Le mariage, sacrement de l’alliance

 

Les chrétiens ont une vision particulière du mariage : celui-ci n’est pas simplement l’union d’un homme et d’une femme, mais le signe de l’alliance qui unit Dieu à son peuple, le mystère de l’union du Christ et de son Eglise : Dieu est venu, en Jésus-Christ, pour épouser l’humanité :

Vous qui craignez le Christ, soumettez-vous les uns aux autres. Femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur. Car le mari est le chef de la femme, tout comme le Christ est le chef de l’Eglise, lui le sauveur de son Corps. Mais comme l’Eglise est soumise au Christ, que les femmes soient soumises en tout à leur mari. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle, il a voulu la rendre sainte en la purifiant avec l’eau qui lave et cela par la Parole, il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans ride ni tâche, ni aucun défaut. Il a voulu son Eglise sainte et irréprochable. C’est ainsi que le mari doit aimer sa femme comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. Jamais personne n’a pris sa propre chair en aversion, au contraire, on la nourrit, on l’entoure d’attention comme le Christ fait pour son Eglise : ne sommes-nous pas les membres de son Corps ? C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère est grand : je déclare qu’il concerne le Christ et l’Eglise. En tout cas, chacun de vous, pour sa part, doit aimer sa femme comme lui-même, et la femme respecter son mari (Eph. 5, 21-33).

La relation conjugale, chez saint Paul, trouve son fondement dans la relation qui unit le Christ et l’Église. Cette conviction trouve déjà son origine dans les textes vétéro-testamentaires, dans lesquels les prophètes célébraient l’alliance de YHWH et de son peuple sous le signe de l’amour conjugal :

Je te fiancerai à moi pour toujours. Je te fiancerai dans la justice et le droit, dans la tendresse et dans l’amour, je te fiancerai à moi dans la fidélité et tu connaîtras YHWH (Os. 2, 4-9 et 20-22).

Se marier devant l’Eglise est un acte de foi. Ceux qui se présentent pour demander le sacrement du mariage affirment devant la communauté rassemblée, et devant toute l’Eglise signifiée par cette communauté, leur volonté de vivre dans une communion totale et de devenir, à leur tour, des créateurs, ils deviennent ainsi les témoins privilégiés du Dieu d’Amour. Les chrétiens croient en effet que Dieu est venu à la rencontre de l’humanité, et que le Christ Jésus a épousé l’humanité dont il a fait l’Eglise qui est, à la fois, son Corps et son Épouse. Dès lors, les chrétiens ont une vision très originale du mariage : pour eux, ce sacrement exprime le mystère même de l’union de Dieu avec l’humanité.

Historique du mariage

Il n’est pas légitime de parler d’un mariage chrétien, il est sans aucun doute préférable de parler du mariage des chrétiens : c’est ce mariage naturel qui, chez les chrétiens, devient un sacrement. Église a toujours reconnu la valeur de l’union entre l’homme et la femme. Ce qui a trait au corps est bon, car cela a été voulu par le Créateur. Contre les tendances manichéennes et gnostiques, qui prêchaient que le corps était mauvais et qu’il fallait le mépriser, le premier concile de Braga affirme que tout ce qui existe, même le monde corporel, est bon, puisqu’il a été créé par Dieu.

Si quelqu’un condamne le mariage humain et abhorre la procréation des enfants, comme Mani et Priscillien l’ont dit, qu’il soit anathème. Si quelqu’un dit que la formation du corps humain est l’oeuvre du diable et que la conception dans le sein maternel est le travail des démons, et si, pour ce motif, il ne croit pas à la résurrection de la chair, comme Mani et Priscillien l’ont dit, qu’il soit anathème (vers 561).

