LES VICISSITUDES DE L'HISTOIRE D'UN PEUPLE

 

L'histoire et la religion d'Israël sont inséparables. Son histoire est, en réalité, un phénomène d'importance mineure si on la compare au tableau complexe de l'histoire du Proche-Orient antique. En effet, mis à part les règnes de David et de Salomon, le pays n'a jamais connu un statut politique indépendant : il n'a pu maintenir son autonomie totale que pendant une très courte période. Pourtant, ce petit peuple a joué un rôle important dans l'histoire antique, non pas en raison de ses prétentions territoriales mais plutôt parce qu'il occupait un territoire sur lequel les grandes puissances de l'époque exercèrent leur influence.

Le berceau de la civilisation fut certainement ce qu'il est convenu d'appeler le " Croissant fertile ", c'est-à-dire ces terres qui s'étendent de la vallée du Nil à l'ouest, avec la ville de Memphis, jusqu'à l'extrémité orientale de la Basse-Mésopotamie, avec la ville d'Ur. Au Nord, Harran constitue le sommet de ce croissant qui se déploie ensuite sur la bande côtière de la Palestine et de la Syrie. C'est sur ces terres que, au néolithique, les hommes firent leur première expérience de vie sédentaire et d'habitations fixes. Jusque là, jusqu'au quatrième millénaire avant notre ère, le développement culturel avait été à peu près uniforme sur toute l'étendue du Croissant Fertile. Alors, les deux extrémités se mettent à dépasser la partie centrale : les deux fleuves, le Nil et l'Euphrate, fournissent la fertilité nécessaire à toute forme de richesse.

C'est au début du troisième millénaire que naissent les grands empires égyptien et babylonien. Entre eux, des échanges s'établissent, qui vont commander toute l'histoire du Proche-Orient. Sur la voie de jonction se situe la Palestine qui, selon les circonstances politiques, bénéficiera ou souffrira de ces zones d'influence et de la civilisation. La formation de la religion juive s'est faite dans ce contexte socio-politique qu'il ne faudrait pas négliger.

Israël n'eut guère d'influence politique en face des grands empires. En revanche, il obtint une importance religieuse assez considérable. C'est de ce peuple, en effet, que sont nées directement les deux grandes religions monothéistes que sont le judaïsme et le christianisme, et indirectement il a contribué à l'avènement d'une troisième grande religion, l'islam. De plus, la religion a certainement contribué à l'unification de ce peuple : elle n'occupait pas simplement une place particulière au milieu des facteurs politiques, sociaux, économiques... mais elle permettait à toutes les activités humaines de se découvrir une signification. Ainsi, le mode de vie d'Israël est toujours exprimé en terme de projet divin sur le peuple : ce projet lui permet de donner au sens et d'expliquer les événements, particulièrement en période de crise. L'histoire d'Israël ne peut se comprendre que dans sa religion, et d'autre part les idées théologiques ont sans cesse conduit la marche des événements.

L'histoire commence à Sumer

Les Sumériens peuvent être considérés comme les créateurs de la civilisation en Basse-Mésopotamie, bien qu'ils aient constitué, jusqu'au début du vingtième siècle, un peuple pratiquement, ignoré, en tout cas oublié. Il y a six mille ans que les hommes ont créé une première forme de civilisation sur les rives du Tigre et de l'Euphrate, dans la région qui porte, dans les livres d'histoire, le nom de "Mésopotamie", c'est-à-dire : de pays "entre les deux fleuves". Tout porte à croire que leur civilisation n'a pas été importée d'ailleurs mais qu'elle s'est formée sur place, dans la région de ces hommes qui étaient nommés "les têtes noires", en raison vraisemblablement de leur race a peau brune, hommes qui seraient venus, estime-t-on généralement du nord-est de l'Inde. Ces hommes de Sumer ont formé le premier peuple qui ait laissé des documents écrits. C'est chez eux que les archéologues ont découvert les plus anciens documents écrits que nous possédions de toute l'humanité, et ces mêmes archéologues se demandent s'il ne faut pas les considérer comme les inventeurs de l'écriture.

