Les grandes affirmations de la Bible

Le Livre des livres, qui est un patrimoine de l'humanité, puisqu'il constitue un immense trésor de pensée et d'action, susceptible de transformer toute la vie religieuse de plusieurs civilisations, propose aux croyants certaines affirmations. Ainsi, la pensée religieuse du peuple d'Israël se présente comme une vision globale du monde des origines jusqu'à la fin de temps, non pas à la manière des sciences positives, mais bien plus â la lumière de la révélation de Dieu.

L'Unité de Dieu

L'affirmation de l'unité absolue de Dieu constitue le noyau central de tout le judaïsme. Pour exprimer cette unité, il suffit de reprendre l'hymne à Dieu que tous les croyants juifs disent au début de la prière du matin :

Maître de l'univers, tu as régné avant que rien ne fût créé. Quand, par ta volonté, tout fut créé, ta royauté fut proclamée. Quand tout aura pris fin, seul, sublime, tu régneras. En gloire, tu fus, tu es et tu seras. Tu es unique et sans second à te comparer ou à t'associer. Sans commencement et sans fin, à toi la puissance et la domination...

Le maître de l'univers, le Dieu des patriarches, le Dieu de Moïse le Créateur de tout ce qui existe est le Dieu de tous les hommes et il n'en est pas d'autre que lui : son unicité est absolue.

L'idée d'unité est un concept très élaboré de l'esprit humain : en effet, il se distingue des autres par son abstraction la plus complète. Et, il parait assez étrange que ce soit un peuple de nomades, sans instruction et sans culture, un peuple qui ne connaîtra pas une civilisation de type analytique et philosophique, qui se soit trouvé à l'origine de cette découverte de l'unicité de Dieu. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour justifier ce mystère de la découverte de l'unicité divine par un peuple si peu enclin à la philosophie spéculative. Certains pensent que le monothéisme absolu d'Israël ne serait qu'une excroissance des polythéismes voisins : les peuples religieux qui entouraient Israël et sur qui ils exerçaient une influence aussi bien religieuse que politique adoraient une multitude de dieux, dans des panthéons strictement hiérarchisés, mais, en même temps, ils reconnaissaient un dieu supérieur qui dirigeait le monde. C'était un dieu cosmique qui réglait le sort des autres dieux et des hommes, et Israël n'aurait eu qu'à adopter la pensée religieuse de Babylone et de l’Égypte pour se forger son idée de l'unité divine. Une seconde hypothèse fait de l'unicité non pas le résultat d'une vision plus ou moins cosmique de l'univers, mais comme le résultat d'une conception nationale de la religion. Le Dieu d'Israël n'aurait été qu'un Dieu parmi les autres dieux : la religion du peuple n'aurait été qu'une monolâtrie qui se serait de plus en plus particularisée pour devenir le culte du Dieu plus grand que tous les autres, puis celui du Dieu unique auprès duquel tous les autres dieux ne sont que néant, du Dieu unique de tous les hommes dont il est le créateur. Ainsi, cette hypothèse pose l'unité de Dieu comme le résultat d'une longue évolution historique.

Le Judaïsme récuse ces deux hypothèses pour affirmer l'unité absolue de Dieu en dehors de tout lien avec l'univers dans sa matérialité, en dehors de tout lien avec une histoire qui retracerait le destin des dieux de l'humanité. Dieu est esprit : personne ne peut le voir, même s'il se révèle aux yeux des hommes dans la splendeur de sa création. Un profond fossé existe donc entre les cultes polythéistes et le monothéisme hébreu, lequel insiste sur le caractère spirituel de Dieu, qui récuse tous les aspects mythologiques des divinités étrangères. C'est ce sentiment du caractère personnel de Dieu qui excita la colère des prophètes contre toutes les formes d'idolâtrie. Pour le judaïsme, c'est le Dieu, dont le nom a été révélé à Moïse, qui s'est manifesté aux patriarches et qui commença avec eux l'histoire de l'ensemble du peuple. Les auteurs de la Genèse estiment que le Dieu qui s'est révélé aux Pères était YHWH. Ceci ne peut surprendre, car, à l'époque à laquelle ils rédigent leur texte, YHWH était le Dieu unique d'Israël, et il était normal qu'ils considèrent aussi YHWH comme le Dieu de leurs ancêtres. Aussi le nom de YHWH était-il fréquemment nommé à côté d'autres noms divins composés de El. Un petit passage du livre de la Genèse contient une véritable collection de noms divins :

Par la force de l'Indomptable de Jacob, par le nom du Pasteur, la Pierre d'Israël, par El, ton père, qu'il te vienne en aide, par le Dieu Puissance (El Shaddaï), qu'il te bénisse (Gn 49, 24-25).

