La spiritualité orthodoxe

L'Eglise d'Orient apporte, par son héritage des Pères de l'Eglise, une immense richesse spirituelle, tant dans la pratique de sa liturgie que dans sa réflexion dogmatique. Mais l'homme de spiritualité, tout comme le théologien, doit être capable de discerner ce qui, dans l'histoire passée de l'Eglise, constitue la véritable Tradition sainte, et ce qui n'est qu'un reliquat d'habitudes anciennes, lesquelles sont parfois très respectables et parfois nuisibles pour l'avenir de l'Eglise, qui est considérée comme la véritable Eglise de Jésus Christ, une, sainte, catholique et apostolique. La spiritualité doit toujours se défendre d'un modernisme, très souvent maladroit, et qui échappe à la Tradition authentique, et, dans le même mouvement, elle doit se garder d'un étroit conservatisme ou d'un intégrisme, qui en viendrait à absolutiser le passé, sans découvrir qu'il renferme des racines vivantes, susceptibles de produire de nouvelles pousses. Finalement, la tradition de l'Eglise orthodoxe ne distingue pratiquement jamais entre la théologie et la mystique, entre le dogme affirmé par l'Eglise universelle et l'expérience personnelle de chacun des croyants.

Il convient au fidèle d'assimiler progressivement la richesse de la vérité révélée, la richesse du mystère de Dieu qui se dévoile dans les affirmations dogmatiques, selon le mode d'entendement qui est le sien, ce qui implique, pour lui, une transformation progressive de son esprit, avant d'entrer dans la grande expérience mystique séculaire. Toutefois, théologie et spiritualité demeurent étroitement liées comme l'endroit et l'en vers d'une même médaille : la théologie est l'expression commune et approuvée de ce qui peut être vécu et expérimenté par chaque croyant. En effet, la réalité nouvelle apportée par la naissance, la mort et la résurrection du Fils unique de Dieu venu dans le monde des hommes ne se présente pas comme un ensemble de connaissances qu'il conviendrait d'apprendre et de développer, elle est une invitation à une nouvelle vie. De même, le chrétien, qui, par son baptême, participe effectivement à la mort et à la résurrection du Christ Seigneur, ne peut accéder à la transfiguration des hommes à. l'image du Fils unique de Dieu, seulement par une accumulation de connaissances spéculatives, mais en devenant ce qu'il est déjà lui-même, par la grâce de Dieu, un membre vivant du Corps du Christ, atteignant la stature de l'homme créé et recréé en Jésus-Christ. La grâce c'est-à-dire le don gratuit que Dieu fait aux hommes, ne peut être efficace que par l'effort constant de chaque homme : l'Eglise orthodoxe, depuis l'époque des Pères, n'a cessé de proclamer et d'affirmer la doctrine de la synergie , la doctrine de la collaboration entre l'acte gratuit de Dieu et l'acte libre de l'homme sur le chemin qui peut le mener à Dieu. Par sa vocation, le chrétien est déjà saint : c'est la grâce de Dieu qui agit en lui, mais il lui appartient de devenir saint, par ses actes et par sa vie tout entière.

La vie mystique dans l'Esprit-Saint

La théologie spirituelle orientale reconnaît avec vigueur l'aspect existentiel de la foi chrétienne : c'est au coeur de la vie des croyants que s'établit la communion intime du coeur et de l'esprit, de l'amour et de la connaissance. Mais l'existence chrétienne ne saurait se limiter à la simple position de l'homme croyant. Et saint Syméon le Théologien va même jusqu'à refuser de reconnaître la présence de l'Esprit-Saint dans la personne de celui qui se serait contenté de recevoir le baptême, croyant ainsi, par là, être totalement revêtu du Christ. L'Esprit de Dieu agit au plus intime des fidèles si ceux-ci acceptent également de collaborer à son oeuvre salvifique. Et, si la théologie comporte nécessairement un aspect doctrinal, l'enseignement officiel de l'Eglise, sa catéchèse, elle ne découvre sa pleine richesse que dans la vie mystique, par une expérience de vie dans l'Esprit-Saint, celle-là même que les saints de tous les temps ont connue et expérimentée au cours de leur existence. La vie mystique n'est pas une envolée vers les sphères mystérieuses qui dépasseraient toute participation humaine, au contraire, elle est une avancée progressive du mystère même de Dieu, de ce Dieu qui se révèle, qui se donne à connaître à tous ses fidèles et qui les fait participer activement à son projet de salut et de recréation du monde. Le mystère n'est pas inaccessible pour peu que le fidèle accepte de se laisser porter par lui : la transcendance de Dieu ne fait pas de lui un être perdu, inaccessible, elle invite chaque homme à marcher vers Lui, non pas dans une quête plus ou moins stérile, qui serait celle d'un esprit scientifique et purement spéculatif, mais plutôt en acceptant de reconnaître qu'on ne peut jamais avancer vers Dieu sinon en partant de lui, sinon en l'ayant déjà trouvé : Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas déjà trouvé , c'est ainsi que saint Augustin faisait parler Dieu lui-même.