Déjà exercés au travail de l'agriculture, ils ne tardent pas à commercer avec leurs voisins moins favorisés qu'eux, échangeant leur superflu de nourriture contre des terres à bâtir, présentes dans les carrières de leurs voisins. C'est ainsi qu'il est possible de constater que les vestiges des constructions sumériennes allient les briques d'argile aux pierres de construction. Car ils étaient bâtisseurs autant qu'agriculteurs : utilisant l'argile des alluvions qu'ils faisaient sécher au soleil, ils fabriquèrent des briques pour édifier des maisons de plus en plus importantes selon leur état de prospérité. Ils construisirent aussi des embarcations, en s'aidant de roseaux qu'ils tressaient et qu'ils recouvraient de peaux et de poix ; c'est l'utilisation de ces bateaux qui leur permit d'entrer en relation avec leurs voisins et d'effectuer leurs premières entreprises commerciales. Et pour favoriser ces dernières, les Sumériens en sont venus à imaginer d'écrire sur de l'argile.

Les plus anciens documents ont été découverts dans les ruines de la ville d'Uruk : il s'agit de plus de mille tablettes pictographiques, difficiles à déchiffrer mais que l'on suppose être des aide-mémoire administratifs. Au cours des siècles, ils améliorèrent et perfectionnèrent leur technique de l'écriture. Ils se limitaient d'abord à traduire des images ou des représentations dans un type d'écriture pictographique ou idéographique. Puis, ils ont cherché à traduire les sons de la langue. Ainsi, dans le courant troisième millénaire, l'écriture s'assouplit progressivement : les signes sont décomposés en petits éléments qui perdent toute ressemblance avec les images primitives. De cette façon naquit l'écriture cunéiforme : elle est constituée d'éléments ayant la forme d'un clou (en latin, cuneus) et elle comprend environ cinq cent cinquante signes formés par l'agencement des quatre éléments de base : clou horizontal, clou vertical, clou oblique et double clou. Grâce a cette symbolisation, il devenait possible de fixer par écrit, sur des tablettes d'argile, toutes les créations littéraires qui étaient jusqu'alors transmises par la seule voie orale.

Par les mythes et les récits légendaires qu'ils ont ainsi légués à la postérité, les Sumériens ont eux-mêmes présenté les structures principales de leur société et de leur civilisation. Ils ont appliqué au monde divin les réalités qui constituaient leur existence concrète. La cité était théocratique, régie par le dieu qui la possédait, elle et les terres qui l'entouraient, comme son bien personnel. Le chef de la ville était en même temps le représentant du dieu sur la terre, c'était avant tout un chef religieux. La prééminence revenait donc aux prêtres, les servants de la divinité. Toutes les tâches afférentes au culte étaient réservées à ces prêtres : le travail sur les terres appartenant au temple, la tenue des entrepôts, l'échange des vivres contre les différents matériaux pouvant servir à la construction et à l'embellissement du temple et des chapelles bâties en l'honneur de la divinité. De plus, les prêtres avaient aussi une fonction de sagesse ; ils enseignaient dans les sanctuaires, ils exerçaient une sorte de médecine, ils étaient également choisis pour régler les différends entre les hommes. Il n'y avait donc pas, dans les cités sumériennes de rois : les grands-prêtres exerçaient cette fonction de gouvernement en même temps que leurs fonctions sacerdotales. Mais quand ces villes grandirent, la charge devenait trop importante pour le même grand-prêtre. Et l'on confia la fonction de gouvernement à un membre du clergé, choisi pour sa sagesse et son habileté. Progressivement, cette forme de royauté fut sensée être détenue par une sorte d'élection divine, elle serait descendue du ciel au commencement des temps. Toute l'activité politique et religieuse des chefs de la cité consistait à organiser la ville selon les desseins divins, de façon à faire du monde terrestre le pendant du monde céleste. La vie quotidienne du souverain, par exemple, était conçue comme la réplique de la vie quotidienne du dieu de la cité. Mais, rapidement, sous le contrecoup d'influences politiques entre cités proches, la religion sumérienne s'est transformée en un polythéisme avec un panthéon très largement fourni. Et bien que telle ou telle dynastie d'une cité sumérienne arrivât parfois à exercer un pouvoir éphémère sur l'ensemble du territoire, aucune ne put jamais arriver à mettre au point l'unification totale en une sorte de premier empire.