Comme dieu personnel, El est attesté au quinzième et quatorzième siècles, à Ougarit, où il occupe le premier rang parmi les dieux. Mais, c'est dans les cunéiformes du troisième millénaire que, pour la première fois, on rencontre le mot "El" (en akkadien : "ilû"), employé de deux manières différentes, soit comme un nom commun devant le nom d'une divinité (El Enlil : le dieu Enlil), soit comme un nom propre (El est grand). A Ras-Shamra, El est employé à la fois comme terme générique pour toute divinité, mais aussi comme désignant le dieu suprême du panthéon ougaritique.

Chez les patriarches, et parmi les peuples avec lesquels ils furent davantage en contact, il y a certainement eu un double niveau de croyances religieuses et d'attitudes. D'une part, ils reconnaissaient une divinité nationale, et même internationale, don l'autorité s'étendait sur un horizon de plus en plus large : il était un dieu lointain, le dieu des cieux qui dominait sur les dieux et sur les hommes. A ce type de dieu appartenaient Mardouk du panthéon babylonien, El le dieu suprême cananéen, et YHWH le dieu du peuple d'Israël. D'autre part, il y avait le dieu tribal, le dieu du clan, le dieu du père de tel ou tel individu de la famille. Plus tard, il sera le " dieu des pères ", soit la divinité de la totalité du clan descendant d'un même père. C'était avec cette divinité que l'on entretenait des rapports intimes : elle manifestait directement à son peuple. Et c'est dans cette forme de représentation ù dieu tribal que la notion d'alliance entre Dieu et son fidèle a pu s'élaborer dans la conscience d'Israël, de façon de plus en plus marquée. Le culte rendu au dieu de la tribu n'entrait sans doute pas en concurrence avec le culte réservé au dieu suprême : les deux cultes étaient complémentaires, et l'homme pouvait reconnaître en son dieu personnel le Dieu suprême et transcendant. Il cherchait alors à le rencontrer dans son intimité. A mesure que YHWH devenait le seul et unique Dieu pour un peuple d'Israël unique, les deux types de divinités se soient confondus et identifiés en un seul Dieu qui est devenu le Dieu transcendant, le Dieu maître de l'univers et de l'histoire, qui a établi sa royauté avant la création du monde et qui la fera durer jusqu'au-delà de la fin des temps. Ainsi, dans les temps les plus anciens de la religion d'Israël, les patriarches n'étaient pas polythéistes, au sens où ils auraient adoré de nombreuses divinités. Polythéistes, ils l'étaient à leur manière, sur un plan pratique et non pas sur un plan théorique. Ils n'ont vraisemblablement : pas établi de différences entre les noms et les représentations de Dieu. Les ancêtres du peuple d'Israël ont sans doute adopté un monothéisme très souple, avec plusieurs variantes de nomination pour le même Dieu. Et le culte final de YHWH fut simplement le terme d'un processus lent et complexe qui devait aboutir à l'unification des tribus qui se constituèrent en une nation unique : en fait, c'est la centralisation du culte rendu par les différentes tribus d'Israël qui a contribué à faire de YHWH l'unique Dieu national, lequel présida au rassemblement et à l'unification du peuple.

Le Dieu d'Israël est transcendant et souverain : ce sont les deux caractères qui le définissent dans la Bible. YHWH est son nom, qui est transcrit en hébreu biblique YHWH puisque la langue hébraïque ignore les voyelles ; mais il est lu Adonaï, le Seigneur, afin de préserver à ce nom divin le caractère sacré que la Bible lui attribue. Chaque fois que le tétragramme divin YHWH apparaît, le lecteur lui substitue immédiatement le terme de Adonaï. Ce nom sacré ne pouvait être prononcé qu'une fois par an, à Jérusalem, le jour du grand Pardon ; mais, depuis la destruction du Temple, en 70, la véritable prononciation s'est perdue, sans chance d'être retrouvée. YHWH est le nom que Dieu s'est donné lui-même quand il s'est fait connaître à Moise :

Moïse dit à Dieu : Voici ! Je vais aller vers les fils d'Israël et je leur dirai : le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous. S'ils me disent : Quel est son nom ? - que leur dirai-je ?. Dieu dit à Moïse : Je suis qui je serai. Il dit : tu parleras ainsi aux fils d'Israël : Je suis m'a envoyé vers vous (Ex. 3, 13-14).

