Est-il légitime de croire ?

 

Peut-on enseigner la catéchèse ?

A la Sorbonne ou au Collège de France, il est de tradition de commencer l’année par ce que l’on appelle une leçon inaugurale. Il ne s’agit pas, à proprement parler d’une introduc­tion au programme des cours qui seront donnés dans l’année, mais plutôt d’une réflexion per­son­nelle d’un enseignant sur un thème général qui peut donner une orien­tation à la réflexion des étudiants pendant l’ensemble de l’année.

On m’a donc demandé de présenter dans une sorte de leçon inaugurale sur la signifi­cation de la réflexion chrétienne en terminale. Il s’agirait de présenter ce que peut vouloir dire l’expression « faire de la catéchèse », tout en essayant d’articuler le « croire » et le « savoir ». C’est une aventure aussi bien pour moi que pour vous. Celui ou celle qui accepte de « faire de la catéchèse » n’enseigne pas seulement « ex cathedra » », c’est-à-dire du haut de sa sagesse, du haut de son savoir. Il lui faut être en harmonie complète, aussi bien intellectuelle que spi­rituelle avec ce qu’il énonce.

Alors il est possible de débuter en soulevant ce qui pourrait paraître comme l’objet d’une véritable polémique : que peut signifier l’expression « j’enseigne la catéchèse » ? Pour cela, il faut se poser les questions de vocabulaire et de grammaire les plus élémentaires…

            Catéchèse

Ce terme implique la détermination du champ d’investigation et de recherche. Il pré­suppose qu’il y a une catéchèse, même si ce terme est souvent mal défini. En effet, selon l’étymologie grecque, ce serait littéralement un enseignement qui se fait de haut en bas, de celui qui possède un savoir et qui doit le communiquer aux autres, un en­seignement du maître à son disciple, alors que la plupart du temps, ceux qui se présentent comme caté­chistes ou ca­téchètes (les deux ter­mes sont équivalents) souhaitent plutôt faire remonter le sa­voir de bas en haut, de sorte que l’enseigné aurait déjà en lui toutes les notions, et qu’il suffi­rait de les lui faire remonter à l’intelligence, dans ce que So­crate, vous le découvrirez sans doute cette an­née, appelait la « maïeu­tique », c’est-à-dire pour faire bref, l’accouchement des esprits.

Chacun se fait une représentation de ce que peut être l’objet de cette « ma­tière », si bien que la question de ce type d’activité ne se pose que parce que nous avons déjà des répon­ses, ou du moins que nous les présupposons. C’est à partir de l’idée que nous nous faisons de la réponse que nous posons la question : les questions n’existent que parce que les réponses existent. Et si les questions peuvent chan­ger, c’est aussi parce que les réponses ont aussi changé.

            La

En insistant sur le « la » de la catéchèse, on ne parle plus sim­plement de réponses, mais de la réponse. On présuppose qu’il y a déjà une catéchèse, qui existe en une sorte de dis­cours unique parfaitement constitué. Mais, en fait, il y a des catéchèses différentes. Si la caté­chèse était achevée, en droit, elle serait terminée. Elle serait alors fa­cilement spéculaire, ob­sessionnelle, tournant sur elle-même, n’ayant pas d’instance critique. La catéchèse deviendrait alors très « cléri­cale », elle appartiendrait à ceux qui connaissent, à ceux qui savent, elle serait totalitaire, elle assignerait sa place à ce qui n’est pas elle, en rejetant ou en intégrant tel ou tel type de doctrines, de connaissances.

            Enseigne

Si la catéchèse est un corps de doctrines, elle ne devrait tendre qu’à être connue. Pour se faire connaître, elle a besoin de médiateurs. On aboutit à une transmission d’idées. Où et quand rencontre-t-on l’objet à propos duquel on acquiert des connaissances ? Ce ne peut être dans la catéchèse elle-même, ce ne peut être que dans la foi. Si la catéchèse est une af­faire de foi, il faut se poser la question de savoir si la foi s’enseigne.

            J’

On peut être professeur de théologie sans être croyant. Il n’y a pas besoin de profes­seur de théologie, il suffit de lire et de répéter... Il en va de même pour la matière catéchéti­que. Si l’on considère la caté­chèse comme une matière d’enseignement, cela ne peut se tra­duire que dans le fait de répéter des connaissances acquises et répétées. Il faut ac­cepter de s’interroger, de se laisser mettre en question au point même d’accepter de perdre tout de son « ego » : le « je » fait place au « j’ » signe que celui qui énonce les connaissances est appelé à dispa­raître derrière les doctrines qu’il professe.

Au terme de cette entrée en matière polémique, il convient de dire qu’il n’est plus possible d’affirmer « j’enseigne la catéchèse », puisque celle-ci ne saurait être une matière d’enseignement, comme peut l’être la « culture religieuse ». La catéchèse ne peut être qu’une proposition faite de quelque chose que nous ne possédons pas, mais qui nous possède réelle­ment et totalement : la foi en Jésus-Christ.