Toutefois, ce mariage, chez les chrétiens, ne se résume pas à la simple union charnelle : il repose sur une sorte de contrat entre les époux qui se donnent un libre consentement :

Le seul consentement de ceux dont on envisage l’union doit suffire selon les lois. S’il arrivait que ce seul consentement fasse défaut dans le mariage, tout le reste, même réalisé avec l’union charnelle, est inutile au témoignage du grand docteur Jean Chrysostome : Ce qui fait le mariage, ce n’est pas l’union charnelle, mais la volonté (Lettre de Nicolas Ier aux Bulgares, 13 novembre 866).

Au début du treizième siècle, une tendance hérétique se fait jour, particulièrement dans le sud de la France, où les disciples d’un certain Pierre Valdès, originaire de Lyon, recommandaient de s’abstenir du mariage pour accéder à la perfection complète. Une lettre du pape Innocent III affirme que le mariage est une chose légitime dans le monde des hommes :

Nous ne nions pas que des mariages charnels doivent être contractés, selon l’apôtre (1 Co. 7), et nous défendons absolument de rompre ceux qui l’ont été régulièrement. Nous croyons et professons que l’homme, même marié, peut être sauvé, et nous ne condamnons pas non plus les deuxièmes noces ni les suivantes (18 décembre 1208).

Cette tendance hérétique des vaudois venait du fait que, au douzième siècle, le mariage des chrétiens était devenu une affaire d’Église. A cette époque, le seul mariage licite, pour les chrétiens, était celui qui était contracté devant l’Église. Jusque là, le mariage coutumier était béni par l’Eglise, mais les différents États exerçaient leurs propres lois sur ces mariages... Et voici que l’Eglise se présentait alors comme la puissance de législation du mariage, mariage qu’elle faisait et qu’elle pouvait défaire.

Le sacrement de mariage allait naître de cette recherche théologique de l’Eglise : quand un mariage entre chrétiens était-il valide et licite ? Le consentement faisait-il le mariage, ou fallait-il, en plus une consommation charnelle ? La papauté du douzième siècle affirma que le consentement faisait le mariage mais que seule la consommation en scellait l’indissolubilité absolue. Mais en dehors de cette législation, le caractère sacramentel du mariage était aussi accordé au mariage, en raison du signe qu’il porte en lui-même pour les chrétiens : le mariage entre chrétiens signifie et symbolise l’amour qui unit le Christ et son Eglise. En conséquence, le mariage apparaît comme une institution voulue par le Christ lui-même. C’est la raison pour laquelle le concile de Trente s’élèvera contre les Réformateurs qui plaçaient le mariage hors des réalités surnaturelles, pour en faire une invention des hommes :

Si quelqu’un dit que le mariage n’est pas vraiment et à proprement parler un des sept sacrements de la Loi de l’Évangile, institué par le Christ notre Seigneur, mais qu’il est une invention des hommes dans l’Eglise, et qu’il ne confère pas la grâce, qu’il soit anathème.

Si quelqu’un dit qu’il est permis aux chrétiens d’avoir en même temps plusieurs épouses et que nulle loi divine ne le défend, qu’il soit anathème.

Si quelqu’un dit que l’hérésie, une vie en commun pénible ou l’éloignement voulu d’un conjoint permettent de rompre le lien du mariage, qu’il soit anathème.

Si quelqu’un dit que l’Eglise se trompe, quand elle a enseigné et quand elle enseigne, selon la doctrine de l’Evangile et de l’Apôtre, que le lien du mariage ne peut être rompu par l’adultère d’un des époux et que ni l’un ni l’autre, pas même l’innocent qui n’a donné aucun motif d’adultère, ne peut, tant que vit l’autre conjoint, contracter un autre mariage, que sont adultères l’homme qui épouse une autre femme après avoir renvoyé l’adultère et la femme qui épouse un autre homme après avoir renvoyé l’adultère, qu’il soit anathème.

Si quelqu’un dit que l’état de mariage est préférable à l’état de virginité ou de célibat, et qu’il n’est ni mieux ni plus saint de demeurer dans la virginité ou le célibat que de se marier, qu’il soit anathème (11 novembre 1563).