Ce court passage apparaît comme une tentative d'explication doctrinale du nom divin, mais cette parole est énigmatique. On peut la comprendre : Je suis qui je suis, autrement dit : je refuse de donner mon nom. De même, on peut comprendre : Je suis celui qui est, en comparaison des autres dieux qui ne sont que des néants. La version grecque de la Bible hébraïque, version dite des Septante, a adopté cette interprétation, soulignant ainsi le concept de l'existence de Dieu, que le peuple d'Israël ne mettait pas en doute. En comprenant : Je suis qui je serai, le nom de YHWH devient le lieu d'une histoire qui va se nouer entre Dieu et les hommes. C'est dans l'histoire des hommes que Dieu manifestera peu à peu qui il est. La réponse faite à Moïse est à la fois une révélation et un refus de se révéler complètement. C'est seulement dans les événements de l'exode et dans le cours ultérieur de l'histoire du salut que Moïse et tout le peuple pourront comprendre plus précisément qui est le Dieu qui est entré en relation avec eux, dans le cadre d'une alliance, au Sinaï.

La notion d'alliance

La notion la plus caractéristique de la pensée biblique est celle de l'alliance qui est présentée comme le lieu de la rencontre de Dieu avec l'homme. Cette alliance, exprimée par le terme hébreu Berith, s'exprime sous la forme d'un contrat, conclu la plupart du temps selon un rite de sacrifice qui manifeste concrètement l'union entre les deux alliés. La découverte en 1901 du code de Hammourabi, roi de Babylone vers 1750 avant Jésus-Christ, a permis de comprendre de manière plus précise la structure de l'alliance dans le Proche-Orient, particulièrement en Israël. Le terme même de Berith avait une signification politico-religieuse en Canaan : c'est un engagement pris entre deux personnes ou entre deux groupes humains, représentés par leurs chefs. Il y a Berith quand il s'agit de renouer ou même d'asseoir une relation entre deux personnes ou deux groupes après une période d'hostilité. Ainsi, parler d'alliance, c'est déjà soupçonner qu'on peut la rompre ou qu'elle a déjà été rompue, c'est aussi poser la possibilité d'un renouvellement de l'accord entre les deux parties.

Le code de Hammourabi est un texte gravé sur un bloc de pierre d'une hauteur de deux mètres vingt-cinq, conservé au musée du Louvre. Sur la partie supérieure de cette stèle, le roi se tient devant le dieu de justice, Shamash. Celui-ci, assis sur un trône, dicte ses lois au roi, debout en face de lui. Le souverain devra faire se lever le soleil de justice, en supprimant le méchant et le pervers, en empêchant le fort d'écraser le faible.

Ce code comporte deux cent quatre-vingts articles qui définissent les règles de vie pour les grandes classes de la société, à savoir les nobles, les roturiers et les esclaves. Cependant, l'état babylonien était organisé avant Hammourabi, il était régi par le droit coutumier. Ce roi n'a fait que regrouper toutes les lois du droit coutumier, en les révisant et en les améliorant. Si ces règles sont gravées sur la pierre, c'est pour que chacun, et en particulier le juge, puisse savoir quels sont les droits des uns et des autres. Ce code est constitué comme un recueil d'arrêts de justice dont les juges pouvaient s'inspirer librement, en respectant les traditions locales de telle ou telle partie de l'empire unifié par ce souverain. Depuis la découverte de ce Code, on a retrouvé de nombreux textes législatifs de l'Orient antique, ce qui a permis de comprendre la structure de la Berith pour Israël. Les différents traités législatifs adoptent un schéma comparable :

La conclusion du traité se fait par le serment du vassal et parfois celui du suzerain. Les contractants se retrouvent autour d'un repas de paix.

Tous ces éléments des codes législatifs se retrouvent dans les différentes alliances entre Dieu et son peuple. Dieu se présente toujours avec ses titres au moment de conclure une alliance, avec Abraham, avec Moïse... Un résumé de l'histoire des relations entre Dieu et son serviteur ou son peuple est chaque fois présenté. Des décisions sont prises par Dieu dans le domaine de la conduite morale ou religieuse de son peuple, avec aussi parfois l'indication de la manière de se souvenir de l'alliance. Pour l'ancêtre Noé, le signe de cette Berith sera l'arc-en-ciel, pour le patriarche Abraham, le signe sera la circoncision des mâles, pour le peuple en exode dans le désert du Sinaï, le signe des tables de la Loi sera conservé dans l'arche d'alliance.