Les Sémites entrent dans l'histoire

A l'époque classique de Sumer, à l'heure où cette région et sa civilisation atteignaient l'apogée, les Akkadiens, des Sémites, commencèrent à se sédentariser, cohabitant d'abord pacifiquement avec les premiers occupants de la Basse-Mésopotamie. Leur présence est d'ailleurs attestée par des textes sumériens eux-mêmes à quelques termes de tournure sémitique ont fait leur apparition dans les mythes, et particulièrement dans celui relatif au déluge. C'est le signe qu'entre ces deux peuples existait une compénétration de pensée et de culture, qui devait s'accentuer avec le temps. Les Sémites entraient dans l'histoire avec ces Akkadiens. Mais si la civilisation sumérienne semble bien s'être constituée sur place, les Sémites d'Akkad ont certainement suivi un courant migrateur avant de venir s'installer sur les rives du Tigre et de l'Euphrate. Leur infiltration progressive a modifié la composition ethnique de cette région. Ils s'installent surtout dans la proximité de la ville de Kish, et vivent en harmonie parfaite avec les premiers occupants du sol.

Vers 2300, un sémite, d'origine humble, renverse le roi sumérien dont il était l'échanson. Il fonde une ville, Agadé, dont il se proclame roi. Sargon venait ainsi d'inaugurer sa grande oeuvre politique : la constitution du premier empire digne de ce nom dans toute l'histoire de l'humanité. Il n'est certes pas le premier aventurier à conquérir un trône, ni le premier à étendre son pouvoir sur des territoires importants, mais il est le premier à fonder une dynastie qui poursuivra son oeuvre pendant un siècle. Par les documents historiques, nous savons qu'il n'appartenait pas à la race royale, mais qu'il était attaché à la cour du roi de Kish. La fable a fait de lui un enfant naturel, exposé par sa mère sur le fleuve dans une corbeille de roseaux, recueilli et élevé par un jardinier au coeur compatissant... Dans les récits épiques, il est présenté au faîte de sa puissance, exerçant sur le monde entier une puissance absolue. Sous sa conduite, en effet, les Akkadiens vont achever la conquête de la Babylonie. Il soumet l'Élam et les régions voisines, il remonte l'Euphrate, conquiert jusqu'à la Syrie et le Liban. Des documents témoignent même de son activité d'expansion jusque dans la vallée de l'Indus. Ses fils et petits-fils lui succèdent, poursuivant ses exploits militaires. Ces nouveaux rois donnèrent à la culture sumérienne, qu'ils font leur, une expression nouvelle, en déplaçant notamment le pouvoir central ; le centre d'exercice de tout gouvernement n'est plus le temple du dieu, mais le palais du roi, celui-ci s'attribuant alors des prérogatives divines. De plus, le triomphe des Akkadiens leur permet d'imposer leur propre langue qu'ils avaient conservée, malgré leur assimilation à la culture sumérienne. Toutefois, ils utilisent, pour écrire, les caractères cunéiformes précédents. Dans cet empire, une immense activité littéraire se développe, dont il reste de nombreux témoignages, particulièrement dans le domaine religieux. Les Akkadiens adoptent le panthéon sumérien, en lui ajoutant leurs propres dieux : on reconnaît principalement leur influence dans le culte rendu à la lune, au soleil, à la foudre... Ils n'apportent pas une civilisation vraiment nouvelle et originale : aucun changement n'est vraiment notoire. Les Sémites s'étaient mis à l'école des Sumériens pendant de nombreux siècles, les civilisations avaient fini par devenir semblables. Mais les successeurs du petit-fils de Sargon vont laisser l'empire sombrer dans l'anarchie et l'émiettement.

Au moment de la chute de Sumer, se trouvait dans ma place une famille de nomades araméens. Son premier point d'attache avait vraisemblablement été Harran, et c'est vers cette dernière ville que ce clan repartit, à la suite de Terah, son chef, le père d'Abram. Si Terah, comme la plupart des hommes de son temps, était polythéiste, il n'en est pas de même pour son fils, qui brisa avec l'idolâtrie et se mit au service d'un dieu unique, qu'il considérait comme le créateur du ciel et de la terre. A la différence des Sumériens et des Akkadiens, qui avaient aussi certaines tendances monolâtriques, le dieu d'Abram n'est pas une divinité locale ou un dieu qui aurait une supériorité sur les autres divinités des différentes cités : il est le seul et unique Dieu, en dehors de lui, il n'en est point d'autre. Ce n'est pas une divinité de la nature, comme Shemesh, dieu du soleil à Babylone, ou comme Sin, dieu lunaire d'Ur et d'Harran. Le Dieu d'Abram est personnel, il a des relations d'intimité avec son fidèle, à qui il donne un nom nouveau : Abraham.