Pour tous les Pères de l'Eglise, la théologie se doit d'être avant tout une contemplation de la Trinité, même si celle-ci est radicalement impossible à connaître par l'esprit humain, bien que Dieu lui-même se soit donné à connaître en son Fils, Jésus-Christ. Et pourtant, l'Esprit Saint, qui anime et vivifie le coeur de tous les fidèles, permet une approche du mystère de la connaissance du Dieu unique. L'homme ne connaît pas Dieu, à moins que celui-ci ne se donne à connaître, à moins qu'il ne se révèle à lui. Il ne s'agit pas seulement de connaître quelque chose sur Dieu ou quelque chose de Dieu, il s'agit d'avoir Dieu en soi et de vivre par lui. Celui qui n'a pas rencontré Dieu ne peut absolument pas parler de Lui, mais il ne faut pas davantage que celui qui aspire à connaître et à rencontrer Dieu ne s'évade, dans l'oraison, à rechercher une image sensible, une forme ou une figure de Dieu : celui qui vit de la prière est intimement uni à Dieu, il est même le lieu de la présence de Dieu au milieu de ce monde. De la sorte, l'orthodoxie n'est pas une religion de la Parole qui se présenterait sous la forme d'une tentative d'interprétation de la Révélation (ce qui est souvent le cas dans les différentes formes de Protestantisme), l'orthodoxie se veut davantage une religion de la contemplation et de la louange du Dieu vivant qui continue d'agir sans relâche pour le bien de tous les hommes. Elle souhaite transformer le monde en un vaste temple de l'adoration et de l'action de grâces, elle veut ainsi construire l'homme en forme de prière, il ne suffit pas d'avoir la prière, il faut que le croyant devienne lui-même prière. Pour l'orthodoxie, tout le message de l'Évangile de Jésus-Christ pourrait se résumer en quelques mots : Réjouissez vous et soyez dans l'allégresse... que tout ce qui vit et tout ce qui respire rende grâce à Dieu .

C'est l'Esprit-Saint qui mène les hommes à la rencontre du Dieu Père créateur de toutes choses. La création du monde se trouve au terme du mouvement qui vient de Dieu, du Père par le Fils dans l'Esprit-Saint ; mais toute l'économie du salut suit le chemin inverse : l'homme, animé par l'Esprit-Saint, qui est plus intime au coeur de l'homme que l'homme lui-même, accède par le Fils unique vers le Père. L'Esprit est une énergie qui sanctifie les croyants pour les conduire au Père de toutes grâces, en les construisant à l'image du Fils, Jésus-Christ. Tout le travail, tout le ministère du Fils et du Saint Esprit converge vers le Père, qui est à la fois la source première de la divinité et celle de la vie spirituelle des hommes. C'est en permettant au croyant de remonter vers le Dieu-Père que l'Esprit amène le croyant ri la découverte de la transcendance absolue de la divinité une et indivisible. Le sommet de la vie mystique réside dans la rencontre personnelle avec le Christ qui parle au coeur des hommes de son Père par l'Esprit-Saint.

Si toute la spiritualité orthodoxe est une communion dans l'Esprit, il n'en demeure pas moins vrai que toute prière, qui conduit homme à l'union à Dieu, reprend l'invocation fréquente du nom de Jésus, dont le nom même signifie : Sauveur. La prière de Jésus se présente comme une oraison jaculatoire, qui résume toute la richesse de la Révélation de Dieu apportée dans la Bible : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur . En confessant la seigneurie universelle de Jésus-Christ, en reconnaissant sa filiation divine, en découvrant par là même le mystère de la Trinité sainte, l'orant, l'homme de la prière, se découvre installé au profond de l'abîme, inauguré par la chute et le péché de tous les hommes, mais du fond même de cet abîme dont il ne peut sortir seul, ce même croyant adresse une invocation à la miséricorde divine en Jésus-Christ. Le Christ, présent et agissant encore dans le coeur des hommes, par l'Esprit-Saint, est celui qui fait passer des ténèbres humaines à l'admirable lumière divine.

Le nom même de Jésus, ce nom qui surpasse tous les noms , selon l'expression de l'hymne de saint Paul, qui ouvre la lettre qu'il adressait aux chrétiens de Philippes, est ainsi chargé d'une puissance véritablement sacramentelle, puisqu'il constitue la présence même du Christ Seigneur au coeur de celui qui prie. Et l'invocation même de ce nom de Jésus introduit dans la présence de Dieu, dans une liturgie intériorisée, qui permet au croyant de reprendre l'expression de saint Paul, dans sa lettre aux Galates : Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi (Gal. 2, 20). Si Dieu est présent à tout homme, l'homme se rend présent, par la prière, à la présence de Dieu en lui.

La prière noue ainsi un dialogue avec le Dieu transcendant et personnel, mais ce dia0ogue ne passe pas toujours nécessairement par l'intermédiaire d'une parole intelligible : ce dialogue comporte des pièges pour l'homme et il se manifeste comme un véritable combat. Le piège le plus grand réside dans la subjectivité de l'orant, qui peut se fixer dans une certaine forme de complaisance à sa propre personnalité, répondant ainsi plus à son désir personnel qu'au désir du Tout Autre, avec lequel il n'entre déjà plus en un véritable dialogue. Le dialogue dans lequel il pense être entré n'est finalement qu'un simple monologue. Mais l'autre grand risque de la prière, c'est le découragement qui survient lorsque l'orant a découvert ses limites, lorsqu'il a mis au jour ses propres manques. Évidemment, ce risque disparaît chez celui qui se contente d'accomplir des rites ou de réciter des formules toutes faites ; à vrai dire, ce n'est pas là une prière authentique, puisque celui qui prie en reste simplement à la surface extérieure de lui-même, sans jamais s'impliquer totalement dans une ouverture sur l'Autre qu'est Dieu. La prière est d'abord un combat que l'homme mène avec lui-même pour échapper à toutes les forces qui l'enferrent sur lui-même et pour parvenir à tune relation authentique avec cet Autre qu'est Dieu, arrivant ainsi dans le même mouvement à poursuivre le chemin de la maturation de son être : l'état mystique est le dépassement de la condition de simple créature, car Dieu lui-même devient plus intime à l'homme que homme ne l'est à lui-même, puisque le Christ se rend intérieurement présent à lui. La vie de l'homme dans le divin est plus surnaturellement naturelle que sa vie dans l'humain. Et c'est parce que la prière constitue le premier acte de la rencontre de l'homme avec son Créateur, avec son Sauveur et avec son Inspirateur qu'elle se présente souvent comme un cri, un appel poussé du fond de l'angoisse vers Celui qui peut libérer l'homme de l'abîme dans lequel il se trouve par la suite de sa faute, de son péché.