 

Le sacrement de mariage

Le mariage, comme sacrement, tel qu’il peut être présenté par les évangélistes, et donc par Jésus lui-même, c’est le mariage juif qui était un mariage naturel ‘au commencement’. Le mariage est le signe de la création du monde par le Verbe de Dieu lui-même, c’est l’alliance initiale de l’homme et de Dieu. Mais, pour les chrétiens, cette alliance a été renouvelée dans la rédemption, par la mort du Christ sur la croix, quand de son côté ouvert par la lance ont jailli l’eau et le sang : c’est l’Eglise tout entière, en tant qu’Epouse du Christ, en tant que Sacrement de la présence du Christ dans le monde, qui naît de cette mort sur la croix.

Une des premières encycliques de Léon XIII fut consacrée au sacrement de mariage : il n’est pas un simple contrat passé entre un homme et une femme, il a une origine divine et il se présente comme une image de l’incarnation du Verbe.

Le Christ, notre Seigneur, a élevé le mariage à la dignité de sacrement et il a fait, en même temps, que les époux, entourés et fortifiés par la grâce du ciel née de ses mérites, arrivent à la sainteté dans le mariage. Et c’est dans le mariage qu’il a, par une admirable ressemblance avec le modèle qu’est son union mystique avec l’Eglise, rendu parfait l’amour qui est dans notre nature et uni plus fortement, par le lien de la charité divine, la société, indivisible par nature, de l’homme et de la femme... Le Christ, ayant donc ainsi, avec tant de perfection, renouvelé et relevé le mariage, en remit et confia à l’Eglise toute la discipline. Et ce pouvoir sur le mariage des chrétiens, l’Eglise l’a exercé en tous temps et en tous lieux, et elle l’a fait de façon à montrer que ce pouvoir lui appartenait en propre et qu’il ne tirait pas son origine qu’une concession des hommes, mais qu’il avait été divinement accordé par la volonté de son fondateur... Le Christ, notre Seigneur, a élevé le mariage à la dignité de sacrement, mais le mariage est le contrat lui-même, s’il est conclu selon le droit. Il faut ajouter que la raison pour laquelle le mariage est un sacrement est qu’il est un signe sacré qui produit la grâce et qui représente les noces mystiques du Christ et de l’Église. La forme et l’image de ces noces s’expriment dans le lien de l’union très intime qui relie réciproquement l’homme et la femme et qui n’est autre que le mariage lui-même. Il en résulte que tout mariage légitime entre chrétiens est en lui-même et par lui-même un sacrement. Rien n’est plus éloigné de la vérité qu’un sacrement qui serait un ornement ajouté ou une propriété venant du dehors, susceptible d’être dissociée et séparée du contrat par la volonté des hommes (10 février 1880).

L’identité du contrat et du sacrement se trouve ainsi affirmée au plus haut point. Tout mariage entre chrétiens est en lui-même et par lui-même un sacrement... Il y aurait alors beaucoup à penser et à dire sur la distinction incorrecte entre le mariage civil (qui n’aurait aucune valeur aux yeux de l’Eglise) et le mariage religieux proprement dit. Le contrat entre chrétiens pour un mariage est déjà lui-même le sacrement. Et, en conséquence, selon la logique même, le divorce civil, à la suite d’un mariage civil, est lui aussi une rupture sacramentelle. L’indissolubilité du mariage se noue au moment du contrat entre chrétiens qui décident de vivre dans une communion de vie, en échangeant librement leurs consentements.

Le mariage, pour quoi ?

Quelle est la finalité du mariage ? En général, ce sont des célibataires qui ont répondu à cette difficile question, sans consulter pour autant les personnes mariées. Les réponses les plus divers ont été données : le mariage a pour but la procréation des enfants, l’épanouissement des époux, il doit endiguer également les passions humaines...

Dans le récit de la création, Dieu crée l’homme comme plusieurs personnes : il créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il le créa.