Abram avait quatre-vingt-dix-neuf ans quand le Seigneur lui apparut et lui dit : C'est moi le Dieu puissant. Marche en ma présence et sois intègre. Je veux te faire don de mon alliance entre toi et moi, Je te ferai proliférer à l'extrême. Abram tomba la face contre terre. Dieu parla avec lui et dit : Pour moi, voici mon alliance avec toi, tu deviendras le père d'une multitude de nations. On ne t'appellera plus du nom d'Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te donnerai de devenir le père d'une multitude de nations et je te rendrai fécond à l'extrême, je ferai que tu donnes naissance à des nations et des rois sortiront de toi.         Gen. 17, 1-6

Abraham s'arracha du milieu païen d'Harran et reprit la migration entreprise par son père : il partit vers Canaan et traversa le Jourdain. C'est là qu'il reçut, ainsi que sa famille, le nom d'Hébreux, car il venait de l'autre côté du fleuve, selon une étymologie populaire. Mais il est également possible de faire dériver ce terme de la tribu nomade des Habiru, qui apparut en Asie occidentale dans le courant du deuxième millénaire. Après un court séjour en Égypte, Abraham s'installa à Hébron, dans la plaine de Mambré. Dieu fit alliance avec lui, avec, comme signe inscrit dans la chair, la circoncision des mâles. Abraham eut deux fils : l'un de sa servante Agar, Ismaël qui est considéré comme le père des musulmans, l'autre de sa femme Sara, Isaac qui poursuivit l'oeuvre de son père. Après Isaac, Jacob son fils hérita de la promesse faite au patriarche Abraham. Après avoir lutté contre un ange durant toute une nuit, Jacob reçut un nouveau nom, celui d'Israël, dont l'étymologie signifie : " il a été fort contre Dieu ". Ce nom d'Israël devait remplacer progressivement celui d'Hébreux, par lequel était désignée la descendance du patriarche Abraham.

L'installation dans la Terre Promise

Jacob eut douze fils qui furent les ancêtres des douze tribus d'Israël. Un des plus jeunes, Joseph, fut vendu par ses frères à des marchands d'esclaves qui l'emmenèrent en Égypte. Profitant de circonstances favorables, Joseph accéda à la position de vice-roi de l’Égypte. C'est là que sa famille, chassée d'Hébron par une famine, vint le retrouver. Elle devint un peuple nombreux et puissant Jusqu'au moment où la politique égyptienne changea et où Israël fut réduit en esclavage. C'est toute cette histoire des origines du peuple qui constitue l'antique profession de foi, telle qu'elle est rapportée au livre du Deutéronome : 

Mon père était un araméen errant. Il est descendu en Égypte, où il a vécu en émigré avec le petit nombre de gens qui l'accompagnaient. Là, il est devenu une nation grande, puissante et nombreuse. Mais les Égyptiens nous ont maltraités, ils nous ont mis dans la pauvreté, ils nous ont imposé une dure servitude. Alors, nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères, et le Seigneur a entendu notre voix ; il a vu que nous étions pauvres, malheureux, opprimés. Le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte par sa main forte et son bras étendu, par une grande terreur des signes et des prodiges ; il nous a fait arriver en ce lieu, et il nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel.        Dt. 26, 5-9

Au moment critique de son histoire, le peuple qui s'était plus ou moins détourné du Dieu de ses pères, pour ne plus se soucier que de sa propre croissance et de son pouvoir, se retourne vers son Dieu, vers le Dieu de ses pères, qui va le sauver de l'oppression et de la servitude d’Égypte. Le libérateur national fut Moïse, fils adoptif d'une princesse égyptienne, mais fils d'une femme des Hébreux qui, pour le sauver de la condamnation de mort qui pesait sur chaque enfant mâle naissant parmi les Hébreux, décida de l'exposer sur le fleuve, dans une corbeille de roseaux, espérant qu'il obtiendrait la faveur de la princesse égyptienne qui venait se baigner régulièrement à cet endroit. Moïse n'oublia Jamais ses origines, malgré son éducation à la cour du pharaon, et il prit le parti des siens contre leurs maîtres. Contraint à l'exil pour avoir assassiné un contremaître égyptien, Moise se réfugia au pays de Madian. Et, un jour qu'il faisait paître le troupeau de son beau-père dans le désert du Sinaï, Dieu se révéla à lui sous le nom de YHWH, en s'identifiant au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Il lui ordonna de retourner en Égypte pour libérer le peuple de sa servitude et le conduire en Terre Promise, le pays de Canaan.