Il faut néanmoins reconnaître que cette rencontre de l'homme avec son Dieu ne s'effectue pas d'une manière automatique ; il arrive même qu'elle ne s'effectue absolument pas. Et les mystiques de tous les temps ont souvent exprimé la solitude radicale de celui qui prie : mais ils reconnaissent aussi dans le même temps que la non-réponse de Dieu à l'appel qui lui est adressé est aussi une manière dont il dispose pour faire accéder l'homme qui prie à sa Présence, par l'exigence d'une purification de tout désir : l'orant découvre ainsi la distance qui sépare le créé de l'Incréé, la finitude de l'homme et l'infinitude de Dieu. Le manque fondamental de l'homme ne peut pas être comblé par l'homme, il ne peut l'être que par Dieu lui-même : la vraie prière fait désirer Dieu pour lui-même, l'appelant à être un Dieu-pour-l'homme, un Dieu-avec-l'homme ; elle amène l'homme à se conformer à la volonté et au désir de Dieu en personne. Ainsi, le véritable combat de la prière qui mène à, l'état mystique conduit au dépassement de la condition même de créature. L'orant se découvre progressivement empli de la Présence divine en lui, et il aspire à suivre le Christ en sa perfection sur les chemins de sa vie.

En s'approchant de la lumière divine, l'homme devient lui-même semblable à la lumière. Il s'élève au-dessus de toutes les images et de toutes les représentations pour se remplir de la contemplation du Royaume de Dieu, but ultime de toute l'activité spirituelle de l'orant. Celui-ci devient véritablement le Temple de Dieu au milieu des hommes de son temps. Il ne cherche plus à s'instruire, il ne désire pas davantage accumuler des connaissances sur Dieu, il souhaite simplement se laisser convertir vers l'unique Père céleste dans une contemplation active de son mystère, il cherche à tout recevoir de lui, non pas en se détournant du monde, mais en découvrant que tout vient du Père, par son Fils, dans l'Esprit.

Dans cette ascension vers son Dieu, l'orant permet à sa prière le changer de nature, il atteint le silence de l'esprit, la paix qui surpasse toutes les paix du monde : il est plein de la Présence divine, il est lui-même au coeur du mystère divin.

C'est l'Esprit qui permet à chaque croyant de prononcer Abba, Père , et c'est par lui également que le chrétien peut dire : Jésus est le Seigneur . Au sujet des dons de l'Esprit, je ne veux pas que vous soyez dans l'ignorance. Vous savez que lorsque vous étiez païens, vous étiez entraînés vers des idoles muettes. C'est pourquoi je vous le déclare : personne, parlant sous l'influence de l'Esprit de Dieu ne dit : 'Maudit soit Jésus' et nul ne peut dire : 'Jésus est Seigneur' si ce n'est par l'Esprit-Saint (1 Co. 12, 1-3). Celui qui prie ne parle pas de lui-même, mais il laisse l'Esprit parler en lui, et c'est ce même Esprit qui habite toute la personne de celui qui prie, le mettant ainsi au coeur même de la Trinité et de la vie en Dieu. L'Esprit promis par Jésus, celui qui annonce et conduit à son achèvement le message proclamé par Jésus, le Précurseur de la venue de l'Esprit-Saint, agit dans le coeur et dans l'âme de tout baptisé pour l'introduire dans le Royaume de Dieu. A cet égard, la prière que Jésus lui-même a enseigné à ses disciples, le Notre Père , exprime : Que ton Règne vienne ; mais cette parole possède une variante : Que ton Esprit vienne . Les Pères de l'Eglise n'ont jamais hésité à identifier l'Esprit-Saint eu Royaume de Dieu, inauguré dans la Résurrection du Christ au matin de Pâques. Ils se fondaient sui une promesse de Jésus : C'est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé. C'est un baptême que j'ai à recevoir, et comme cela me pèse jusqu'à ce qu'il soit accompli (Lc. 12, 49-50). Ce dispensateur de tous les dons, qu'est l'Esprit Saint, introduit tout baptisé dans la vie mystérieuse de Dieu, il le fait vivre de cette vie même de Dieu, en lui révélant l'amour qui unit les trois personnes de la Trinité, il le rend semblable au Fils de Dieu Jésus-Christ, puisque l'Esprit conduit le croyant à une obéissance semblable à celle de Jésus, jusqu'à la mort, dans l'acceptation de l'humilité, qui est la forme de l'oblation totale et parfaite de la créature envers son Créateur.

