de l'oecuménisme. Elles regroupent des croyants fondamentalistes pour qui toute la Bible est Parole de Dieu, ce qui n'est contesté par personne, et pour qui aussi se le la Bible est Parole de Dieu : c'est la Bible seule qui peut être la référence dans toute vie chrétienne. Le chrétien doit d'abord professer son appartenance à Jésus Christ, par une décision personnelle, avant de recevoir le baptême.
Dès avant la création du Conseil oecuménique des Églises, monde protestant aspirait déjà à une certaine réunification ; des regroupements avaient pris le nom d'alliance.
- 1844 : première union chrétienne de jeunes gens
- 1847 : appel à une alliance évangélique universelle
- 1854 : première conférence missionnaire internationale
- 1855 : alliance universelle des unions chrétiennes de Jeunes gens
- 1867 : première conférence internationale des responsables d la communion anglicane
- 1875 : fondation d'une alliance universelle des Églises réformées suivant le système presbytérien, fondation qui devait se transformer en une alliance réformée mondiale
- 1881 : premier concile oecuménique méthodiste
- 1894 : alliance universelle des unions chrétiennes de jeunes filles
- 1895 : fédération universelle des associations chrétiennes d'étudiants
- 1900 : fondation de l'alliance luthérienne mondiale
- 1905 : fondation de l'alliance baptiste mondiale
- 1911 : Conférence missionnaire internationale d'Édimbourg
- 1914 : Alliance universelle pour l'amitié internationale par les Églises
Toutefois, comme les regroupements sont rarement décidés à l'unanimité, de nouvelles scissions se sont opérées à l'intérieur du protestantisme à la suite de ces tentatives d'alliances. C'est ainsi que la fédération protestante de France, constituée en 1905, n'a pas regroupé toutes les Églises : l'union des Églises évangéliques libres de France a voulu garder sa complète autonomie. De même, en 1938, l'Eglise réformée de France a voulu regrouper différentes Églises protestantes ; dans chacune de ces dernières, une fraction a préféré garder son autonomie.
Les origines du Conseil oecuménique des Églises
C'est du protestantisme qu'est venue la grande intuition de l'oecuménisme : la préhistoire de la recherche de l'unité commençait avec la Conférence missionnaire internationale Édimbourg Parmi les participants à cette Conférence, un évêque américain de l'Eglise épiscopalienne, Charles Brent avait compris que la division des Églises anciennes était un sérieux obstacle à l'effort missionnaire. Les représentants des jeunes Églises remerciaient les missionnaires qui leur avaient appris à connaître Jésus Christ, mais ils étaient en même temps scandalisés par les divergences de ces missionnaires, méthodistes, luthériens, calvinistes... Comment peut-on reconnaître un seul et même Seigneur au milieu de toutes les divisions de ses serviteurs ? La prédication de l'unique Évangile devait faire cesser toutes les dissensions pratiques qui subsistaient dans la grande oeuvre missionnaire. Cette idée devait trouver rapidement un écho très favorable dans les milieux protestants ; la première guerre mondiale retarda quelque peu la mise en oeuvre d'une telle ambition missionnaire, mais, dès le lendemain de la dite guerre, la réalisation était mise en chantier.
Le premier mouvement se caractérise par un christianisme pratique : Life and Work, qui appelle à travailler à l'unité dans les tâches éducatives et sociales, avant même que soit réglée toute la question doctrinale. Ce mouvement, mis en chantier au lendemain de la première guerre mondiale, réunit plus de six cents délégués, venus de trente-sept pays, lors d'une Conférence internationale, à Stockholm, du 19 au 29 août 1925. Délibérant dans la charité fraternelle, ce congrès formulait les principes fondamentaux de l'internationalisme chrétien, qui renvoie dos à dos l'impérialisme égoïste et le cosmopolitisme indifférent, en s'appuyant sur l'idéalisme de la jeunesse.
Un autre mouvement s'appuie davantage sur les divergences à surmonter en matière de foi et de constitution : Faith and Order. Le rassemblement de quatre cents représentants de cent huit Églises différentes, lors de la Conférence de Lausanne, du 3 au 21 août 1927, ne suscite pas le même enthousiasme que le congrès de Stockholm, car il s'agit de questions doctrinales, et malgré l'attitude très compréhensive des anglicans, les affrontements ne manquent pas de se lever entre ces représentants, qui préfèrent défendre leur propre position confessionnelle au lieu de rechercher les bases d'un accord possible. Ce congrès de Lausanne se solde donc par un échec.