Ayant fait sortir Israël du pays d’Égypte, Moïse le conduisit vers le Sinaï, où il lui donna une constitution législative, une Loi, la Torah. Celle-ci est un enseignement qui concerne toute la vie du peuple, tant dans sa religion que dans sa politique, tant dans la vie collective que dans l'existence individuelle. Elle vise à faire d'Israël un peuple saint, c'est-à-dire un peuple consacré à Dieu et donc séparé des autres, qui étaient vouées à l'idolâtrie et à des pratiques dégradantes, comme les sacrifices humains.

Pourtant, après l'épisode du Sinaï, le peuple n'était pas encore prêt à entrer dans le pays que Dieu avait promis de donner, car ce peuple était encore empreint d'une mentalité d'esclave. Et, d'autre part, le pays n'était pas prêt à recevoir des hommes libérés : Canaan était encore sous l'influence de l’Égypte. Aussi Israël vécut-il longuement dans le désert, le temps qu'il fallut à la génération sortie d’Égypte pour disparaître. C'était un peuple nouveau qui pouvait entrer dans ce pays, sous la conduite de Josué, le successeur de Moïse. Josué répartit les tribus d'Israël sur toute l'étendue du territoire occupé et il organisa la vie politique et religieuse du peuple en une confédération de tribus. Mais, à la mort de Josué, les tribus se divisèrent et l'influence des dieux étrangers se fit sentir. Des chefs, appelés Juges, essayèrent de redresser la situation, ramenant le peuple du culte de YHWH. Samuel, le dernier Juge, avait ainsi solidement établi ce culte à Siloé, abolissant pour un moment le culte de Baal dans le Nord du pays.

Mais le peuple en vint à réclamer un roi, à l'image des rois voisins, c'est-à-dire un homme qui aurait droit de vie et de mort sur ses sujets. Après avoir longuement hésité, Samuel proposa une constitution démocratique, la première de l'histoire, et un roi Saül. Mais celui-ci ne répondit pas aux espoirs placés en lui. Son successeur, David, inaugura une période de prospérité pour Israël, avec la prise de Jérusalem, dont il fit sa capitale, sur les pentes du mont Sion. Salomon, son fils, continua son oeuvre l il centralisa la vie politique et religieuse autour du Temple de Jérusalem dont il commença l'édification pour remplacer tous les sanctuaires du pays. Pourtant, les mariages de Salomon avec des princesses étrangères, commandés par la raison d'État, le conduisirent à permettre le rétablissement des sanctuaires païens qui contaminèrent la pureté du culte rendu au Dieu unique.

Décadence et exil

A la fin du règne de Salomon, YHWH était devenu un simple dieu national et non plus le Dieu unique : l'unité des douze tribus s'en ressentit. Et une rébellion des tribus du Nord, après la mort de Salomon (932), entraîna la division en deux royaumes, celui d'Israël au Nord, regroupant dix tribus dirigées par Jéroboam, et celui de Juda au Sud, avec deux tribus fidèles à la dynastie davidique et dirigées par Roboam, fils de Salomon. Ce schisme politique a des répercussions religieuses. Jéroboam institue des sanctuaires à Dan et à Béthel, en y faisant élever des veaux d'or, qu'il considère non pas comme des idoles, mais comme des images du Dieu unique C'était une façon de se concilier les masses peu éclairées d'origine cananéenne. Seulement, ce royaume sera toujours d'une grande instabilité politique, alors que le royaume de Juda maintiendra la dynastie de David, même si des conflits avec les puissances voisines finissent peu à peu par ruiner son prestige. C'est dans ce cadre troublé que va s'inaugurer le mouvement prophétique. En Israël, Élie, brûlant d'un zèle jaloux pour YHWH, entreprit de lutter contre la dynastie de Jéroboam et pour le retour au culte du Dieu unique, qui est juste pour toutes les nations. La prédication des prophètes, ainsi commencée, devait se continuer sans trêve mais elle ne fut guère entendue. Et l'infidélité à YHWH fut présentée comme la cause de la ruine fatale du royaume : assujetti à l'Assyrie, Israël, sous l'impulsion égyptienne, se révolta. La riposte ne se fait pas attendre : la capitale, Samarie, tombe aux mains de Sargon II (721). Celui-ci déporte la population et la remplace par des colons étrangers qui, mêlés aux derniers restes d'Israël, formèrent un peuple semi-idolâtre, les Samaritains. Le royaume du Nord quittait la scène de l'histoire. Et le nom d'Israël cesse de s'appliquer à ce royaume pour désigner tous les descendants du patriarche, éparpillés dans le monde.