Mais si le Fils a été manifesté aux hommes dans la personne de Jésus de Nazareth, dans ce que les chrétiens nomment la kénose du Fils, c'est-à-dire le passage de la condition de Seigneur à la condition du Serviteur, qui sera conduit à la mort par les hommes et pour leur justification, une kénose encore plus grande couvre la personne de l'Esprit : il ne se manifeste pas dans une personne humaine, dans une incarnation perceptible par tous les hommes, il ne se manifeste que dans la diversité de ses dons qu'il répand dans l'Eglise, dans la Communion des saints , laquelle apparaît comme son image visible dans le monde présent, tout en demeurant celui qui couronne la Théotokos , la Mère de Jésus et la Mère de Dieu, comme la figure humaine la plus parfaite, à la ressemblance de l'obéissance du Fils unique : Marie, glorifiée, est la figure, le prototype de l'Eglise qui sera également glorifiée en Dieu, à la fin des temps.

La spiritualité envers Marie

Dans la spiritualité orthodoxe, l'Esprit Saint apparaît comme la personnification même de la sainteté divine, et la personnification de la sainteté humaine se révèle en Marie, la mère de Jésus, que le concile d'Éphèse a présenté comme la Mère de Dieu, la Théotokos.

Dans l'ensemble da Nouveau Testament, la personne de Marie apparaît que de manière épisodique. L'apôtre Paul, au long des différentes lettres qu'il adresse aux communautés chrétiennes, l'ignore totalement, à l'exception d'une allusion très discrète, dans sa lettre aux Galates : Quand est venu l'accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme (Gal. 4, 4). L'évangéliste Marc ne mentionne la mère de Jésus qu'à l'occasion de petits incidents lors de la prédication de Jésus, en Galilée, lorsqu'il est particulièrement contesté. Les évangélistes Matthieu et Luc lui accordent une plus grande place, notamment du fait qu'ils insistent sur les récits de l'enfance de Jésus, tout en soulignant des différences très importantes dans leur manière de présenter le rôle de Marie, dans l'Incarnation da Fils de Dieu Principalement, les textes qui font connaître Marie sont les récits de la naissance et de l'enfance de Jésus, chez ces deux évangélistes : Annonciation, Visitation à sa cousine Élisabeth, naissance de Jésus, adoration des bergers et des mages, présentation de Jésus au Temple de Jérusalem, fuite de la sainte famille en Égypte, le retour à Nazareth de cette même sainte famille, et le pèlerinage à Jérusalem, quand Jésus eut atteint l'âge de douze ans. C'est principalement chez Luc apparaît le donné principal évangélique sur la Vierge Marie, et c'est la raison pour laquelle certaines icônes de la dévotion orthodoxe représente Luc comme l'iconographe de la Vierge. Mais c'est aussi l'évangéliste Jean qui présente Marie dans le récit de deux épisodes particulièrement significatifs : le premier signe de Jésus, au moment des noces de Cana (Jn. 2, 1-12), où Marie intervient auprès de son Fils pour lui signaler que les jeunes époux n'ont plus de vin, puis au près des serviteurs pour leur dire : Tout ce qu'il vous dira, faites-le . Et, au pied de la croix de Jésus, se trouvait Marie et saint Jean : c'est à Jean que Jésus confie sa mère, et c'est à Marie que Jésus donne comme fils Jean. Depuis lors, l'Eglise universelle reconnaît en Marie une fonction maternelle, et elle peut s'identifier à elle dans l'exercice de son ministère : Marie est la figure la plus parfaite de l'Eglise, qui protège toute créature et qui exerce une protection maternelle à l'égard de chacun des croyants. Les Actes des Apôtres ne font que mentionner Marie comme présente au milieu du groupe des disciples, dans leur prière avant la Pentecôte.

Ainsi, la vie même de la Vierge, Mère de Jésus et Mère de Dieu, n'est que très peu connue par le témoignage néotestamentaire. Elle est simplement une jeune fille à qui l'envoyé de Dieu, l'ange Gabriel, vient annoncer une Bonne Nouvelle : Dieu vient sauver son peuple, et c'est elle qui est choisie pour donner naissance au Sauveur Jésus, dont le nom même signifie Yahvé sauve . Quelques éléments sont encore fournis sur Marie dans quelques textes des évangiles apocryphes, lesquels visent à l'édification des chrétiens, et par la tradition la plus ancienne de l'Eglise. C'est de la sorte que les chrétiens découvrent en Marie une jeune fille qui a été consacrée dès sa jeunesse au service du Temple : son amour pour Dieu était tel que le Dieu d'amour lui a donné une réponse en la choisissant pour être la mère de son Fils. L'orthodoxie découvre ainsi dans l'incarnation une réponse de Dieu à l'amour et à la prière de Marie : elle était toute transparence à l'oeuvre de l'Esprit, et l'Esprit Saint agissait en elle, selon le principe cher à la foi orthodoxe, le synergisme. C'est en cela que l'orthodoxie se sépare quelque peu de la conception catholique relative à la Vierge Marie. Le catholicisme romain pose une notion d'exemption quand il définit le dogme de l'immaculée conception : Marie aurait échappé au destin commun de l'ensemble de l'humanité, et elle aurait été libérée du péché originel avant le sacrifice de Jésus sur la croix. Les catholiques supposent en quelque sorte que la rédemption existait déjà avant la mort de Jésus, ou tout au moins qu'elle pouvait avoir un effet rétroactif exceptionnel. Marie aurait ainsi bénéficié d'un privilège de Dieu. La théologie orthodoxe ne reconnaît pas la justice comme un privilège mais comme la racine fondamentale de l'homme ou de la femme, ce qui permet à sa liberté de s'exercer et non pas de subir ou de supporter la volonté de Dieu : c'est l'humanité de Marie qui donne au Fils de Dieu la possibilité de s'incarner en elle, la grâce de Dieu ne viole jamais la nature humaine, elle se contente de la parachever. C'est pourquoi la Vierge Marie, selon le dogme orthodoxe, participe à l'Incarnation beaucoup plus qu'à la Rédemption ; en soulignant sa grande participation à l'événement de l'Incarnation, elle proclame que Marie a enfanté sans père le Fils unique qui était né du Père sans mère.