De la même manière que Dieu subsiste en plusieurs personnes divines, de la même manière, l’homme, l’être humain, subsiste en deux personnes. Le Créateur trinitaire fait l’homme à son image, multiforme, et il lui donne les pouvoirs de continuer son oeuvre dans le monde, en l’association à sa création, par la procréation des enfants, et en le bénissant, de même qu’il avait béni les animaux, mais, en plus, pour l’homme, Dieu lui donne la mission de soumettre l’ensemble de la nature et de la création animale. Créé à l’image de Dieu, l’homme reçoit comme marque propre l’amour qui fait la vie même de Dieu. Seulement, il y a eu le péché, qui est venu brouiller les relations interpersonnelles, et ce qu’il y avait de meilleur dans l’homme, sa capacité d’amour, s’est dégradé en convoitise charnelle. Et les récits bibliques soulignent très souvent que les rapports sexuels empêchent l’homme de se situer dans la proximité immédiate de Dieu. Dans le récit de la création, après le péché, l’homme se cache de la vue de Dieu parce qu’il a découvert qu’il était nu. Mais, en revanche, tout l’Ancien Testament se dresse avec vigueur contre le célibat et contre le refus de la procréation des enfants. Cette volonté de procréation vient du fait que le peuple d’Israël ne connaissait pas la vie éternelle et qu’il pensait qu’il ne pourrait survivre que dans ses enfants. D’autre part, ce même peuple se croyait chargé de remplir tout l’univers de descendants d’Abraham, au sens physique de l’expression. Cette perspective s’est effacée avec la venue du Christ, qui apprend aux hommes la puissance de la résurrection et de la vie éternelle, inaugurant les temps nouveaux, où il n’y aura plus ni homme ni femmes (Mt. 22, 30-32)... sans, pour autant, réduire la dignité du mariage, mais en l’instituant au niveau même de la relation de communion qui subsiste en Dieu.

Jamais personne n’a méprisé son propre corps ; au contraire, on le nourrit, on en prend soin. C’est ce que fait le Christ pour l’Eglise, parce que nous sommes les membres de son Corps. Comme le dit l’Écriture : A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ce mystère est grand : je le dis en pensant au Christ et à l’Eglise (Eph. 5, 35-38).

Dans l’Eglise primitive, aucune allusion n’est faite directement à la fécondité du mariage. Ce n’est qu’à partir du deuxième siècle, en réaction contre les affirmations du caractère mauvais du corps, que l’Eglise durcira sa position, en présentant la procréation des enfants comme " une fin première " du mariage et de l’union charnelle. Les Pères de l’Eglise, des deuxième et troisième siècles, comme saint Ambroise et saint Jérôme, justifiaient le mariage dans cette perspective : le mariage est fait pour procréer les enfants. Les rapports sexuels entre mari et femme pendant la grossesse sont même alors assimilés à la bestialité ou à l’adultère. Le pape Pie XI, dans son encyclique ‘Casti connubii’, fera écho à cette conception :

Parmi les biens du mariage, les enfants tiennent la première place. Et sans aucun doute, le Créateur même du genre humain qui, dans sa bonté, a voulu se servir du ministère des hommes pour la propagation de la vie, nous a donné cet enseignement lorsque, en instituant le mariage dans le paradis terrestre, il a dit à nos premiers parents et, en même temps, à tous les époux à venir : Croissez et multipliez-vous et remplissez toute la terre. Les parents chrétiens doivent comprendre en outre qu’ils ne sont pas seulement appelés à propager et à conserver le genre humain sur la terre, qu’ils ne sont même pas destinés à former des adorateurs quelconques du vrai Dieu, mais à donner des fils à l’Eglise, à procréer des concitoyens des saints et des familiers de Dieu, afin que le peuple attaché au culte de Dieu et de notre Seigneur grandisse de jour en jour (31 décembre 1930).