Dans le royaume de Juda, les premiers successeurs de Salomon consolidèrent la dynastie, en s'appuyant sur le respect dû à la Torah et sur le culte organisé dans le Temple. Il y eut certes des fluctuations religieuses, et au milieu du huitième siècle la décadence s'est accentuée. Cependant, la chute de Samarie inquiète les esprits ; aussi le roi Ezéchias entreprend-il une réforme religieuse, en centralisant une fois de plus toute la vie politique et religieuse autour du Temple. Malgré cela, la puissance assyrienne finit par amputer le royaume de Juda ; une apostasie presque générale fait oublier la Torah, et la fidélité à YHWH ne subsiste que dans des cercles restreints, où l'on conserve les traditions prophétiques. Profitant d'un déclin de l'Assyrie, un roi de Juda, Josias, entreprend une réforme, en s'appuyant sur la découverte du code d'alliance dans le Temple, en 622.

Un programme religieux inspire son règne : un seul Dieu, YHWH, une seule Loi, la Torah, un seul Temple, Jérusalem. Mais le pouvoir politique en Orient change de maître, Babylone prend la place de l'Assyrie ; Josias en profite pour tenter d'assurer l'indépendance nationale. Alors qu'il barrait la route aux troupes égyptiennes, il périt dans la bataille de Meggido, en 609. Sa mort remet en question son oeuvre : à quoi bon être fidèle à Dieu si cela ne sert à rien ? Nabuchodonosor, reprenant à son compte les ambitions de l'Assyrie, investit Jérusalem une première fois en 598, il déporte le roi, l'aristocratie et le clergé. Une révolte, fomentée par les partisans de l’Égypte, entraîne la mise à sac de Jérusalem : toute l'élite de la population est emmenée en exil en 586. Juda partageait le sort d'Israël : la captivité. Mais les déportés de Juda ne se mêlèrent pas à leurs vainqueurs. Sous l'influence du prophète Jérémie, ces déportés en Babylonie vont être amenés à purifier leurs conceptions religieuses. Le châtiment imposé par Dieu à son peuple commence à faire réfléchir : les menaces des prophètes se sont réalisées, il est temps d'écouter leur voix et de se convertir. Grâce à ce travail intérieur, un peuple nouveau prend naissance : les Juifs qui, partout où ils s'installeront, seront porteurs d'un message nouveau, le judaïsme.

Les exilés reviennent au pays

La Perse ayant pris la relève de Babylone, la nation juive bénéficie de la clémence de Cyrus. En 538, il permet aux exilés de rentrer à Jérusalem. Peu de juifs profitent de cette faveur, préférant rester là où ils s'étaient créé des conditions de vie favorables plutôt que de rentrer dans un pays qu'ils ne connaissaient plus. Pourtant cinquante mille d'entre eux reviennent à Jérusalem, et, malgré quelques oppositions des occupants du pays, la reconstruction du Temple s'achève au printemps 515. Le second Temple n'a pas la splendeur du premier ; de plus, Jérusalem demeure une ville ouverte : les murailles ne sont pas reconstruites. En 458, Esdras revient à Jérusalem avec environ cinq mille personnes : il commence par interdire les mariages mixtes, afin de ne pas souiller la race sainte. C'est de cette époque que date, dans le judaïsme, le refus de tels mariages, bien qu'ils ne soient pas interdits par la Torah et même si une telle mesure n'est pas approuvée par tous. En 445, Néhémie revient à son tour, avec une escorte, afin de relever les murs de la capitale de Juda. C'est dans ce cadre de restauration nationale que le judaïsme s'organise de façon positive, autour dé la Loi. Certes, l'État de la Judée était un territoire politiquement insignifiant, mais son influence grandit rapidement : l'État théocratique allait donner une nouvelle direction à l'histoire Juive. Les pays dans lesquels les Juifs étaient dispersés, particulièrement en Babylonie et en Égypte, renouent avec la communauté de Jérusalem, dans le respect de la Torah et des traditions ancestrales. Des maîtres, docteurs de la Loi, se mettent à enseigner la Torah à tout le peuple ; ils codifient ainsi la vie sociale de toute la communauté Juive, tant dans le territoire de la Judée que dans le reste du monde. Pour cela, ils enseignent dans les synagogues et dans les écoles pour faire entrer la Loi dans le coeur et dans l'esprit de tout le peuple, afin d'en sanctifier toute l'existence.