La paternité divine est sans cesse affirmée, proclamée et chantée, en même temps qu'est chantée, proclamée et affirmée la virginité maternelle de la Théotokos. A la différence de l'Eglise catholique, qui vénère Marie comme la Vierge Immaculée, sans toujours l'unir par une communion indissociable avec son Fils Jésus, l'Eglise orthodoxe ne dissocie jamais Marie de son Fils. L'icône de la Vierge tenant entre ses bras Jésus enfant ne se présente jamais comme une icône de la Vierge, mais b6en comme celle de l'Incarnation du Fils unique de Dieu, c'est la communion du divin et de l'humain qui s'effectue en Marie.

Cette communion du divin et de l'humain s'effectue aussi dans l'Eglise, oui est le lieu de la participation de Dieu à la construction d'un monde nouveau, qui sera parachevé dans le Royaume. De la même manière que Marie a engendré dans son humanité le Fils unique de Dieu, de la même manière l'Eglise engendre, au coeur de l'humanité même, l'humanité nouvelle des fils de Dieu. C'est pourquoi l'Eglise apparaît comme la Theotokos prolongée : elle est la génératrice mystique des enfants de Dieu, tout comme Marie fut la génératrice physique du Fils unique. Dans les premiers siècles de l'histoire de l'Eglise universelle, les questions théologiques ont d'abord porté sur la personne même du Christ ; c'est d'ailleurs dans le cadre du dogme des deux natures dans le Christ qu'a été précisé le dogme de la Théotokos, de la Mère de Dieu , lors du concile oecuménique Éphèse A partir de là, la tradition patristique prendra Marie elle-même comme objet de sa méditation, en utilisant l'interprétation allégorique de la Bible, pour comparer, par exemple, Marie à Ève, Marie étant la nouvelle Ève, de même que Jésus était perçu comme le nouvel Adam : Marie est celle qui engendre une nouvelle génération humaine. Et l'insistance sur la virginité perpétuelle de la Vierge Mère souligne également cet aspect d'une nouvelle créature.

Mais c'est aussi la virginité perpétuelle qui soulève des polémiques entre le catholicisme romain et l'orthodoxie orientale. Si l'occident insiste sur le privilège de Marie, 1'0rient préfère souligner l'exploit, à valeur universelle, de la Vierge, dans le fiat , dans le oui qu'elle prononça en réponse à la demande de l'ange Gabriel. Ce n'est d'ailleurs qu'en 1854 que l'Eglise catholique définira le dogme de l'Immaculée Conception ; pour l'Eglise orthodoxe, la Conception Immaculée de Marie est le fait de la conception immaculée du Verbe par sa Mère : c'est le Fils Jésus qui est conçu de manière immaculée, dans l'humilité et la pureté de la Vierge sa Mère. L'action de l'Esprit pourra s'effectuer en celle qui a librement accepté d'enfermer dans son sein celui que le monde ne pouvait contenir. Marie n'est pas une femme au même titre que toutes les autres, elle est LA Femme qui parvient à sa véritable nature, dans une virginité maternelle. Toute l'humanité de Marie enfante toute la divinité de Jésus, le Fils unique du Père, engendré avant les siècles.

Elle devient ainsi la Mère de tous, enfantant tous les hommes à la vie divine : à tout homme, à toute femme, il revient désormais d'enfanter le Christ tout au long de sa vie. Marie, la Vierge, la Mère de Jésus-Christ, devient le type même de l'Eglise qui ne cesse d'enfanter des chrétiens, afin qu'eux-mêmes enfantent le Christ dans leur vie, par l'exercice de leur foi quotidienne.

Le dogme catholique de l'Assomption, défini quant à lui en 1950, ne fait que reprendre la fête orthodoxe de la Dormition : Marie est celle qui passe la première par la mort rendue impuissante par la Passion et la Résurrection de son Fils. La fête de la Dormition de Marie comprend la mort et l'ensevelissement de celle qui est la Mère de Jésus, mais aussi sa résurrection et sa montée au ciel. La liturgie orthodoxe célèbre la montée de Marie vers le ciel, comme un don du Fils à sa Mère, sans toutefois isoler la Vierge du destin commun de toute l'humanité : elle passe bien par la mort, selon la loi universelle pour l'ensemble de l'humanité déchue, mais elle est ressuscitée par la puissance divine de son Fils. C'est ce que soulignent également tous les iconographes, qui ont peint la Dormition de la Vierge : son Fils la prend dans ses bras, de la même manière qu'elle le portait, enfant, dans ses bras, pour la conduire vers le Royaume du Père.

La Dormition de la Vierge apparaît, dans le culte orthodoxe, comme une seconde Pâque, qui anticipe, pour tous les hommes, le retour du Christ, triomphant, au jour de la Parousie.