Alors peut se poser la question de la distinction entre « croire » et « savoir ». En fait, il n'y a pas opposition entre ces notions mais plutôt une conjugaison. Le « croire » repose plus sur la notion de confiance, peut-être même d'abandon à quelque chose (comme le « sa­voir ») qui nous dépasse. En cela le passage au « croire », à la foi, est intimement lié à une expérience de fidélité, d'espérance et d'amour. Jamais l’enseignement catéchétique ne pourra donner la foi ! Le « sa­voir » n'est cependant pas exclu mais il n'est pas essentiel parce que le « croire » apparaît comme la lumière intérieure qui peut guider les cœurs et les esprits.

L’objectif premier est d’annoncer Jésus-Christ : « Malheur à moi si je n’annonce pas Jésus-Christ » (1 Co. 9, 16). Là aussi, il fau­drait analyser chaque terme de la proposition « j’annonce Jésus-Christ » : il n’y a qu’un seul Jésus qui a été fait « Seigneur et Christ » (Ac. 2, 36) par la puissance de Dieu, lors de la résurrection, il n’y a pas un enseignement, mais simplement une proclamation à la manière du Baptiste qui s’efface aussi totalement devant « celui qui doit ve­nir » (Mt. 11, 3)…

La catéchèse ne saurait donc être une sorte de programmation de l'enseignement de Jésus. Elle est d'abord écoute de la Parole et mise en oeuvre de cette Parole au cours de l'existence humaine. Il s'ensuit que la catéchèse n'est rien, si le catéchiste ne communique pas, à tra­vers elle, sa foi personnelle et vivante.

La leçon reçue par Paul chez les Athéniens

Quand on m’a fait la demande de présenter cette année, les ré­sultats du Bac 2002 tombaient, avec les succès impressionnants que tous ceux qui fréquentent l’Institution libre de Marcq connaissent. Et, sur le moment, je ne savais plus trop bien comment parler devant des lycéens aussi intelligents qui font évoluer chaque année les statistiques vers des sommets de plus en plus hauts. Il y avait de quoi être inquiet, et je me suis alors souvenu d’un passage des Actes des apôtres, dans lequel saint Paul se retrouve dans une situation comparable à la mienne aujourd’hui.

Paul... s'entretenait à la synagogue avec des Juifs et ceux qui adoraient Dieu, et sur l'agora, avec les passants. Il y avait même des philosophes épicuriens et stoïciens qui l'abordaient. Les uns disaient : "Que peut bien dire ce perroquet ?" D'autres : "On di­rait un prêcheur de divinités étrangères", parce qu'il annonçait Jé­sus et la résurrec­tion. Ils le menèrent devant l'Aréopage en di­sant : "Pourrions-nous sa­voir quelle est cette nouvelle doctrine que tu enseignes ? Car ce sont d'étranges propos que tu nous fais entendre. Nous voudrions donc savoir ce que cela veut dire." Tous les Athéniens… n'avaient d'autre passe-temps que de dire ou écouter les dernières nou­veautés. Debout au milieu de l'Aréopage, Paul dit alors : "Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considé­rant vos monu­ments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel avec l'inscription : au dieu in­connu. Eh bien ! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer. "Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve, lui, le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples faits de main d'homme. Il n'est pas non plus servi par des mains hu­maines, comme s'il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous vie, souffle et tou­tes choses. Si d'un principe unique il a fait tout le genre humain pour qu'il habite sur toute la face de la terre ; s'il a fixé des temps déterminés et les li­mites de l'habitat des hommes, c'était afin qu'ils cherchent la divinité pour l'atteindre, si possible, comme à tâtons et la trouver ; aussi bien n'est-elle pas loin de chacun de nous. C'est en elle en effet que nous avons la vie, le mouvement et l'être. Ainsi d'ailleurs l'ont dit certains des vôtres : Car nous sommes aussi de sa race. "Que si nous sommes de la race de Dieu, nous ne devons pas penser que la divinité soit semblable à de l'or, de l'ar­gent ou de la pierre, travaillés par l'art et le génie de l'homme. "Or voici que, fermant les yeux sur les temps de l'ignorance, Dieu fait maintenant savoir aux hommes d'avoir tous et partout à se repentir, parce qu'il a fixé un jour pour juger l'uni­vers avec justice, par un homme qu'il y a destiné, offrant à tous une garantie en le ressuscitant des morts." A ces mots de résur­rection des morts, les uns se moquaient, les autres disaient : "Nous t'entendrons là-dessus une autre fois." C'est ainsi que Paul se retira du milieu d'eux.

Les intellectuels réunis sur la place publique n’ont pas l’air d’apprécier le compli­ment que vient de leur adresser l’apôtre Paul : Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes.  Ces sages ne méprisent pas réellement la religion, ils la consi­dèrent comme un cérémonial socialement nécessaire ; mais, stoï­ciens ou épicuriens, ils ne comptent pas trop sur les dieux, menés eux-mêmes par le Destin. Aussi ont-ils trouvé bien ar­rogant cet étranger qui prétend leur apporter une révélation : ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer.