Le judaïsme subit l'influence de la Grèce

La Judée cesse d'être sous la domination perse en 333, lorsque le conquérant Alexandre le Grand pénètre sans difficulté en Asie et occupe la Palestine. Les contacts avec l'hellénisme se multiplient dans ce petit pays aussi bien que dans la Dispersion (Diaspora) juive à travers le monde méditerranéen, si bien qu'en 280 la communauté juive d'Alexandrie jugea nécessaire de donner aux Juifs de langue grecque une traduction des Écritures. Ce fut la version de la Bible hébraïque, connue sous le nom de Bible des Septante, en souvenir des soixante-douze anciens qui travaillèrent à cette traduction. Destinée aux Juifs qui ne parlaient plus lu langue hébraïque, cette Bible servit à faire connaître le judaïsme au monde païen, ce qui lui amena beaucoup de sympathisants (prosélytes) dans toutes les classes sociales. Les successeurs d'Alexandre que ce soit les Séleucides de Syrie, ou que ce soit les Ptolémées d’Égypte, pratiquent la tolérance à l'égard de la Palestine. L'hellénisation du Judaïsme se fera sans heurt dans le sacerdoce et l'aristocratie, mais certains fervents se révoltèrent à la suite de Juda Maccabée, à partir de 167. Cela permettra au Judaïsme de se définir dans la distinction de l'hellénisme. Cette crise lui donnera l'occasion d'une purification et l'affermira dans sa vocation particulière à l'égard du monde d'alors.

La mise à sac de Jérusalem et le triomphe de Rome

Un siècle plus tard, profitant des troubles dans la succession des Asmonéens, descendants des Maccabées, Rome intervient. Pompée prend en mains les affaires de Judée. C'est à ces circonstances que Hérode le Grand doit sa fortune. En 39, il se rend à Rome pour se faire couronner roi des Juifs. Homme d'état, ce fut aussi un grand bâtisseur : il fait aménager le port de Césarée et se lance dans de grands travaux de construction, particulièrement la restauration du Temple. A sa mort, en l'an 4 avant notre ère, la succession est difficile : Rome intervient et partage son royaume entre ses fils. L'un d'eux qui s'était vu attribuer la province de Judée, Archélaüs, sera exilé par l'empereur en l'an 6, et la Judée sera dès lors gouvernée par des procurateurs romains.

L'agitation politique ne cessera pas, elle dégénère même en véritable révolte, qui conduit à une première guerre juive (66-73), marquée par la destruction du Temple en 70. ramenant à Rome ses trophées, dont un rouleau de la Torah et la menorah, le chandelier à sept branches du Temple, Titus était, malgré tout, hanté par la crainte d'une nouvelle insurrection. La guerre se ralluma sous Hadrien (132-135). La nation Juive fut écrasée, et Jérusalem, baptisée Aelia Capitolina, fut interdite aux Juifs. Au seul jour anniversaire de la destruction du Temple, ils furent autorisés à venir pleurer près du Mur occidental du Temple, encore resté debout : ce mur fut longtemps appelé " Mur des lamentations " ou " Mur des pleurs ".

Le Judaïsme devenait ainsi une religion en dehors d'une organisation politique : c'en était fait du royaume, de la cité plus ou moins théocratique. L'ère de la spiritualisation du judaïsme commençait, et pendant les siècles qui suivirent, Jusqu'à la création de l'État d'Israël, en 1948, le voeu pieux de tout Juif était de fêter la Pâque " l'an prochain à Jérusalem ". Devant désormais survivre en dehors de la Palestine, le Judaïsme s'appuiera sur les différents courants de la tradition demeurés vivants pendant le premier siècle.