Toutefois, la porte est désormais ouverte à une recherche d'entente. Ceux qui avaient travaillé à la préparation de ces deux grands rassemblements chrétiens vont désormais travailler dans une optique quelque peu différente, en préparant les chemins d'une fusion. L'Eglise catholique romaine est absente de cette entreprise : le pape Pie XI fait paraître une encyclique, Mortalium animos, dans laquelle il critique et même condamne l'initiative protestante en matière d'oecuménisme. Selon lui, l'Eglise de Jésus Christ demeure une, sainte, apostolique et catholique romaine : l'union ne peut se faire que par le retour des frères séparés dans le giron de Rome. Malgré cette encyclique de 1128, qui fut très mal reçue dans les milieux proches de l'oecuménisme, le mouvement de recherche de l'unité connaît un nouveau réveil dans les années 1930, notamment en réaction face à la montée des mouvements nationalistes et totalitaires dans les différents pays européens : l'Eglise de Jésus Christ devait être universelle et dépasser toutes les frontières, qu'elles soient raciales ou qu'elles soient nationales. Dix ans après le Congrès de Lausanne, les deux mouvements organisent un nouveau rassemblement. Life and Work réunit en 1937 sa Conférence a Oxford afin de tracer une ligne de conduite commune aux différentes Églises en face des grandes tentations idéologiques. La Conférence de Faith and Order, réunie, la même année, à Édimbourg, permet à ses participants d'exprimer leur conviction profonde d'appartenir au seul Seigneur Jésus Christ, appartenance qui était plus profonde que toutes les divisions apparentes des Églises particulières ; le principe de l'unité était affirmé, et l'unité chrétienne devait se manifester au monde entier. Ces deux conférences de 1937 approuvèrent également le projet de former un seul et unique mouvement, le Conseil oecuménique des Églises Ce projet reposait sans doute en partie sur un motif économique : il était devenu plus en plus difficile de trouver les moyens financiers nécessaires à la bonne marche des deux mouvements, qui regroupaient également certains représentants communs. Mais les motifs théoriques avaient aussi une grande importance : il convenait de coordonner efficacement le témoignage d'une action évangélisatrice commune et le témoignage de l'unité des Églises, en les enracinant au plus profond de la vie même de chacune des Églises En 1938, une première réunion consultative se tint à Utrecht pour jeter les fondements de la constitution de ce Conseil. Les différents participants espéraient pouvoir mettre rapidement en oeuvre leur grand projet ; mais la seconde guerre mondiale allait empêcher la première assemblée générale du Conseil, ou tout au moins allait sérieusement la retarder. Malgré le déclenchement du conflit mondial, le lien fraternel fut maintenu entre les différentes Églises qui puisaient dans cette solidarité oecuménique la force de poursuivre leur lent cheminement. Heureusement, le siège du Secrétariat du Conseil oecuménique se trouvait dans un pays neutre, à Genève.
Cela lui permettait de maintenir le contact avec les Églises des pays occupés et d'aider les prisonniers et les réfugiés qui se trouvaient séparés de leur propre Eglise.
Aussitôt la guerre achevée, les membres du Conseil provisoire des Églises rencontraient les représentants de l'Eglise évangélique allemande pour reprendre le dialogue ; celui-ci semblait devoir être difficile : comment retrouver des éléments favorables à une entente après les événements qui avaient ébranlé le monde ? Les membres de l'Eglise évangélique allemande, dans une déclaration très claire, déclarèrent à Stuttgart, en 1945, qu'ils reconnaissaient la responsabilité de leur propre Eglise dans le déclenchement du conflit mondial. Les conditions nécessaires à un nouveau départ pouvaient alors être réunies.