Ces Athéniens vénéraient des divinités païennes, tout en recon­naissant, comme beaucoup de ceux que nous appelons les polythéis­tes, tout en reconnaissant donc l’existence d’une puissance supérieure. Quelques philosophes (des épicuriens et des stoïciens) sont ame­nés à débattre avec Paul, qui annonçait une divinité qui leur était étrangère, même s’ils la vé­néraient sans la connaître, puisque parmi les monu­ments de la ville, l’apôtre avait découvert un autel portant cette ins­cription : A un dieu inconnu. Aussi Paul s’empresse-t-il de leur faire découvrir ce Dieu qui a créé l’univers, qui est le Seigneur du ciel et de la terre, et qui n’habite pas dans des temples bâtis de mains d’hommes.

Mais manifestement Paul s’est trompé. En ce haut lieu de l’intelligence, impres­sionné par les souvenirs glorieux de cette ville, il a voulu présenter à ces philosophes nourris de raisonnements, un dieu à leur manière. Comment Paul aurait-il pu intéresser les philoso­phes d’Athènes avec son beau discours savamment étayé de citations choi­sies ? Lui-même, sans doute, n’y croyait guère. En tout cas, il a com­pris la leçon : le dieu inconnu ne se prête pas à l’exégèse, la résurrec­tion n’est pas un sujet de dissertation, la folie de la croix n’a pas d’autre raison que l’amour.

Sa prédication, s’appuyant sur la culture grecque, va se solder par un échec, puisqu’il n’annonce pas directement le message, mais passe par des subterfuges. Etait-ce sim­ple artifice de rhétorique, ou bien a-t-il cru un instant que le dieu de Jésus-Christ pouvait s’accorder au concept grec de qeoV, « le moteur immobile qui meut le monde » selon Aristote, « le Bien absolu » de Platon ? En tout cas, les univer­sitaires de l’Aréopage n’ont pas apprécié ce détournement de fond culturel.

Dès que la réalité du vrai Dieu est mise en retrait au profit de thèses purement spé­culatives, on constate que la prédication se solde irrémédiablement par un échec. Ce que Paul finissait par annoncer de­vant les Athéniens n’était pas le vrai Dieu, mais le dieu des philoso­phies et des mythologies.

Paul tirera rapidement les conclusions de cet échec au point d’écrire : Prenez garde qu'il ne se trouve quelqu'un pour vous réduire en esclavage par le vain leurre de la "philoso­phie", selon une tradi­tion toute humaine, selon les éléments du monde, et non selon le Christ (Col. 2, 8). Et encore, quand il se présente aux Corinthiens : Pour moi, quand je suis venu chez vous, frères, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige de la parole ou de la sagesse. Non, je n'ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jé­sus Christ crucifié. Moi-même, je me suis présenté à vous faible, craintif et tout tremblant, et ma parole et mon message n'avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c'était une dé­monstration d'Esprit et de puissance, pour que votre foi reposât, non sur la sa­gesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu (1 Co. 2, 1-5).

Dans la ville d’Athènes, une occasion a été manquée, celle de la rencontre entre les deux traditions : philosophie et spiritualité. Paul est renvoyé au fond de sa synagogue, à ses débats sans fin avec les juifs. Et il n’y aura pas d’Église à Athènes. Les grecs continue­ront à ressasser les gloires de la philosophie et à sombrer dans la recherche des mystères de la vie.

Le moment n’était pas encore venu pour cette rencontre. Heu­reusement car la pensée chrétienne n’en était encore qu’à ses balbu­tiements et la pensée grecque devenait déliques­cente. Un succès de Paul ce jour-là aurait pu conduire le christianisme naissant sur de fausses pistes intellectuelles. De l’échec de Paul naîtra plus tard la synthèse des penseurs chrétiens du Moyen-âge qui permettra que la raison et la foi ne soient plus des ennemies mais au contraire devien­nent compatibles l’une avec l’autre.

C’est riche de l’expérience de Paul que je me propose de vous parler au­jourd’hui, avec le secret espoir de pouvoir dire que la foi n’est pas incompatible avec le sa­voir.

Qu’est-ce que croire ?

Il y a des couples de mots qu'on voudrait séparer. Raison et foi sont de ceux là. Il faut cependant tenter de les réconcilier. La foi ne donne pas « le droit de dire tout ce que l'on veut, sans avoir à prouver quoi que ce soit ». Mais la foi nous conduit sur d’autres chemins que la raison. La foi n'est pas rupture d'avec la raison. Il est raisonnable de croire.

Pour l’homme religieux, la foi est un saut dans l’irrationnel : je crois parce que c’est absurde. Pascal ne voyait d’entrée en religion que par une humiliation de la raison : « c’est le cœur qui sent Dieu et non la raison ». « Abêtissez-vous, faites dire des messes », vous n’aurez pas la foi, car la foi est une grâce de Dieu, mais du moins serez-vous meilleur en tant qu’homme parce que vous serez chrétien. Et Kant écrira dans la Critique de la raison pure : « j’ai du abolir le savoir pour lui substituer la croyance ».