Saint Paul faisait du mariage un remède à la concupiscence, sans pour autant dire que ce remède constituait la finalité ou l’une des finalités du mariage :

Il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme. Toutefois, pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. Que le mari remplisse ses devoirs envers sa femme, et que la femme fasse de même envers son mari. Ce n’est pas la femme qui dispose de son corps, c’est son mari. De même, ce n’est pas le mari qui dispose de son corps, c’est sa femme. Ne vous refusez pas l’un à l’autre, sauf d’un commun accord et temporairement, afin de vous consacrer à la prière. Puis retournez ensemble de peur que votre incapacité à vous maîtriser ne donne à Satan l’occasion de vous tenter. En parlant ainsi, je vous fais une concession, je ne vous donne pas d’ordre. Je voudrais bien que tous les hommes soient comme moi. Mais chacun reçoit de Dieu un don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là. Je dis donc aux célibataires et aux veuves qu’il est bon des rester ainsi, comme moi. Mais s’ils ne peuvent vivre dans la continence, qu’ils se marient, car il vaut mieux se marier que brûler. A ceux qui sont mariés, j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur : que la femme ne se sépare pas de son mari, si elle en est séparée, qu’elle ne se remarie pas ou qu’elle se réconcilie avec son mari, et que le mari ne répudie pas sa femme (1 Co. 7, 1-11).

Le mariage monogame est, comme le célibat, un charisme, un don de Dieu, et, s’il est un remède à la concupiscence, il est surtout un don mutuel entre les époux, un don total de personnes totales, corps compris : les époux sont l’un pour l’autre et ensemble pour le Seigneur. Il n’est alors nullement question de la procréation des enfants. Après le Christ, après la résurrection, il n’est plus nécessaire d’avoir des enfants, puisque ce qui compte, c’est l’engendrement spirituel, la naissance à la vie du Royaume de Dieu. Le mariage n’est pas une nécessité, mais, malgré tout, il vaut mieux se marier que brûler, et donc, le mariage apparaît, chez Paul, comme un remède à la fornication.

Dès lors, avec saint Augustin, l’acte charnel se présente comme un péché véniel, au moins de la part du demandeur, puisqu’il s’accomplit comme un remède à une faute plus grave... La fidélité et l’indissolubilité du mariage, dont parle également Augustin, ne sont jamais mis en rapport avec l’acte charnel qui s’inscrit dans la volonté d’une fécondité charnelle. Il faut attendre les théologiens du douzième et du treizième siècles pour découvrir une nouvelle dimension à cette volonté de fécondité dans le mariage : la progéniture charnelle vise à peupler le Royaume de Dieu. Les personnes physiques ne justifient pas à elles seules les rapports sexuels, et une autre finalité, plus élevée, est alors accordée au mariage : il faut peupler le Ciel, ce qui justifie la dimension sacramentelle du mariage.

Il faudra attendre le vingtième siècle pour souligner une autre finalité au mariage : l’amour conjugal. Bien sûr, le concile de Trente avait déjà repris cette idée qui vient du fond des âges, que l’homme et la femme sont deux aides mutuelles... mais en plaçant cette idée davantage sur le plan de la vieillesse que sur celui de la jeunesse. Vatican II a repris à son compte les enseignements des biologistes et des philosophes personnalistes sur l’union de l’homme et de la femme, en soulignant que c’est dans une communauté de vie et d’amour entre deux personnes, et pas seulement par un contrat, que le mariage doit être vécu : le don mutuel des époux exprime le don d’amour de Dieu.