En 1948, le Conseil oecuménique des Églises peut se réunir en assemblée plénière à Amsterdam : les représentants de quarante-sept Églises, venus de quarante-quatre pays, décidèrent par un vote la création officielle de ce Conseil. En créant celui-ci, les représentants accrédités par leurs Églises avaient pleinement conscience de leur devoir de demeurer ensemble, c'était une exigence vitale qui leur était offerte par Jésus Christ lui-même qui les liait dans une communion de foi et d'espérance. Différents et conscients de leurs différences, ils voulaient témoigner de leur désir de demeurer toujours ensemble pour constituer l'unique Eglise de Jésus Christ. L'unité n'était pas encore réalisée, mais les chemins qui pouvaient y conduire sont désormais ouverts : le Conseil oecuménique des Églises est une association fraternelle des Églises qui acceptent Jésus Christ comme Dieu et comme Sauveur. Les conceptions théologiques ou ecclésiologiques peuvent être très différentes dans les Églises réunies dans le Conseil, qui se refuse de se présenter comme une super-Eglise. Le rôle de cette association est de rechercher comment parvenir à l'unité.
Les origines et la constitution de ce Conseil oecuménique des Églises restent des initiatives protestantes, même si quelques Églises orthodoxes participent à ce Conseil, dès l'assemblée d'Amsterdam. Ce n'est qu'en 1962 que l'Eglise orthodoxe du patriarcat de Moscou ainsi que plusieurs Églises orthodoxes d'Europe de l'Est entrent au Conseil oecuménique. Après près d'un millier d'années, un véritable échange fraternel pouvait se faire entre les Églises d'orient et les Églises d'occident. D'autre part, le Vatican n'autorisa pas la participation des catholiques à l'assemblée d'Amsterdam, même pas au titre d'observateurs. Malgré cette prudence et cette réserve du côté catholique, les partisans ne manquaient pas de l'oecuménisme parmi les catholiques : aussi l'annonce de la création d'un Secrétariat romain pour l'unité fut-elle favorablement accueillie dans les différentes communautés chrétiennes : en 1961, un premier groupe d'observateurs catholiques pouvaient participer aux travaux du Conseil oecuménique réuni cette fois en assemblée à New Dehli. Le deuxième concile oecuménique Vatican II, organisé par l'Eglise catholique romaine, à l'appel du pape Jean XXIII, fut également une chance pour la recherche de l'unité : de nombreux observateurs des autres confessions chrétiennes, et particulièrement les protestantes, occupèrent une place importante dans les travaux des pères conciliaires Après des siècles d'incompréhension réciproque, une place de plus en plus grande était faite à l'unanimité morale des chrétiens : il ne convient pas qu'une Eglise oppose un quelconque obstacle à l'action de l'Esprit de Dieu dans le monde. Les murailles qui se dressaient entre l'Eglise catholique romaine et les Églises protestantes, se dressent sans doute toujours aussi hautes, mais comme le soulignait déjà le pasteur Boegner, en 1946 : les murailles de la séparation ne montent pas jusqu'au ciel . Le Christ demeure le maître de l'impossible.
L'espérance, la foi en l'unité, reste le maître-mot de toutes les rencontres oecuméniques. Ainsi, réunis en 1981, à Logumkloster, au Danemark, quatre-vingts évêques et pasteurs de tout le continent européen ont cherché à prononcer cette parole d'espérance. Au milieu d'une civilisation qui connaît le poids des crises économiques, les menaces de guerre atomique, le besoin d'espérance se fait sentir à tous ceux qui portent la responsabilité du peuple chrétien. Certes, les tensions entre les différentes confessions chrétiennes restent vives, mais aucune ne veut tricher devant les réalités qui s'imposaient aux quarante membres représentant les cent quinze Églises protestantes membres de la Conférence européenne des Églises et aux quarante représentants catholiques des Conférences épiscopales d'Europe. Vivre ensemble les tensions, dans la conscience d'une foi commune en Jésus Christ, tel était le projet de cette rencontre oecuménique qui concluait ses travaux par un message aux Églises d'Europe :
Par une prière commune, la liturgie, l'échange, nous voulons discerner avec plus de clarté le chemin que nous indique en notre temps la Bonne Nouvelle de Évangile.. Nous nous sommes sentis renforcés dans notre volonté de poser des signes d'espérance au sein des Églises divisées et du monde déchiré. Nous lançons un appel à tous les chrétiens d'Europe pour qu'ils se retrouvent ensemble, avec toujours plus de confiance, dans la prière, le témoignage et le service, afin de se raffermir dans leur espérance commune... Comme Églises, il nous revient de susciter de façon renouvelée des attitudes de compréhension, de confiance et d'espérance... Lorsque, dépassant leurs frontières, les Églises et les chrétiens se rencontrent fraternellement, partageant leurs joies et leurs peines, et sont prêts à mener une vie simple, il y a pour beaucoup un signe d'espérance....