Mais faut-il annihiler la raison pour justifier la démarche de la religion ? Nier la rai­son, c’est justifier aussi le fanatisme, ce qui est socialement impossible. Personne ne peut ac­cepter de remettre son es­prit à l’arbitraire. Il faut bien que l’intelligence ait part à l’acte de la foi et que la religion garde un sens aux yeux de la raison.

Au départ, la foi n’est pas simplement une manifestation reli­gieuse. Qui que nous soyons, nous posons à chaque jour des actes de foi. Quand ? Toutes les fois où nous écoutons les nouvelles à la télévi­sion, où nous lisons les journaux, où nous écoutons un professeur, etc. La foi est le simple fait d’admettre ce qu’on dit sans trop se poser de questions.

Le fameux : « Je ne crois que ce que je vois » est faux et contradictoire. Je constate que je suis debout ou assis, qu'il est telle heure, qu'il pleut ou qu'il fait soleil, que ma voisine a le  sourire, que la température de la pièce est élevée... ce sont là des faits qui s'impo­sent à mes sens, et par conséquent je ne les « crois » pas, précisément parce que je les « vois ».

Mais au-delà des certitudes de ce genre, croyants et incroyants ne cessent d'engager leur vie et leur liberté sur beaucoup plus qu'ils ne pensent. On « croit » à la science, au jour­nal, à l'argent, à la météo, à son médecin, bien au-delà de ce qu'on en connaît.

Aussi, les incroyants sont plus croyants qu'ils ne pensent, puis­que n’ayant aucune certitude précise. Et de leur côté, les croyants sont plus incroyants qu'ils ne veulent se l'avouer, car, pour demeurer croyants, ils doivent vaincre le doute.

Dans un sens ou dans un autre, nous croyons tous en « quelque chose », soit que nous tenions pour certaine une réalité que nous n’avons pas expérimentée, soit que nous pla­cions notre confiance dans un être que nous aimons ou dans nos propres capacités... Croire fait partie de notre bagage mental pour appréhender la vie, de même que douter occupe éga­lement une place non négligeable dans notre désir de saisir le monde et ce qu’il contient.

Mais, au fait, qu’est-ce que croire ? C’est adhérer à une idée pour agir, donner du sens à sa vie et s’identifier en une image valori­sante de soi dans son rapport au monde et aux autres. Croire n’est donc pas savoir, quels rapports entre ces deux notions qu’il ne faut pas confondre ?

Croire et savoir

Croire, c’est par exemple admettre une idée sans raison ou sans preuves suffisantes. On peut appeler cette forme de connaissance : conviction subjective. En revanche, savoir, c’est admettre une idée prouvée objectivement de manière suffisante, et on parle alors de connaissance objective. Mais quels sont les rapports possibles et donc sensés entre les deux concepts ? Il est possible de faire toute une no­menclature des rapports entre croire et savoir, non pas en jouant sur les mots, mais en les opposant, positivement et négativement. J’ai es­sayé d’être exhaustif dans la liste que je vous propose en faisant jouer les déclarations.

1) Croire que l'on croit.

C’est admettre une idée (par exemple celle de l'existence de Dieu) sans en être as­suré, sans avoir la foi (celle-ci peut être perçue comme une certitude subjective absolue) et sans savoir objectivement ce que vaut cette croyance.

2) Croire que l'on ne croit pas.

C’est alors refuser d’admettre une idée sans être assuré que l'on a raison de la refu­ser.

3) Croire que l'on sait.

Là, il s’agit d’admettre une idée comme vraie sans preuve ob­jective. Et cela entraîne la plus parfaite illusion. Vous avez déjà cer­tainement ce type de croyance, dans telle ou telle interrogation de l’enseignement ordinaire.

4) Croire que l'on ne sait pas.

C’est reconnaître que l'on ne sait pas. Il est toujours possible de douter sans raison claire et absolue, et c’est alors le doute subi. Mais c’est aussi parfois estimer qu'il est impossi­ble de savoir, ce qui en­traîne le scepticisme.

5) Savoir que l'on sait.

C’est alors détenir des preuves objectives pour justifier notre savoir.

6) Savoir que l'on ne sait pas.

C’est à nouveau douter, mais ici douter pour mieux savoir, c’est alors un doute vo­lontaire et positif, tel que le propose le philoso­phe français Descartes : pour bien inaugurer une réflexion, il s’agit de mettre en doute tout ce que l’on pense savoir, mais il est une chose dont on ne peut pas douter, c’est le fait même du doute, et c’est par là que commence la pen­sée. D’autre part, savoir que l’on ne sait pas peut consister dans le fait de reconnaître que le savoir est objectivement impossible.

7) Savoir que l'on croit.

C’est reconnaître qu'objectivement notre croyance n'est pas prouvée mais que nous en avons subjectivement besoin.

8) Savoir que l'on ne croit pas.

C’est ne pas admettre une idée pour de bonne(s) raison(s).

9) Ne pas croire que l'on sait.

C’est refuser une idée que l'on sait être démontrée et on tombe en plein délire.

10) Ne pas croire que l'on ne sait pas.

Cela revient à la même chose que croire que l'on sait, ou bien  confondre croire et savoir, ce qui est synonyme d’illusion.