Il est pratiquement impossible d'attribuer une date historique à la conclusion de l'alliance entre Dieu et son peuple, car l'alliance se répète et doit se renouveler régulièrement dans toute l'histoire du peuple, même si celui-ci se réfère toujours à une alliance unique. La Bible présente une pluralité d'alliances bâties sur le modèle d'une alliance unique, attestant l'unicité de celle-ci dans la pluralité. Devant la multiplicité des textes relatifs à l'alliance de Dieu avec Israël, devant le nombre impressionnant de textes invitant le peuple à poursuivre et développer cette alliance dans la mise en pratique des commandements, il suffit de s'arrêter quelques instants à la lecture d'un texte, texte d'un discours attribué à Moïse dans le cadre de la révélation de Dieu sur le mont Sinaï. Dans sa brièveté, ce discours rassemble de très nombreuses données : Dieu se manifeste à son peuple dans le cadre d'une histoire (passé-présent-avenir), il devient le Dieu de tout le peuple (Dieu des pères - Dieu de Moïse - Votre/notre Dieu) ; les commandements représentent la charte même de l'alliance, la Parole de Dieu devient concrète dans la possession d'un territoire précis où le peuple pourra vivre en pratiquant les commandements et en rappelant les actes de Dieu pour son peuple au désert et pour tous les descendants de ce même peuple.

Et maintenant, Israël, écoute les lois et les coutumes

que je vous apprends moi-même à mettre en pratique :

ainsi, vous vivrez et vous entrerez prendre possession du pays

que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères.

Vous n'ajouterez rien aux paroles

des commandements que je vous donne

et vous n'y enlèverez rien afin de garder les commandements

du Seigneur votre Dieu que je vous donne.

Vous avez vu de vos yeux

ce que le Seigneur a fait à Baal-Péor ;

tous ceux qui avaient suivi le Baal de Péor,

le Seigneur ton Dieu les a exterminés du milieu de toi,

tandis que vous, les partisans du Seigneur, votre Dieu,

vous êtes tous en vie aujourd'hui.

Voyez, je vous apprends les lois et les coutumes

comme le Seigneur mon Dieu me l'a ordonné,

pour que vous les mettiez en pratique

quand vous serez

dans le pays où vous allez entrer

pour en prendre possession.

Vous les garderez, vous les mettrez en pratique :

c'est ce qui vous rendra sages et intelligents

aux yeux des peuples qui entendront toutes ces lois ;

ils diront : cette nation ne peut être

qu'un peuple sage et intelligent !

En effet, quelle grande nation a des dieux qui s'approchent d'elle

comme le Seigneur notre Dieu le fait

chaque fois que nous l'appelons ?

Et quelle grande nation a des lois et des coutumes aussi justes

que toute cette Loi que je mets devant vous aujourd'hui.

Mais prends garde à toi, garde-toi bien d'oublier

les choses que tu as vues de tes yeux.

Durant toute ta vie, qu'elles ne sortent pas de ton coeur.

Tu les feras connaître à tes fils et à tes petits-fils.

En disposant ainsi ce texte biblique (Dt. 4, 1-9), il est facile de repérer qu'il s'articule autour d'une double invitation : invitation à écouter les commandements et invitation à les faire connaître, en tant qu'ils sont les conditions de l'action salvifique du Dieu Seigneur. Il ne suffit pas d'écouter ce que dit YHWH, il faut mettre en pratique ce qui a été énoncé de génération en génération : celui qui écoute le Seigneur doit transmettre au peuple tout entier les dires de YHWH. Le verset 5 de ce texte : Voyez, je vous apprends les lois et les coutumes comme le Seigneur me l'a ordonné, pour que vous les mettiez en pratique... est particulièrement signifiant pour exprimer la transmission de la foi en l'alliance. Il est signifiant dans l'ordre de la transmission, car il indique un déplacement temporel : un présent (je vous apprends) reçoit son sens d'un passé (me l'a ordonné) en vue d'un avenir (pour que vous les mettiez en pratique). Ce déplacement temporel est également remarquable par le déplacement des sujets "le Seigneur" a ordonné, "je" enseigne, "vous" mettra en pratique.