L'année liturgique dans l'Eglise orthodoxe se déroule de la Nativité de la Vierge, fêtée le 8 Septembre, à sa Dormition, fêtée le 15 Août ; cela vise à souligner que toute l'année du Seigneur est le lieu de la Vierge. Si le coeur des hommes peut être semblable au coeur de la Vierge, il peut devenir le lieu de Dieu. La naissance de la Vierge ouvre le monde à la nouvelle création, et la Dormition anticipe la fin de ce monde présent et l'avènement du Royaume de Dieu. Avec Marie, les chrétiens sont emportés vers leur demeure véritable, qui est en Dieu, ainsi que l'indique l'hymne de la fête de la Dormition : Aujourd'hui le ciel ouvre son sein, recevant celle qui enfanta Dieu que tout l'univers ne peut contenir. La terre, rendant la source de la Vie, se pare de bénédiction et de beauté. Les anges exultent avec les apôtres, contemplant la Mère du Prince de la Vie, transportée de la vie dans la Vie. La Mère de la Vie, la lampe et la Lumière inaccessible, l'espérance de nos coeurs, est transportée dans la Vie .

La Parole de Dieu, prononcée par son Fils Jésus, venu en la chair des hommes, garde toute son efficacité en elle-même, ce sont les hommes qui connaissent l'insuffisance : et c'est la raison pour laquelle Marie, nouvelle Ève, figure de l'Eglise, leur apporte sa protection, protection comparable à celle dont une mère entoure ses propres enfants.

Le monachisme orthodoxe

Toute la théologie orthodoxe est construite de manière à être vécue authentiquement par chaque croyant, elle implique, en quelque sorte, immédiatement une orthopraxie. Et celle-ci se développe particulièrement dans la liturgie ; il en est de même pour la spiritualité : elle doit être vécue intensément, et la voie la plus efficace pour saisir la spiritualité orthodoxe est d'y entrer par le monachisme. Et c'est spécialement dans le bassin oriental de la Méditerranée que s'est développé le désir de certains hommes de vivre seuls , dans des lieux désertiques et inhabitables par les autres hommes, afin que ces croyants puissent se livrer totalement à l'Esprit de Dieu qui anime leur méditation et leur prière. Le moine est, par définition, celui qui vit seul : cela représente un idéal exigeant et même intransigeant, puisqu'il veut marquer une attitude de refus par rapport à toute compromission avec le monde, ce qui justifierait d'ailleurs l'impossibilité vitale de tout monachisme : en fait, il s'agit beaucoup plus d'une lutte personnelle, mais aussi communautaire contre toutes les formes du mal, en vivant selon la grâce de Dieu mais dans la solitude, celle-ci étant le lot quotidien de chaque religieux ; en effet, même en vivant en communauté de moines, chacun se retrouve toujours selon dans sa marche vers Dieu, qui ne se livre que dans le silence intérieur. Dans l'Eglise des premiers siècles, la palme de sainteté revenait d'une manière presque certaine aux hommes et aux femmes qui acceptaient de recevoir la couronne du martyre ; mais, après le concordat qui unit l'Eglise et l'Empire, le martyre ayant perdu toute son actualité, l'idéal de la sainteté s'est retrouvé dans la vie religieuse : le baptême de l'ascèse volontairement acceptée pour le Royaume de Dieu prenait le relais du baptême de sang qu'était le témoignage du martyre. C'est au désert, dans les lieux les plus arides et les plus infréquentables, que les ermites commencent à s'installer pour y vivre leur idéal ascétique, selon le vieux proverbe qui affirme que celui qui ne traverse pas le désert ne rencontre jamais l'oasis , cet oasis que représentait Dieu pour ces âmes assoiffées d'absolu. Mais il faut le reconnaître, le monachisme, à l'état pur, n'était guère viable, en raison de son austérité débordante et de la fuite complète du monde qui était en quelque sorte imposée à ceux qui voulaient vivre dans la proximité de Dieu, dans le désert. L'autorité de l'Eglise, qui institutionnalisait celle-ci sur le modèle du pouvoir civil, mit un frein à ce mouvement intransigeant ; le monachisme ne perdait rien de son contenu, mais il allait s'organiser et finalement donner le jour à une nouvelle formule de communauté chrétienne, avant de renouveler également l'ensemble de la société.

Très rapidement, les monastères, qui regroupaient les moines vivant leur désir de Dieu, dans la solitude mais aussi dans la communauté d'autres hommes aspirant à ce même idéal, s'installèrent dans les villes : les moines constituaient une sorte de caste sociale, avec laquelle il fal1ait compter, même s'il était particulièrement difficile de les classer dans une catégorie sociale repérable. En effet, le moine n'est pas nécessairement un clerc, et il n'est pas véritablement un laïc.

Et dans leur organisation communautaire, les moines constituaient un parti dans l'Eglise, qui prenait position très fermement dans les périodes de crise : proches du peuple, ils étaient capables de soulever l'opinion publique dans les grands débats idéologiques qui pouvaient naître au sein de l'institution ecclésiastique ou même au coeur de l'empire. La complicité et l'alliance tacite du peuple et des moines devait finalement triompher entre le sixième et le huitième siècle, du césaropapisme des empereurs. L'Eglise populaire succédait ainsi à une Eglise impériale, faite des courtisans de l'empereur : d'ailleurs, à partir du septième siècle, l'épiscopat lui-même passait pour ainsi dire sous l'autorité monastique, puisque les responsables de l'Eglise-institution se recrutaient presque exclusivement parmi les moines, qui avaient la faveur populaire : ainsi également l'Eglise obtenait et conservait son indépendance en face du pouvoir civil. Toutefois, si l'évêque est choisi parmi les moines, les moines, quant à eux, cherchent toujours à échapper à la juridiction épiscopale : ils veulent rester les maîtres chez eux, se livrant entièrement à la prière, qu'elle soit privée ou qu'elle soit commune. Car c'est .à qu'il trouve le moyen de combler toutes ses aspirations : le moine boude facilement les grandes études théologiques, comme il boude également le travail intellectuel et manuel, il ne cherche pas è évangéliser les autres hommes par des actions missionnaires : il est moine et il ne veut être que moine, échappant ainsi à toute classification sociologique dans l'institution de l'Eglise. Il se définit ainsi de la même manière que le martyr qu'il est impossible de classer dans une catégorie : le moine reste, spirituellement, le descendant des martyrs des premières générations chrétiennes. C'est la raison pour laquelle l'idéal monastique est toujours susceptible de succomber à la tentation maximaliste, en recourant à des privations rigoureuses (les jeûnes longs et fréquents), à l'envahissement complet de la vie par la prière (la longueur des offices qui sont alourdis par de nombreux rites) et par la vénération des icônes, celles-ci prenant de plus en plus de place dans la vie monastique.