11) Ne pas savoir que l'on sait

Cela est absurde, parce que contradictoire.

12) Ne pas savoir que l'on ne sait pas.

Cela revient pratiquement à croire que l'on sait, et c’est à nou­veau l’illusion. Comme l'écrivait Valéry : « Ce que l'ignorant ignore le plus, c'est son ignorance même, puisqu'il n'en a même pas l'idée ».

Pour récapituler brièvement : il est légitime de croire, on a toujours le droit de croire, à condition d’éviter de tomber dans l'illu­sion de croire que l'on sait. Il faut toujours savoir que l'on croit. D’autre part, il vaut toujours mieux savoir que l'on ne sait pas, que croire que l'on sait. Cela vaut naturellement pour toutes les croyances et les savoirs que l’on peut ren­contrer dans l’existence humaine. Mais peut-on appliquer ces formulations à la foi religieuse ?

Croire en Dieu

Croire en Dieu, c’est une autre histoire. En effet, nous pouvons croire en Dieu dans le sens où nous estimons son existence probable ou certaine. De cette manière, on en reste au simple niveau intellectuel et l’existence de Dieu peut faire l’objet d’un débat spéculatif. Nous pouvons aussi avoir confiance en Dieu comme en un être suprême qui donne la vie et main­tient tout dans l’existence : croire en un tel Dieu est chose facile et n’engage guère : si l’existence de Dieu fait partie des probabilités qu’un esprit moderne peut admettre, croire à l’existence des extraterrestres est tout aussi honorable.

Mais croire ne s’arrête pas là. Dans l’affirmation « croire en Dieu », ce n’est pas Dieu qui pose problème tant il a su se faire dis­cret, mais c’est ce que l’homme a fait souvent du « croire », dans sa volonté de dominer les autres d’une manière ou d’une autre, en revê­tant la foi d’un ensemble de doctrines et d’interdits, de rites ou de cé­lébrations qui servent à convaincre les croyants de la valeur de leur religion. « Croire » est devenu « croire en quelque chose », et particu­lièrement tout ce qui a été affirmé ou proposé par les générations pré­cé­dentes : il faut regarder Dieu comme on l’a toujours fait, et de cette manière « croire » impli­que une idée de soumission et d’abdication.

Mais il ne s’agit toujours pas de la véritable foi, telle que peut la concevoir le chris­tianisme, le judaïsme et l’islam, les trois grandes religions révélées. Dans ce cas, il s’agit de « croire en quelqu’un », et non plus simplement de « croire en quelque chose ». Croire en quelqu’un, c’est s’unir à lui, c’est vivre avec lui, c’est agir ensemble... C’est faire de Dieu son compagnon de route. Cela ne veut pourtant pas dire que le croyant s’installe dans une position confortable, aucune as­surance absolue ne peut être donnée à son intelligence. La foi n’abolit pas le doute et elle ne rend pas l’existence plus facile.

Le croyant doit entrer dans la logique et dans la sagesse de Dieu. Pour cela, il lui faut abandonner tout, pas seulement sa richesse matérielle, mais aussi et surtout sa logique, sa manière de voir et de juger les choses, son sens commun. Cela est très difficile et parfois ef­frayant, parce qu’il doit tout abandonner - y compris lui-même ! -. Tant qu’il ne se sera pas abandonné, il ne sera pas capable d’entrer dans la logique de Dieu qui, de prime abord, sem­ble une folie.

Et cela est particulièrement perceptible dans le christianisme : Jésus n’enseigne pas aux hommes un comportement extérieur qu’il devrait adopter - à la manière par exemple des philosophes stoïciens -, mais il révèle le mystère de l’adéquation de l’homme à Dieu, par le dévoilement de sa propre personne. Il a toujours cherché à proposer sans jamais vouloir impo­ser. Jésus n’a dispensé ni méthode, ni support extérieur, il a simplement éveillé le désir spiri­tuel de ceux qui venaient le rencontrer. « Il ne faut pas jeter des perles aux pourceaux » ; il ne faut pas conduire à la source celui qui n’a pas soif. C’était déjà la pé­dagogie de Dieu quand il conduisait les Hébreux dans le désert après la sortie d’Egypte : il veillait à susciter la soif de son peuple.

Dans ce que l’on pourrait appeler l’enseignement de la foi, chaque chose doit arriver en son temps et il n’est jamais bon d’aller plus vite que la musique. A vouloir aller trop vite, à brûler les étapes, on manifeste une forme d’impatience qui semble indiquer que l’on est pressé de répandre, et même d’imposer ses idées personnelles. Et alors on est facilement tenté de se limiter à faire de la propagande. Celui qui agit de cette manière voudrait changer l’autre afin qu’il soit comme lui. Il entre chez les autres par leur propre porte, mais c’est pour les faire sortir par la sienne. C’est ce qui s’est malheureusement produit lors des campagnes de colonisation : de prétendus évangélisateurs ont voulu contraindre les peuples conquis en leur imposant de l’extérieur une religion à laquelle ils ne pouvaient adhérer immédiatement en rai­son de leur passé culturel. Il n’est pas possible de convertir par la force. Cependant, il reste toujours nécessaire de faire la proposition de la foi, pour indiquer le chemin de la foi, pour ouvrir la porte étroite, même à des jeunes qui remettent tout en question, qui se révoltent, où envoient promener toute forme d’autorité. C’est une exigence pour tout croyant : il lui est im­possible de ne pas partager ce qui lui semble le trésor qui peut rendre l’homme plus humain. C’est la raison pour laquelle l’établissement nommé « Institution libre de Marcq » a fait ce choix depuis ses origines. Et c’est un choix qu’il n’est pas possible de justifier ou de contes­ter. Par ce choix, la dynamique de l’Institution est marquée d’une spécificité qu’il ne serait pas possible de rayer sous peine de perdre l’identité propre au Collège.