L'absence même des sujets définis dans le présent et dans l'avenir montre que ce discours est toujours susceptible d'être repris, d'être replacé dans la bouche de tout homme qui enseigne la Loi, de tout père qui enseigne ses fils et ses petits-fils. L'élément absolument stable de tout discours sur l'alliance, c'est "le Seigneur mon Dieu" même si YHWH n'est pas perçu comme un être au sens métaphysique du terme : il est toujours présent en vue d'un acte que les hommes réaliseront eux-mêmes, dans le cas précis : l'entrée dans le pays.

Le Dieu qui se révèle, qui se manifeste aux hommes, n'est pas un Dieu construit abstraitement par quelque métaphysicien, il est un Dieu qui se donne à connaître aux hommes et qui, dans une mesure plus que certaine, se livre à eux pour qu'ils le fassent connaître. Le destin même de YHWH se trouve ainsi remis entre les mains des croyants : il se fait connaître, mais aussitôt il se retire, car c'est à l'homme qu'il revient de faire connaître Dieu, en rappelant les actions de salut déjà accomplies. Il y a donc une amplification de la révélation : l'événement fondateur, celui de l'alliance au Sinaï, s'éloigne dans le temps, puisque les générations se succèdent mais l'enseignement demeure, dans la permanence de la tradition.

Le propre de la tradition d'Israël n'est pas situé simplement dans un code législatif, mais bien davantage dans la lecture des événements de l'histoire du peuple comme dessein de Dieu voulu dans le cadre même de l'alliance. Si les actions mises en rapport avec l'accomplissement des commandements ne sont plus les mêmes - car l'histoire n'est pas répétition mais progression - leur rattachement à la Berith perdure : la foi d'Israël en l'alliance est immuable, bien que les manifestations extérieures changent de génération en génération. La spécificité même de l'alliance est de demeurer identique à elle-même, dans la succession des événements comme dans la suite des générations. En un certain sens, l'alliance est un signe de la transcendance de Dieu. La grandeur de YHWH, c'est de se lier à une décision humaine : il entre en relation avec l'homme, il prend parti pour son fidèle. Ce qui fait la grandeur de Dieu, c'est cette dimension de relation qu'il établit entre lui et l'homme, en engageant sa propre fidélité : l'éternel est entré dans le temps en devenant le partenaire de l'homme, en agissant pour lui tout au long d'une histoire.

Mais, si le judaïsme ne cesse d'affirmer la sainteté de Dieu, dans le cadre même de l'alliance, il affirme dans le même temps la culpabilité de l'homme : c'est cette dernière qui implique que la notion même d'alliance soit comprise comme la prescription d'une Loi à laquelle les membres du peuple doivent se soumettre.

Il semble, à la lecture des textes bibliques, que les fidèles du peuple n'aient jamais pu concevoir une alliance sans qu'elle ne soit accompagnée de prescriptions détaillées. Ainsi, la nouvelle alliance annoncée par le prophète Jérémie en plusieurs oracles parle également d'une Loi : Je mettrai ma Loi au fond de leur être, et je l'écrirai sur leur coeur. Alors, je serai leur Dieu et eux seront mon peuple (Jr. 31, 33 b). Alors, ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu : Je leur donnerai un seul coeur et une seule manière d'agir (Jr. 32, 38-39a).

La communauté juive s'est constituée autour de la notion d'alliance. Et même si originellement le pacte conclu par Dieu avec son peuple est lié à la possession d'une terre, très vite les Hébreux n'ont pas attaché une importance à l'espace matériel, comme lieu de leur relation avec leur Dieu ; ils ont pris conscience que leur domaine réel était l'histoire, et ils ont ainsi valorisé davantage le temps, qui est le lieu propre de l'histoire du peuple avec Dieu. Aucune tradition antique n'a insisté sur cet "avec" Dieu comme Israël : Dieu n'est plus l'inaccessible, mais celui avec qui l'homme peut travailler. L'homme devient ainsi celui qui achève la création de Dieu, en suivant son alliance et sa Loi : pour les hommes, libérés de la servitude, il ne s'agit pas simplement de pratiquer des actes de justice, mais aussi et surtout de participer à l'oeuvre de Dieu dans le monde. Puisque Dieu a libéré son peuple d’Égypte, il revient à ce dernier de faire connaître tout ce que YHWH a fait. L'enseignement des merveilles de Dieu est la condition du renouvellement de l'alliance d'une génération à l'autre : le but de l'éducation, c'est d'instituer un rapport entre l'homme et la sainteté de Dieu, afin de faire comprendre à l'homme pécheur qu'il n'est vraiment libre, vraiment autonome, que parce qu'il est soumis à son créateur.