Beaucoup de nos contemporains exaltent aussi l’amour authentique entre mari et femme, manifesté de différentes manières, selon les saines coutumes des peuples et des âges. Éminemment humain, puisqu’il va d’une personne vers une autre personne en vertu d’un sentiment volontaire, cet amour enveloppe le bien de la personne tout entière. Il peut don enrichir d’une manière particulière les expressions du corps et de la vie psychique et les valoriser comme les éléments et les signes spécifiques de l’amitié conjugale. Cet amour, par un don spécial de sa grâce et de sa charité, le Seigneur a daigné le guérir, le parfaire et l’élever. Associant l’humain et le divin, un tel amour conduit les époux à un don libre et mutuel d’eux-mêmes qui se manifeste par des sentiments et des gestes de tendresse et il imprègne toute leur vie. Il s’achève lui-même et grandit par son généreux exercice. Il dépasse donc de loi l’inclination simplement érotique qui, cultivée pour elle-même, s’évanouit vite et d’une façon pitoyable. Cette affection a sa manière particulière de s’exprimer et de s’accomplir par l’oeuvre du mariage. En conséquence, les actes qui réalisent l’union intime et chastes des époux sont des actes honnêtes et dignes. Vécus d’une manière vraiment humaine, ils signifient et favorisent le don réciproque par lequel les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la reconnaissance. Cet amour, ratifié par un engagement mutuel, et par-dessus tout consacré par le sacrement du Christ, demeure indissolublement fidèle, de corps et de pensée, pour le meilleur et pour le pire, il exclut donc tout adultère et tout divorce (Gaudium et Spes, 7 décembre 1965).

La fidélité dans le mariage

Est-il permis de répudier sa femme ? A cette question, Jésus répondait en invoquant le mariage monogame de la création, en insistant sur le fait que l’homme et la femme ne forment plus désormais qu’une seule chair. A cette même question, l’Eglise, fidèle à l’enseignement du Christ et des apôtres, répond en invoquant l’union même du Christ et de son Eglise, l’alliance indissoluble qui les unit. Chaque mariage entre chrétiens se greffe sur l’union mystique du Christ et de l’Eglise, une union que rien ne pourra jamais défaire : jamais le Christ ne pourra défaire son Incarnation et son union à l’humanité, dans l’alliance qu’il a conclue avec son Eglise. Ce caractère indissoluble de l’union Christ-Eglise se retrouve dans l’union indissoluble entre les époux. La fidélité du Christ s’est traduite dans la crucifixion, l’indissolubilité du mariage est vécue parfois aussi douloureusement par l’époux trahi que par le Christ en croix. La fidélité du Christ se marque aussi dans le conjoint infidèle, dans la mesure où il lui est impossible de contracter une nouvelle union légitimement valide.

Il ne s’agit pas de faire le procès de la séparation et du divorce entre les époux, mais de découvrir la signification du sacrement de mariage. Celui-ci est le signe de l’amour infrangible de Dieu, le signe de l’amour du Christ pour l’Église.

Pourtant, le divorce est une réalité quotidienne : un couple sur trois divorce aujourd’hui en France, et ce taux est encore plus élevé aux États-Unis, et même les nations traditionnellement chrétiennes sont entraînées dans ce vaste mouvement. Alors, comment ne pas aborder ce sujet ? Tout homme est pécheur, et le mariage n’est que l’union de deux pécheurs... et à tout péché, miséricorde ! L’Eglise, à la suite du Christ, ne cesse d’affirmer que le mariage est indissoluble, non pas par une exigence disciplinaire, non pas par un commandement purement légaliste, mais surtout parce qu’elle croit que les époux sont aussi capables d’une fidélité sans retour... Et l’idéal de vie et de communauté de vie qu’elle propose n’est sans doute pas périmé, même si les conditions de vie actuelles rendent cette fidélité difficile : aucun des conjoints ne veut être possédé par l’autre, alors que l’apôtre Paul soulignait que ni l’un ni l’autre ne s’appartenait plus mais appartenait à l’autre. Et quand l’amour n’existe plus, faut-il rester fidèle ? Pour le bien des époux, comme pour celui des enfants, ne vaut-il pas mieux envisager une séparation ?

Il faut savoir que l’Eglise admet la séparation. Les divorcés non remariés sont, dans l’Eglise, exactement comme les autres chrétiens. C’est leur remariage qui fait l’objet d’une sanction particulière dans l’Eglise catholique, parce que celle-ci ne peut pas s’arroger le droit de détruire elle-même ce que le Christ lui-même a scellé.

Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère.

Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas.