Face à cette proposition de la foi, deux attitudes possibles se révèlent des pièges : la totale incrédulité et la parfaite crédulité. Face aux incrédules, il vaut mieux ne pas parler de ce qui les dérange, à moins qu’ils ne posent eux-mêmes la question. Mais il ne saurait être ques­tion de se taire. D’un autre côté, croyant ne veut pas dire crédule. Quelqu’un de crédule est prêt à tout avaler, à accepter n’importe quoi pourvu que celui qui parle ait un peu d’autorité, un peu de savoir… Je dirais volontiers qu’il « ne faut surtout pas croire n’importe quoi même si c’est moi qui vous le dis ». Cette parole, je vous demande pourtant de l’accepter et de la prendre pour argent comptant : ne soyez pas crédules ! Accepter de se remettre en question, accepter de remet­tre l’autre en question, même s’il peut présenter l’autorité du savoir, ce n’est pas être sceptique, mais c’est devenir vraiment homme, et de plus en plus adulte dans sa foi, en affirmant sa manière personnelle d’exister, de se manifester, de se développer, de se réali­ser pleine­ment.

Pourtant, il est vrai que le croyant véritable ne peut pas vrai­ment accepter une autre révélation que la sienne, ce serait remettre sa foi en cause. C’est une position soutenue fré­quemment par ceux qui se présentent comme les plus religieux des hommes. De fait, et pres­que par nature, le croyant est intolérant. Enfin, il faudrait peut-être nuancer en soulignant que la tolérance est une valeur de la raison, non de la religion. Par exemple, quand le pape Jean-Paul II avait proposé, de manière très raisonnable, une réunion de prière des représentants de plusieurs religions, des voix de croyants se sont élevées contre ce qui était jugé comme une aberration. On entendait à cette époque des dis­cours de ce genre : « C’est une honte pour l’Eglise. Comment le pape peut-il oser faire une chose pareille, on nous a enseigné qu’il n’y avait qu’une seule religion catholique et universelle. La vérité ne discute pas avec l’erreur ». Et voilà que le pape lui-même reconnaît la valeur de la prière de ceux qui ne partagent pas la vraie foi. C’était un objet de scandale.

La logique du pape était alors non pas de faire entrer tous les hommes dans le moule de l’Eglise catholique, mais de faire prendre conscience à tous les hommes de bonne volonté que la foi elle-même peut être porteuse de sens pour la vie de tout homme. Chacun peut dé­couvrir et connaître Dieu, à la lumière de sa raison, même si le croyant peut estimer que la ré­vélation faite par Dieu lui-même est supérieure à toutes les lumières de la raison.

Foi et raison

Placer sa foi au-dessus de la raison peut conduire facilement au fanatisme le plus re­doutable, comme le souligne l’exemple de ceux qui, pour des motifs idéologiques, se sont op­posés aux rencontres in­terreligieuses d’Assise. Le croyant se trouve confronté avec la difficile nécessité de concilier la foi et la raison.

Les vérités de la foi ne sont pas les vérités de la raison. Les vé­rités de la raison sont celles que tout esprit peut reconnaître par la seule lumière de la raison. L’évidence mathéma­tique qui me permet de reconnaître que 2 + 3 = 5 ne demande rien d’autre qu’une intelli­gence claire et distincte. Les vérités de la foi ne comportent pas d’évidence, elles sont incompréhen­sibles au regard de la raison. La Passion du Christ, la virginité de Marie, les miracles, consti­tuent un défi que la raison ne peut relever et il est dès lors possible de penser que devant la foi, la raison ne peut que s’incliner.

Les vérités de la foi impliquent une confiance en Dieu. La dé­cision de les accepter ne repose pas sur la raison, mais sur une adhé­sion personnelle. La religion vient apporter des réponses aux questions que se posent les hommes sur le sens de l’existence. Il y a ce que l’on sait scientifiquement et ce dans quoi on croit.