La situation de l'homme

Dans la connaissance de l'alliance avec Dieu, l'homme ne cesse de se reconnaître pécheur, devant la sainteté absolue de Dieu. Devant les choses de ce monde, le fidèle fait l'expérience de l'échec chaque fois qu'il ne reconnaît pas l'ordre voulu par le Seigneur dans sa création. De même, dans ses relations avec les autres hommes, il fait l'expérience de sa culpabilité, de son indignité en face des autres, en face surtout de l'Autre qu'est Dieu. L'homme est un être créé par Dieu, et en tant que tel, il est dépendant de lui. Seulement, ainsi que le montrent les récits bibliques relatifs à la création, Dieu l'a établi souverain dans l'ordre du monde. Ainsi l'homme dépend de son Seigneur, tout en jouissant de la possibilité de prendre ses distances par rapport à lui, en exerçant son propre pouvoir sur le monde. La grandeur du Dieu de la Bible, c'est d'avoir créé un être tel qu'il pouvait le remettre en question, le contester et même le nier (cette négation étant la forme suprême du péché) ; mais aussi, après avoir contesté et même nié Dieu, l'homme est capable de le reconnaître comme celui qui fonde son autonomie, sa liberté. Le rapport de l'homme à Dieu ne se situe pas au plan d'une dépendance infantile, dans une sorte d'innocence qui ne poserait aucun problème : la nature même de l'homme, c'est de ne pas être innocent.

A l'origine, dans la période des commencements absolus, Dieu fit le monde et tout ce qu'il contient, et il vit que cela été bon. Puis, il créa l'homme et la femme à son image et à sa ressemblance en leur laissant la domination totale du monde sur lequel il les établit maîtres et seigneurs. Le récit biblique ne dit rien de la condition ontologique de cet homme, le premier dont le nom même indique sa domination sur la terre (Adam est un terme qui signifie tout simplement le "terreux") ; il ne décrit pas davantage la vie quotidienne de ces premiers ancêtres de l'humanité. Il semblerait même que la chute soit un instant synchronique de la création. Le temps ne s'écoule pas entre la naissance de l'homme et le moment de sa déchéance. Son innocence originelle était en harmonie avec les lois naturelles que Dieu avait établies sur le monde. L'homme ne faisait qu'un avec la nature comme il ne faisait vraisemblablement qu'un avec Dieu : il ne se distinguait alors en rien de la pierre, de la plante, de l'animal qui vivent en accomplissant parfaitement leur nature. Mais l'homme à l'état de nature ressemble à l'enfant avant l'éveil de la raison : il n'a pas conscience de lui-même. Et c'est en prenant conscience de lui-même qu'il se sépare de Dieu : c'est la connaissance qui rend l'homme mauvais et non pas le fait de manger le fruit de tel ou tel arbre. En découvrant qui il est, l'homme se sépare de Dieu, et cela constitue une chute, mais, dans le même temps il se découvre une responsabilité dans le monde. Le récit de la Genèse présente deux conséquences directes de la faute : le travail et la mort, avec leur caractère commun de pénibilité. Il faudrait aussi mentionner l'enfantement dans la douleur qui revient à celle qui a été l'occasion de la scission d'avec Dieu. Dans le texte même, le travail et la mort sont présentés comme des conséquences de la transgression de la volonté divine, comme une sorte de châtiment venant à la suite de la sanction de Dieu. Ainsi, le travail est présenté comme quelque chose qui aurait dû ne pas avoir lieu ; mais, en même temps, il est possible de considérer le travail comme un privilège de l'homme : il marque la supériorité de l'homme qui parvient à la connaissance de soi.

L'homme, dans son innocence primitive, pouvait sans doute trouver dans la nature de quoi satisfaire ses besoins élémentaires ; mais celui qui se sédentarise a des besoins qui se multiplient à l'infini : et c'est par le travail qu'il trouve la satisfaction de ses besoins qui ne sont plus simplement naturels. De la sorte, le récit de la Genèse arrive à présenter les deux aspects du travail qui est pénible en raison de la chute initiale, mais qui permet aussi le plein épanouissement de l'homme.