Ces paroles sont difficiles à entendre, mais le Christ exige toujours beaucoup. L’idéal qu’il propose est toujours difficile à atteindre, et il vise parfois l’héroïsme, puisque Jésus est allé jusqu’à sacrifier sa propre vie... De plus, l’Eglise affirme que l’amour conjugal est une image de la tendresse qui unit Dieu à l’humanité, et que le mariage est le signe, le sacrement de l’alliance qui unit le Christ à son Eglise. Dans ces conditions, il faut comprendre que l’Eglise répugne à bénir l’union de deux fiancés peu sûrs d’eux-mêmes, peu conscients des réalités de la vie conjugale, et à plus forte raison qui ne croiraient pas en Jésus-Christ... Et pourtant, malgré toutes ces précautions, certains mariages se soldent par un échec. Quelle peut être l’attitude de l’Eglise devant un divorcé qui souhaite refaire sa vie ? D’abord, elle n’a jamais excommunié au sens fort les divorcés remariés, même si elle ne leur permet pas de participer aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie, ce qui implique que les divorcés remariés ressentent cette interdiction comme une exclusion. Toutefois, l’Eglise se doit d’être le signe de l’amour inconditionnel de Dieu et de sa miséricorde infinie, et si elle accordait un statut précis aux divorcés remariés, elle reconnaîtrait implicitement et ensuite explicitement le mariage après le divorce.

En 1971, un évêque français, le Père Le Bourgeois, d’Autun, prenait une décision : il accordait les funérailles religieuses aux divorcés remariés. Cette décision entrait dans la législation de l’Eglise universelle deux ans plus tard. En septembre 1976, il innovait encore, à propos du second mariage des divorcés, en rappelant à ses prêtres qu’une telle décision ne pouvait pas être le fait d’un seul évêque, mais de toute l’Eglise :

L’échec du couple nous interroge tous. Parce que le mariage est aussi un sacrement, il est confié à la responsabilité de toute l’Église. Plus que jamais, à cause d’une législation qui favorise le divorce, nous devons nous préoccuper de l’aide spirituelle à apporter aux couples en difficulté...

Et il proposait quelques types de célébrations à l’occasion d’un remariage après divorce :

L’annulation de mariage

Traditionnellement, l’Eglise affirme que, pour qu’il y ait réellement mariage, le consentement des époux doit être donné librement et sans aucune contrainte (ni morale ni physique). Ce consentement doit être échangé en présence de deux témoins au minimum de la communauté, et devant un prêtre, le témoin de l’Église. Mais le consentement ne suffit pas à la validité du mariage : les époux doivent se promettre fidélité pour toute leur vie, jusqu’à ce que la mort les sépare, ils doivent envisager un foyer fécond. Il ne faut pas qu’il y ait d’empêchement grave au mariage (liens du sang, par exemple), et il faut que, par la suite, le mariage soit consommé. Quand l’Eglise reconnaît, après une enquête canonique, que l’une de ces conditions n’a pas été remplie, elle déclare que le mariage n’a jamais existé, même si des enfants sont nés dans le couple...

Le mariage, signe de l’alliance

Le fait même que l’Eglise catholique reconnaisse dans le mariage le signe de l’alliance éternelle entre Dieu et les hommes, le signe de l’alliance éternelle entre Jésus-Christ et son Eglise, explique, par lui-même le fait qu’elle soit très réticente à reconnaître l’annulation de mariage ou le divorce. Les éléments qui président à l’enquête canonique de nullité de mariage sont observés très scrupuleusement, car l’Eglise ne pourrait absolument pas se permettre de considérer comme étant nul et sans valeur le signe même dans lequel elle reconnaît l’union particulière de Dieu avec l’ensemble de l’humanité.

Dans le sacrement de mariage, l’Eglise catholique redécouvre sa grande dimension : elle se situe comme le lieu de l’espérance, et le nouveau foyer des époux chrétiens porte aussi en lui-même cette espérance qui fait surgir sans cesse de nouveaux membres, dans les différentes cellules de l’Église. Le foyer chrétien est la première cellule de l’Eglise, qui est appelée à croître jusqu’à la pleine réalisation du Royaume de Dieu.