Et nous éprouvons toujours bien des difficultés à dire nos rai­sons de croire, même si saint Pierre dans une de ses lettres nous invite à être toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en nous. De fait, parler de la foi n'est pas banal parce que nous ne pou­vons pas réduire la foi à des idées, à des théories bien ficelées, parler de la foi est difficile. D'autant que, dans la perspective chrétienne, croire c'est entrer en relation avec Quelqu'un, c’est donner sa confiance en ré­ponse à un amour qui nous a été accordé sans condition. Parler de la foi c'est donc parler d'une relation d'amour ; et vous savez tous qu’il n’est guère possible de don­ner les raisons objectives qui nous poussent à aimer ou à ne pas aimer telle ou telle per­sonne. On ne peut pas ex­pliquer une relation d’amour, sinon qu’en reprenant ce que Montai­gne pou­vait dire de son amitié avec La Boétie : « si on ne demande pour­quoi je l’aimais, je di­rai : parce que c’était lui, parce que c’était moi ».

L'acte de croire, comme l'acte d'aimer, ne s'explique pas. Et pourtant, il faut bien parler, rendre compte de la foi, réfléchir à sa foi. La foi des chrétiens ne peut pas en rester à un vague « je crois en quelque chose », une relation mystérieuse avec « un je ne sais quoi ».

Pourtant, nous ne pouvons pas laisser la réflexion religieuse se situer uniquement sur le plan de l’émotionnel ou du passionnel. Il y a une place pour la religion aux côtés de la rai­son ou de la science. Cela revient à lui attribuer un domaine qui lui soit propre, domaine sur le­quel il est entendu que la raison ne saurait se prononcer. Si la raison a affaire au savoir, elle peut décider de ce en quoi il faut croire, mais que l’on ne peut pas connaître. La religion pourra se prononcer sur ce qu’il n’est pas possible de connaître, mais qui peut pourtant être pensé. Il n’est pas bon de penser les rapports entre raison et religion sous une forme qui soit seulement polémique. La foi et la raison ne devraient jamais aller l’une sans l’autre.

Le christianisme peut se présenter comme une religion de la relecture et de l'inter­prétation de tout ce qui peut exister. C’est la rai­son du succès de ce qu’en philosophie on ap­pelle l’herméneutique et qui, depuis pratiquement l’époque hellénique, avec des hauts et des bas, a servi de moteur à la réflexion intellectuelle. Mais, en plus, le christianisme est la reli­gion qui unifie des données qui paraissent par­fois contradictoires : c’est la religion que l’on pourrait qualifier du « jamais l'un sans l'autre ». Cela vaut pour les commandements fonda­mentaux : aimer Dieu et aimer les hommes ; cela vaut pour la vie hu­maine : être pleinement sur la terre, tout en visant l’au-delà… Le christianisme ne peut pas s'enfermer sur lui-même, mais il s'ouvre toujours vers la société, les autres religions et les autres cultures. Le « jamais l'un sans l'autre » vaut également pour la relation entre la foi et la raison.

La foi chrétienne doit aider la raison à ne pas désespérer d'elle-même devant le champ immense de ce que l’on ne peut pas connaître. Il incombe d'encourager l'homme et non pas de le condamner. La foi chrétienne, qui ne doit pas avoir peur du regard critique que la raison porte sur elle, apporte à l'homme le désir de connaître l'autre et de connaître Dieu, le désir de s'ouvrir vers l’altérité.

La vérité en religion

Mais comment peut-on savoir si la religion a du vrai ? Quand on parle de vérité de la religion, on parle de trois vérités qui sont com­plémentaires, tout en étant différentes : une vé­rité pratique, une vérité historique, une vérité profonde.

D'abord une vérité pratique.

En ce sens la religion peut dire vrai dans la mesure où elle pousse à aimer, à espérer, à rejeter ce qui est inhumain. C'est souvent à ce plan qu'on se place, en s’interrogeant sur l’utilité ou sur l’intérêt que cela apporte. Cela revient à placer la vérité simplement sur un plan pragmatique : est vrai ce qui est utile, ce qui peut servir. Pour­tant cela ne suffit pas... Car une illusion, une idéologie, une erreur peuvent également être ef­ficaces. On a pu s’en rendre compte en relisant l’histoire du vingtième siècle : le nazisme ou le communisme ont ma­nifesté une grande efficacité sans être portés par une éthique véritable. De même une religion peut très bien être utile sans avoir une base sé­rieuse !

Il y a aussi une vérité historique de la religion.

Les religions se réfèrent à un fonda­teur, dont elles rapportent la vie, l’enseignement, les hauts faits... Il est légitime de se deman­der si ce que l'on raconte est vrai. Il faut le vérifier autant que possible, en interprétant ce que les témoins ont pu dire, en vérifiant leur honnê­teté : ils peuvent s’être trompés de bonne foi. Il faut aussi s’interroger sur ce qui s’est réellement passé et sur ce qui a été compris : le retentis­sement d’une action n’est pas l’action elle-même… Il faut même oser dire que les témoins qui donnent leur vie pour la cause dont ils té­moignent sont sans doute admirables mais ne prou­vent pas qu'ils soient dans le vrai. D'autre part, il y a un élément qui compte, c'est celui de la du­rée. Par exemple : une foi qui dure de­puis des siè­cles a sans doute de quoi mériter notre atten­tion, quelle qu'elle soit. Mais la durée d'une religion est un signe, un indice. Ce n'est pas à proprement parler une preuve. Des erreurs ou des illusions peuvent parfois durer longtemps et avoir la vie dure. 