L'institution la plus originale da monachisme chrétien oriental, qui a traversé les siècles de l'historie, est certainement le Mont Athos. Il constitue une sorte de réserve de toutes les formes de monachisme dans l'Eglise d'orient. Et ceci demeure toujours vrai, encore à l'époque actuelle, malgré la diminution certaine du nombre des vocations religieuses.

L'origine historique du peuplement monastique du Mont Athos remonte certainement au temps de l'invasion de la Grèce et de la Macédoine par les barbares. Des ermites, chrétiens orthodoxes, trouvèrent un refuge dans ce pays désertique que constituait la presqu'île de la Chalcidique : ce lieu pauvre et désolé, qui allait devenir leur sainte montagne leur paraissait trop isolé et trop pauvre pour être l'objet d'une invasion de la part des hordes de barbares. Pour sanctifier encore cette montagne désertique les premiers ermites invoquèrent une tradition légendaire selon laquelle la Vierge Marie aurait escaladé, aux jours de sa vie terrestre, cette montagne, et l'aurait ainsi particulièrement bénie et sanctifiée. Les premiers ermites, vivant dans un isolement absolu, habitaient dans des grottes de la montagne ou dans des huttes de branchages. Mais, au moment où ils pressentirent le danger que pouvait entraîner une invasion militaire de la part des barbares ou même un simple débarquement des pirates qui sillonnaient la mer Égée, ces premiers anachorètes se donnèrent une première Constitution , se forment ainsi comme une petite république théocratique, dont le centre administratif fut la cité de Karyes, au coeur même de la presqu'île.

Les moines du mont Athos, comme tous les moines de l'orthodoxie, se divisent en cinq catégories. Certains vivent en communauté, tout en observant une ascèse rigoureuse, s'abstenant toujours de viande et jeûnant fréquemment : ce sont les cénobites. Certains vivent de leurs propres revenus, le régime qu'ils suivent apparaît donc comme beaucoup plus laxiste : ce sont les idiorrythmes. Cénobites et idiorrythmes sont tous fidèles à la prière régulière quotidienne ; huit heures de prière commune, marquée par les différents offices de la journée : la célébration eucharistique (litourgia), les vêpres (hesporinan), les complies (apodipnon), l'office de la nuit (nycterinon), les vigiles (agrypnia), sans compter la prière individuelle qui rythme elle aussi la journée de chacun de ces moines. A côté de ces deux premières catégories plus ou moins organisées selon des règlements communautaires, on trouve les gyrovagues, moines qui vivent de la mendicité en errant dans toute la presqu'île du mont Athos, les sabaraïtes, ermites qui vivent en petites communautés de deux ou trois, dans une cel1ule souvent annexe d'une petite chapelle, et les anachorètes qui vivent dans l'isolement le plus total. Ces anachorètes ont abandonné toute attache avec la vie communautaire et veulent ainsi retrouver la tradition des Pères du désert , menant une vie sauvage à leur exemple ; ils attendent la mort et la résurrection dans les grottes naturelles de la région ou dans des huttes de branchages : à l'exemple de saint Jean-Baptiste, ils sont simplement couverts de haillons, ne prennent aucun souci de leur corps, se nourrissent de ce que la nature sauvage peut leur procurer : baies, graines, miel sauvage. Toute leur existence pourrait se résumer en deux mots : silence et contemplation, et malgré leur régime de vie ascétique et particulièrement sévère, ils peuvent vivre très longtemps.

La vie conventuelle est organisée hiérarchiquement, d'une manière assez comparable aux couvents de la religion catholique : chaque couvent est dirigé par un supérieur, appelé higoumène et qui est élu par les autres moines de sa communauté : il est aidé par des adjoints, les épitropes qui l'assistent dans sa tâche d'administration du couvent, et par un conseil, le synaxis. Les moines sont répartis entre religieux de choeur, les proïstamenoi et les frères convers, les paramikri.