L'homme cesse d'être innocent, mais sa grandeur de créature lui vient de sa capacité de contester le Dieu qui l'a créé. Un apologue biblique représente Dieu enseignant les anges et Israël. Dans cette école divine, les anges (intelligences sans défaillance mais sans malice) demandent à Israël, placé au premier rang, le sens de la parole divine. Ce récit montre que l'existence humaine, malgré son infériorité, est le seul lieu où la parole divine peut devenir signifiante : la parole de Dieu prend du sens quand l'homme l'entend. Et c'est à Israël qu'il revient de faire connaître le message divin au milieu des autres cations. Ainsi, l'homme, membre du peuple d'Israël, devient véritablement le partenaire de Dieu.

Ainsi, l'homme, dans la pensée biblique, est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Plus qu'un partenaire de l'alliance, il apparaît presque comme un Dieu, en tout cas comme le couronnement de la création. Par son élection, Israël, qui est le représentant de toute l'humanité, est invité à s'identifier dans le monde à ce que Dieu peut être pour l'ensemble de l'univers. Dieu, qui est transcendant, séparé du monde, le pénètre par son acte créateur ; Israël, qui est aussi mis à part au milieu des nations, témoigne de sa fidélité à l'alliance en essayant de vivre selon la volonté divine. Mis à part des nations, Israël devient responsable des autres : et il connaît toutes les situations de la condition humaine dont il fait souvent la triste expérience. Ainsi, le particularisme de ce peuple s'exprime comme la condition de son universalité : le rapport de l'homme avec son Dieu passe nécessairement par la médiation des autres hommes. Aussi, la religion biblique apparaît facilement comme une éthique dans laquelle la relation avec les autres, avec le prochain, est une dimension religieuse : le rapport à autrui place l'homme dans sa relation avec Dieu. La connaissance de YHWH n'est jamais donnée que sous la forme d'un ordre à exécuter. Quand Dieu affirme : Je suis miséricordieux, cela veut dire : soyez miséricordieux, comme je l'ai été moi-même pour vous. Connaître YHWH, c'est apprendre à découvrir et à mettre en oeuvre sa volonté ; et c'est parce que l'homme peut pratiquer la justice envers les autres qu'il peut concevoir son rapport avec Dieu : la voie qui mène à YHWH passe nécessairement par les autres hommes. Et s'il est un verset qui résume toute la Bible, c'est celui-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

La loi ne se présente alors pas comme un joug qui serait imposé au peuple, elle est l'objet dont le fidèle a toujours soif : la sainteté de Dieu est le modèle que doit atteindre l'homme. Toute la Torah ne cesse de reprendre l'impératif catégorique : Soyez saints ! qui exprime le désir de salut de YHWH pour le peuple avec qui il a conclu une alliance. Pour le fidèle, la sainteté ne peut être atteinte que par la pratique des commandements, qui traduisent dans le monde la volonté d'amour de YHWH. Ainsi la Loi n'est pas contraignante, car c'est par elle, comme signe de l'alliance, que Dieu lui-même parvient à s'insérer dans l'histoire, et c'est aussi par elle que l'homme peut accéder à la satisfaction entière de devenir de plus en plus à l'image et à la ressemblance de Dieu. Ainsi, le psalmiste peut-il chanter :

La loi du Seigneur est parfaite, elle rend la vie ; la charte du Seigneur est sûre, elle rend sage le simple. Les préceptes du Seigneur sont droits, ils rendent joyeux le coeur ; le commandement du Seigneur est limpide, il rend clairvoyant (Ps. 19, 8-9).

Toutes les affirmations de la Bible conduisent Israël à se considérer comme séparé du monde, même s'il reste profondément présent dans le monde. En sauvegardant son originalité au milieu des nations qui l'entourent, il doit répandre le message d'amour et d'appel à la sainteté pour tous les hommes de manière à rendre universelle l'alliance que Dieu a conclue avec son peuple. Toute la pensée biblique est traversée par ce souci majeur d'Israël de faire connaître à toutes les nations la révélation que YHWH a fait de lui-même en s'engageant, lui, l'éternel et le transcendant, dans le temps de l'histoire et dans la réalité humaine, en se donnant à connaître à son peuple, par l'intermédiaire d'hommes particuliers qu'il s'est choisis et qui ont marqué le destin d'Israël.