Il y a une vérité profonde de la religion.

Elle porte sur les réalités invisibles que l’on ne peut prouver. Elles touchent à trois domaines : ce que nous sommes, ce que nous se­rons et ce qui fait être le monde.

Que sommes-nous ?

La science biologique nous expliquerait facilement que nous sommes un corps com­posé d’un ensemble de cellules diversifiées en­trant en interaction les unes avec les autres, si bien que l’on finit par penser que l’homme est une sorte de robot un peu plus perfectionné que les autres. Le risque devient très grand de le considérer comme une simple mécanique ; c’est le cas de ceux qui préconisent le clonage des êtres humains ou qui incitent certains parents à concevoir un autre enfant pour qu’il serve à fournir des pièces déta­chées à un premier en­fant atteint de telle ou telle maladie.

Mais il faut dépasser ce qui est simplement visible : nous avons bien un corps, mais nous ne sommes pas qu’un corps biologique, nous sommes un ensemble « corps – esprit ». Cela nous éloigne de la pure biologie pour nous conduire vers une sphère qui semble plus haute puisque cela échappe à l’expérimentation scientifique. Primitivement, les religions ont souligné cette caractéristique spirituelle de l’homme, puis les philosophies ont pris le relais, avant que ne naissent de nou­velles sciences dites humaines, comme la psychologie ou la psy­cha­nalyse.

Ce premier domaine abordé par la religion pour définir ce que nous sommes finit par se comprendre à partir de notre propre expé­rience : ce qui est invisible se manifeste dans des pierres d’attente dans ce que l’on peut voir. Et cette première sorte de réalité invisible à la­quelle s’attachent les religions ne pose pas la question la plus diffi­cile. Même si l'on ne voit pas ce que l'on affirme, on peut y « croire ».

Que deviendrons-nous ?

Viennent ensuite les affirmations qui concernent ce que nous serons, par exemple notre vie après la mort. Cela est exprimé de diffé­rentes manières par les différentes religions. Certaines parlent d'une survie ou d'une immortalité : la partie spirituelle de l’homme continue après la mort, car l’esprit ne peut pas mourir ; et c’est ce qui explique que certains hommes cherchent à communiquer avec les morts. En tout cas, dans toutes les religions, les croyants prient pour les morts ou se sentent unis à eux. D'autres religions, comme le christianisme, par­lent de résurrection, signifiant par là qu’au-delà de la mort, il y a une vie nouvelle et défi­nitive, non seulement pour l’esprit mais aussi pour le corps, d'une autre manière que mainte­nant, excluant toute possibi­lité de recommencer sa vie. Affirmer la résurrection c'est aussi dire que chaque être humain est unique. D'autres religions parlent de réin­carnation, ce qui permet de dire que l’on peut mener une deuxième, une troisième, une quatrième vie, tant qu'on n'est pas assez purifié pour accéder à la perfection divine. L’affirmation religieuse sur ce qui se passe après la mort, est plus difficile à croire que la première car il y a une coupure, celle de la mort, qui change tout. Pour affirmer d’une manière ou d’une autre sa survie, il faut faire litté­ralement un saut dans l’inconnu, car on est sans prises réelles sur ce qui se passe après la mort, ou ces prises sont incertaines...

Qu’est-ce qui fait être le monde ?

Il existe enfin des affirmations qui concernent ce qui fait être le monde. Comme Voltaire, nous constatons l’existence de ce monde, nous reconnaissons qu’il s’agit d’une  belle mécanique, d’une grande horloge, et nous sommes amenés à penser que cette horloge ne peut pas exister sans un bon horloger. Presque toutes les religions nom­ment Dieu cette réalité mystérieuse qui est à l’origine du monde. Mais si elle existe, cette réalité est d'un autre ordre que tout ce que nous pouvons imaginer. Il y a une distance entre elle et tout ce qui existe. Alors, comment savoir si la religion dit vrai ? Ce n'est pas une vérité qui se prouve comme la vérité de la science. Dieu, s'il existe, n'existe pas comme existe une planète qu'on ne voit pas à l'œil nu mais dont l'existence peut être démontrée par des calculs mathématiques.

Quand on dit quelque chose sur ce qui se passe après la mort ou sur Dieu, on ne peut pas le démontrer. On y croit pourtant de façon raisonnable : parce qu'on a des indices, des éléments qui appuient ce que l'on dit. Il est raisonnable de croire comme il est raisonnable d'ai­mer : sans preuves absolues, mais à cause de données solides ; sans en rester aux seules idées, mais en vivant ce que l'on affirme.

Car la vérité, dans le domaine de la religion, si elle est pro­fonde, ne fait pas appel à la crédulité naïve, mais à une certaine dispo­nibilité. La vérité de la religion n'est jamais une vérité à 100 %. Per­sonne sur terre ne peut prétendre avoir atteint la vérité de façon totale. Pas plus les chrétiens que les autres. Cela veut dire que la vérité est en avant de nous : nous allons vers elle ; il ne s’agit pas de tout dire, mais dire le minimum vital pour que nous puissions al­ler de l'avant.