Tout homme qui aspire à la vie conventuelle est d'abord admis comme un hôte ordinaire à l'hôtellerie du monastère, pendant quelques mois : les frères, avec lesquels il se sent appelé à vivre peuvent ainsi le tester pendant cette première période de probation, tandis que lui-même confirme sa vocation ou est appelé à reconnaître son erreur. Dans le cas où il reconnaît qu'il n'est pas réellement appelé à. mener une vie monastique il quitte la Sainte Montagne pour retourner dans le monde. Dans le cas où il se trouve confirmé dans sa vocation, aussi bien par ses futurs supérieurs que par lui-même, il quitte alors définitivement le monde, abandonnant jusqu'à son propre état civil, se coupant même de sa famille humaine, avec laquelle il n'entretiendra plus aucun lien, ni visite ni lettre. Le postulant est devenu novice, dokimos. Quelques années plus tard, il est appelé à prononcer des voeux solennels ; ceux-ci le lient définitivement à la communauté jusqu'à la mort : le novice s'approche du père abbé, en lui demandant de l'admettre dans sa communauté, par trois fois, l'abbé le repousse vivement, si le novice reste ferme dans sa résolution, l'abbé lui coupe alors symboliquement une mèche de cheveux : cette tonsure constitue le novice en croisé spirituel de Jésus Christ, désormais, le novice est devenu un moine à part entière, il porte la croix de son Seigneur. A partir de ce moment le moine ne se coupera plus ni la barbe ni les cheveux, il ne se lavera jamais que le visage et les mains à l'eau froide : même mort, il ne sera jamais dévêtu. Il suit alors toute la vie religieuse, il est appelé caloyer, il suivra le microchima, le petit plan. Mais certains ascites vont encore plus loin, en ajoutant plus de rigueur encore à la règle monastique, acceptant des ascèses que s'infligeaient déjà les Pères du désert : ils suivent le grand plan, le megaloshima.

Malgré les atténuations importantes qui sont intervenues, ces dernières décennies, dans les règles monastiques, l'existence conventuelle est toujours très rude. La journée commence au milieu de la nuit. Ayant dormi quelques heures, tout habillé sur une planche de bois, le religieux est éveillé par le martèlement d'un maillet sur une poutrelle, il rejoint alors l'église pour les premiers offices de la journée, avec ses frères moines, il chante et psalmodie les différentes heures liturgiques des vigiles, puis, il participe à la grande liturgie eucharistique, qui est célébré uniquement par l'abbé du monastère. Au petit jour, toujours avec les autres moines, il prend une légère collation dans le réfectoire : maigre perpétuel et eau comme unique boisson. Ensuite et jusqu'au début de l'après-midi, il participe au travail communautaire, qu'il soit manuel ou qu'il soit intellectuel, travail pendant lequel toutes les conversations profanes sont interdites, sauf pour les urgences imposées par le travail lui-même. Dans le courant de l'après-midi, il retourne dans l'église pour chanter de nouvelles prières, jusqu'au crépuscule. Le soir, il prendra un repas un peu plus consistant que celui du matin, avant de se retirer dans sa cellule, pour y accomplir ses dévotions particulières et se couche... Face à un régime aussi sévère, il arrive que le corps lui-même se révolte : c'est ainsi que les moines admettent généralement que le démon vient les tenter et les persécuter pendant la nuit, dans leurs rêves, c'est ainsi également qu'il arrive que les moines meurent très jeunes, même si certains parmi eux atteignent un âge très avancé. Au jour de sa mort, le corps du moine est cousu dans un sac, sans cercueil ; après le chant de l'office des morts par la communauté, ce corps est jeté dans une fosse commune anonyme. Quelques années plus tard, quand toute chair est consumée, le cadavre est exhumé, les ossements sont alors entassés dans un ossuaire avec les ossements des moines qui sont morts depuis longtemps. Dans cette chapelle ossuaire, ces ossements attendent la Résurrection finale et le Jugement dernier. En effet, le moine, comme tout autre chrétien est celui dont le coeur aspire sans cesse à l'union définitive avec Dieu, cette union qui se réalisera pleinement au moment de la Parousie et de la Résurrection des morts.

Réaliser la communion

Toute la spiritualité orthodoxe vise essentiellement à stabiliser l'homme non seulement dans son désir d'union définitive avec Dieu le Père, par son Fils Jésus-Christ, dans et par l'action de l'Esprit-Saint elle vise surtout a établir une communion intense avec le Dieu trinitaire, dès le monde présent. Ainsi, le chrétien peut faire eucharistie en toute chose; il peut vivre dans l'action de grâce et dans la communion de la vie divine.

La communion avec Dieu se prolonge par la communion avec tous les hommes : la prière liturgique ne se comprend pas sans une invocation oecuménique pour la paix du monde présent et pour l'unité de tous les hommes. Cette exigence de la communion avec les autres s'explique par une nécessité proprement évangélique : le salut n'est pas possible pour celui qui ne se soucie pas des autres, personne ne peut se sauver tout seul, en faisant abstraction de ses frères. Ainsi, par exemple, il n'est pas permis à un prêtre de célébrer seul la divine liturgie, il faut au moins la présence d'une autre personne qui représente l'ensemble du monde. C'est pour cette même raison que l'orthodoxie, contrairement à l'Eglise catholique, n'a jamais admis l'usage, durant la liturgie, des instruments de musique sans qu'il y ait un accompagnement de paroles : c'est par le langage humain, c'est par la voix humaine qu'il est possible aux croyants de répondre à l'appel qui leur est adressé par le Verbe même de Dieu. Le choeur des fidèles, qui chantent d'un sen1 coeur et d'une seule âme, est la réponse humaine adéquate à l'appel du Verbe divin, uni au choeur des anges, qui chantent sans cesse la louange divine.

C'est dans cette communion avec Dieu et avec tous les hommes que le croyant retrouve sa propre vérité. De même qu'il y a un seul Dieu en trois personnes, de même la mu1titude des croyants est appelée à devenir un seul Homme dans le Christ Seigneur. L'homme vraiment catholique , n'est pas seulement semblable et identique aux autres hommes, il leur est consubstantiel ; avec eux, il est incorporé au Christ et tous deviennent les membres, les uns des autres. L'ecclésiologie orthodoxe est également marquée par ce désir de communion entre les hommes et entre les Églises.